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Billet de blog 3 juin 2025

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Une vie à bascule

Cinq femmes se retrouvent dans un parc pour enfants. Cinq visions de la maternité, cinq femmes d'aujourd'hui.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Personnages 

- BRINDILLE, sans enfant

- ANNA, parent 2, a adopté l’enfant de sa compagne

- JESS, maman poule de deux enfants

- TITI, maman manager de deux enfants

- PLUME, mamange

Décor : Un parc pour enfant. Une balançoire, un banc public, un toboggan, un cheval à bascule (bien au centre).

Scène 1

BRINDILLE

- Je n’ai jamais voulu faire naître d’enfant.

PLUME

- J’ai fait naître un enfant sans vie.

JESS

- J’ai fait naître deux magnifiques enfants et ils sont ma vie.

TITI

- J’ai fait naître deux magnifiques enfants et ma vie est ailleurs.

ANNA

- Je n’ai pas fait naître d’enfant mais je suis une mère comblée.

PLUME à BRINDILLE

- Quand as-tu su que tu ne voulais pas d’enfants ?

BRINDILLE à JESS

- Quand as-tu su que tu voulais te consacrer à tes enfants ?

JESS à TITI

- Quand as-tu su que ta vie ne serait pas tes enfants ?

TITI à ANNA

- Comment te sens-tu dans ton rôle de maman bis ?

Toutes à PLUME

- Et toi Plume, comment as-tu fait ?

BRINDILLE

- Souvenez-vous les filles, dans la cours d’école, nous parlions de nos vies futures. Nous nous voyions mariée à vingt-cinq ans, avec des enfants à trente ans maximum. « Tu te rends compte, disait-on, ma cousine a trente-deux ans et elle n’a toujours pas de gosses ». Que cela nous semblait vieux à l’époque et que cette perspective nous paraissait triste. A vingt ans, je suis entrée dans la vie active, je me suis épargnée de longues études. Mais j’avais toujours l’impression que les enfants, ce serait pour bientôt.

JESS

- Oui, je me souviens de ces discussions d’écolières. Pour moi, ce projet n’a jamais changé. Quand je voyais ma mère si épanouie dans son rôle de maman, je ne pouvais pas imaginer autre chose. Tu sais c’est pas facile au vingt-et-unième siècle de vouloir être mère au foyer. Je sens bien qu’on me juge, qu’on croit que je ne respecte pas le combat des femmes avant moi.

TITI

- En ce qui me concerne, je ne me suis pas trop posé de question. J’ai rencontré mon mec, il était un peu plus âgé, on a acheté une maison et la question des enfants est venue assez naturellement. Et puis, je viens d’une famille de sept enfants, je sais pas, ça allait de soi de fonder ma propre famille. Mais j’avais pas vraiment réfléchi aux conséquences, aux sacrifices, au temps que ça demande. J’ai passé deux années difficiles, j’arrivais plus à me considérer comme une femme, j’avais l’impression d’être devenue esclave de mes enfants, surtout quand la deuxième est arrivée. En plus, c’est dur quand tu as un métier à responsabilités de te retrouver à bêtifier toute la journée devant un petit être qui ne peut même pas te répondre. Je trouvais aussi très injuste que mon mari, lui, ait retrouvé sa vie d’avant, son boulot et ses potes, comme si rien n’avait changé, alors que pour moi, c’était tout un monde qui s’était écroulé.

JESS

- Tu dis écroulé comme si ça avait été négatif…

TITI

-Je crois oui qu’à ce moment-là, c’était vraiment mon sentiment.

ANNA

- Alors que cette aventure m’a plutôt fait m’élever quand j’y pense. Survoler tous les préjugés et les regards des gens. Dans les yeux de notre fils, il n’y a pas une maman 1 et une maman 2, il y a juste deux parents qui élèvent leur enfant comme n’importe quelle famille. Nous avons des frères, des amis masculins qui pourront prendre le rôle de « modèle » si le besoin s’en fait sentir ou juste pour rassurer les mauvaises langues. Mais au fond, je ne crois pas que notre famille soit différente d’une autre famille. D’ailleurs, qui peut se targuer d’avoir une famille « normale » ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

PLUME

- Dans la cours d’école, quand tu penses à ta vie d’après, tu imagines qu’il y a un avant « sans mari, sans enfant » et un après, la vie d’adulte en soi. Sauf que quand tu perds un enfant, comme moi, en cours de grossesse, il n’y a plus vraiment d’avant, mais pas d’après non plus. Tu tombes dans un entre-deux, où tu as perdu un être qui n’a existé que pour toi, qui a fait de toi une mère dans ton corps, dans ta chair mais pas aux yeux du monde. Et tout le monde finit par oublier.

