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Billet de blog 27 novembre 2016

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Du courage, du courage...

Samedi 26 novembre, j'étais invitée à la rencontre "Carrefour des gauches" organisée à Bondy par Martine Aubry. Je participais à une table tonde sur les fractures sociales. L'occasion de souligner le décalage entre le discours de l'égalité, porté par la gauche, et la réalité. Et d'interpeller les responsables politiques de gauche sur leur courage (ou plutôt leur manque de courage).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La semaine dernière se déroulaient sur les universités les élections étudiantes. Et cette année, la participation - habituellement basse - a chuté. Les syndicalistes étudiants racontent que bon nombre d'étudiant.e.s, plus nombreux que d'habitude, répondaient lors qu'on leur parlait du scrutin : "à quoi bon voter", "tout cela ne sert à rien". La dernière fois que nous avions ressenti sur les campus ce niveau de découragement et de scepticisme vis à vis de notre capacité, par notre vote, à changer le court des choses, c'était en ... 2002. Quelques mois avant le 21 avril. A l'époque, les responsables nationaux de l'UNEF s'en étaient inquiétés, analysant la faible particiaption comme un mauvais signal pour les élections qui allaient suivre. 

Ce désintérêt des élections n'est pas un désintérêt de la chose publique. Les jeunes s'engagent, s'intéressent à l'actualité, se renseignent. Comme les autres citoyennes et citoyens. Ce qu'ils et elles sont nombreux à exprimer, comme nous, c'est le sentiment que voter ne changera pas grand chose dans nos vies. Certes, voter à gauche et voter à droite, ce n'est pas la même chose. Le problème, c'est que la différence est devenue tellement ténue qu'elle ne constitue plus un moteur suffisant pour aller donner sa voix.

Ce découragement est alimenté par le décalage entre les discours des responsables politiques ("il faut plus d'égalité", "personne ne doit être oublié", "liberté, égalité, fraternité") et la réalité. Le décalage entre ces mots écrits sur les frontons des mairies et des écoles et notre vie quotidienne. Cette réalité, c'est que notre vie est encore aujourd'hui en grande partie déterminée par ce que nous sommes à la naissance. 

Si nous naissons femmes, nous savons que nous serons payées 9% de moins qu'