BRINDILLE

- A l’approche de la trentaine, on nous parle sans cesse de l’horloge biologique qui tourne, et que « tiens, tu ne bois pas d’alcool, t’es enceinte ? », « alors c’est pour quand le bébé ? ». Et si je n’en voulais pas ? Et si cela faisait des années que j’essayais sans succès ? Et si ? Et si ? Ces questions qui reviennent comme des poignards dans le cœur. À l’approche de la trentaine, j’ai compris que je n’étais pas prête à faire les sacrifices dont tu parles Titi, que ma vie était parfaitement complète sans enfant.

PLUME

- Oui, les questions poignards, ça je connais, et aussi les bien-pensants, les bienveillants, les maladroits, les « oh, tu es jeune, tu en feras un autre », les « c’est mieux maintenant qu’à la naissance », « heureusement que c’est tombé sur toi, tu es une battante ». Bref, tout ceux qui ont un avis sur tout.

JESS

- C’est sûr que tu es plus tranquille une fois que tu as sauté le pas. Mais ça n’enlève pas le jugement sur le fait que je veux me consacrer à mon rôle de mère. Alors que je sais que je serai nostalgique de cette parenthèse enchantée, de mes bébés si petits, de l’amour immense qu’ils m’apportent. Je serai triste de toutes ces journées que je n’aurai pas pu leur consacrer car je n’ai pas encore réussi à arrêter mon travail car le salaire de mon mari ne permet pas entièrement de couvrir nos besoins. Alors tous les matins, je pars au travail à contrecœur, et je ne pense qu’à une chose, rentrer chez moi pour accomplir la seule tâche qui m’importe vraiment - être maman.

BRINDILLE

- Et la place des hommes dans tout ça ? Oui, messieurs, je vous vois vous agiter sur vos sièges. Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas oubliés. De mon côté, j’ai préféré laisser partir mon compagnon, le laisser fonder sa famille avec une autre, plutôt que de m’en imposer une. Tu parlais de sacrifices Titi, voici le mien.

PLUME

- Quand on perd un bébé pendant la grossesse on se sent très seule. Certes le papa est là, mais la tristesse n’est pas la même. Le ressenti n’a pas été le même pour lui et pour moi, il pleure une idée, un projet, un désir. Je pleure des coups de pieds, un cœur qui bat, un bout de moi.

ANNA

 - Ma compagne et moi avons fait le choix de nous passer d’homme tout simplement !

TITI

- Moi j’ai pas voulu allaiter, non mais oh, déjà que j’avais fait tout le taf pendant neuf mois, je devais encore me taper les nuits sans sommeil et toute la responsabilité ? Non merci ! J’ai fait tout ce que j’ai pu en mettant au monde un enfant vivant et en bonne santé, maintenant c’est ton tour mon chéri ! Mais, dieu qu’on est seule, passés les premiers jours où s’enchaînent les visites, une fois l’enthousiasme retombé. J’ai dû supplier mon employeur de me reprendre plus tôt. Tout, plutôt que de passer une journée de plus à la maison. Pitié, faites-moi me sentir utile à la société !

Scène 2

PLUME à BRINDILLE

- Qu’est-ce que tu écrirais à ton enfant qui ne naîtra pas ?

BRINDILLE à JO et à TITI

- Qu’est-ce que vous écririez à vos enfants déjà nés ?

JO à ANNA

- Qu’est-ce que tu diras à ton fils sur son père ?

TITI à PLUME

- Qu’est-ce que tu écrirais à ton enfant s’il entendait depuis là-haut ?

PLUME

- Je commence.

Mon bébé,

Quand au retour d’un week-end dans le Sud, le test de grossesse s’avère positif, commencent quatre mois de bonheur où les nausées me laissent tranquille et la forme est au rendez-vous. Les contrôles réguliers montrent que tu es en pleine santé. « Quelle énergie ! », s’exclame la gynécologue à chaque échographie. Tu tiens de tes parents, pensons-nous. En pleine canicule, nous apprenons que tu es une fille et ça nous remplit de joie. Nous réduisons notre liste de potentiels prénoms sans pour autant faire un choix.

L’été s’achève sereinement, nous partons en Bourgogne, puis en Espagne, tu goûtes à plein de saveurs différentes. Je commence même à te sentir remuer, quel bonheur ! Inquiétude aussi car les moments où tu te reposes m’angoissent. Et si tu cessais de bouger ?

Nous abordons l’échographie du 2e trimestre sereinement. Personne ne nous a prévenus que c’était une échographie décisive pour voir le développement de tes organes. Pour nous, avoir dépassé les trois mois de grossesse signifie que le reste ne sera qu’un long fleuve tranquille. C’est donc un coup de tonnerre qui résonne dans la pièce quand la médecin annonce : « il y a quelque chose d’anormal ».

Ce jour de fin d’été marque la chute brutale de notre petit nuage de parents. A partir de là commencent les montagnes russes de l’espoir et des désillusions.

Les examens s’enchaînent jusqu’au terrible verdict. Les malformations sont multiples, sévères et inopérables.

Résonnent alors dans la pièce trois lettres qu’aucun parent ne devrait avoir à entendre : I.M.G. Interruption Médicale de Grossesse. Aucun parent ne devrait avoir à prendre cette décision. Aucun parent ne devrait avoir à décider de tuer son propre enfant.

Mon bébé, sache que cette décision a été mûrement réfléchie, prise par amour, car nous ne pouvions pas t’offrir une vie en dehors des hôpitaux et des salles d’opération. Mais qu’elle a été difficile !

Comment oublier que tu as été bien vivante dans mon ventre, que tes petits pieds ont bousculé ma main à chaque caresse, que ton petit cœur a battu aussi fort qu’il a pu pendant les sept mois où je t’ai abritée ?

Vient alors le moment de l’accouchement. Quel beau moment mais ô combien difficile que celui où la dernière échographie te montre encore bien vivante dans mon ventre, précédant le moment où une seringue est insérée dans le cordon pour t’endormir.

Quelle injustice ressentie de devoir vivre un tel instant.

Sache que je continuerai à vivre pleinement et que je ferai pour deux les activités que j’aurais voulu te faire découvrir. Je te fais un coucou sur ton nuage, mon ange, celui que j’ai cousu pour toi sur ton doudou.

BRINDILLE (après un long silence)

- Pour ma part, ce sera court… enfin je crois. Car que dire, qu’écrire à toi l’enfant qui ne naîtras pas ? Je t’épargne une vie difficile, dans un monde où l’égoïsme domine et où les inondations succèdent aux vagues de chaleur et aux incendies. Il ne faut pas que tu regrettes ce monde voué à sa propre perte.

Nous vivons à une époque où notre planète souffre, où les ressources s'épuisent et où le changement climatique menace notre avenir. Je souhaite que nous arrivions à créer un monde où il sera à nouveau possible d’envisager sereinement de faire des enfants.

C’est plutôt aux femmes que j’ai envie d’écrire et je crois que je leur dirais ceci :

Chères toutes,

On entend parler depuis un certain temps d’une volonté politique de « réarmer la nation » grâce à un vaste plan contre l’infertilité, mais ont-ils pensé à celles d’entre nous qui en souffriront ?

Moi, je pense à toi qui, à 22 ans, as procédé à une interruption volontaire de grossesse, car le moment n’était pas venu.

ANNA (très vite pour ne pas se faire interrompre)

Je pense à toi qui, à 25 ans, décides de devenir un homme et à qui la PMA sera refusée.

Je pense à toi qui, à 29 ans, as déjà eu cinq FIV et dont le test de grossesse reste désespérément négatif.

Je pense à toi qui, à 31 ans, apprends que tu ne pourras jamais être mère.

PLUME

Je pense à toi qui, à 33 ans, as dû subir une intervention médicale de grossesse car tu attendais un enfant polymalformé.

Je pense à toi qui, à 35 ans, as déjà fait trois fausses couches. Pourras-tu en supporter une quatrième ?

JESS

Je pense à toi qui, à 40 ans, n’as pas trouvé l’homme avec qui fonder une famille et tentes de faire le deuil de tes rêves de famille nombreuse.

TITI

Je pense à toi qui, à 45 ans, n’as jamais voulu d’enfants et dont l’entourage ne cesse de s’en étonner.

BRINDILLE

Je pense à vous que nous avons oublié de mentionner.

Toutes ces femmes, c’est vous, c’est nous !

Remettre la question de la fertilité au centre des préoccupations politiques, surtout à un moment où les droits des femmes sont sérieusement menacés dans le monde, représente un recul énorme de la place de la femme dans notre société.

Quelle violence contenue dans ces propos envers toutes celles qui, pour diverses raisons, n'ont pas pu ou n'ont pas souhaité donner naissance à un enfant !

Que feront-ils des femmes qui ne seront pas considérées comme fertiles ? Que feront-ils des traumatismes infligés à des personnes qui n’avaient rien demandé ?

Il est évident qu’il n’y a qu’une seule chose à leur répondre : laissez-nous gérer nos utérus.

JESS

- Je comprends tout ce que vous dites, mais moi, mes enfants m’ont enfin rendue entière. Car oui, avant de les avoir, je n’étais que la moitié de moi-même. J’ai souvent l’impression d’être née pour être leur maman, que c’est la vocation que j’ai, comme d’autres pour la médecine ou le droit. Je ne suis complète que quand je peux m’occuper, vivre, respirer pour mes enfants.

Que de fierté quand je les vois exécuter un geste nouveau prononcer un nouveau mot.

Que de joie quand je peux leur faire découvrir un lieu nouveau.

Que ne ferais-je pas pour les rendre heureux, je préférerais d’ailleurs mourir que de les savoir tristes.

Le temps que je passe loin d’eux m’est insupportable et je ne rêve que d’une chose, c’est de pouvoir m’arrêter et profiter pleinement de la vie à leurs côtés.

Souvent, j’envisage de leur faire un petit frère ou une petite sœur, car il n’est pas trop tard n’est-ce pas ? Une grande famille heureuse, voilà tout ce qui m’importe.

TITI (qui fait la moue)

-  Beurk. J’aime mes enfants mais s’il y a une chose que je souhaite leur dire c’est « laissez-moi vivre aussi de mon côté » ! Je fais beaucoup d’activités avec eux, mais je veux aussi mener ma propre barque, monter les échelons dans mon entreprise.

C’est aussi quelque part une manière pour moi de leur montrer ce qui est possible pour une femme au XXIe siècle et pour qu’ils soient fiers de leur maman.

ANNA

- De mon côté, j’ai envie de dire plein de choses à mon fils, mais ces choses n’incluent pas de lui parler de son père. Car il n’y a pas de père et c’est acté. Il a deux mamans point et c’est sa normalité.

Ça, je voudrais aussi l’ancrer dans la tête de nos dirigeants politiques, surtout ceux qui sont aux portes du pouvoir ici et ailleurs, ceux bien à l’extrême de notre échiquier.

Ce que je veux dire à mon fils aujourd’hui c’est : aurais-je le droit de rester ta maman si demain le fascisme se répand à nouveau en Europe ? Me laissera-t-on encore ce droit ? Et cela, cela me terrifie au plus profond de mon être.

Scène 3

TITI

 - Je crois que nous sommes toutes concernées par l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir. Les femmes pourront-elle encore exercer des professions haut placées ?

PLUME

- Les femmes pourront-elles encore avoir recourt à l’IVG et l’IMG ?

ANNA

- Les couples homosexuels pourront-ils encore se marier, adopter ?

JESS (avec un petit rire triste)

- Finalement il n’y a que moi qui pourrais être satisfaite avec eux car mes aspirations correspondent aux leurs…

BRINDILLE

- Et celles qui se sentent hommes et ceux qui se sentent femmes ou rien de tout ça ? Pourront-iels encore être qui iels sont vraiment ? Et ceux dont la couleur de peau et l’origine diffèrent de leur pays d’accueil ? Vous voyez, c’est pour cela que je ne me résous pas à envoyer un nouvel être humain dans cet enfer que l’avenir nous réserve.

ANNA

- Je crois que je préfère pour l’instant me boucher le nez et attendre que ça passe. Pourquoi pas même creuser un trou !

JO

- Oui mais si c’était cette nouvelle génération justement qui pouvait nous sortir de là ? Cela vaut la peine d’y croire.

TITI

- Je veux y croire.

PLUME

- Moi je me suis créé un petit ange gardien. Qui sait, ça m’aidera peut-être à affronter tout ça ?

Toutes les cinq se rapprochent et se prennent les mains pour faire une ronde. Une musique enfantine se fait entendre qui va de plus en plus vite avant de se dérégler complètement. Noir.

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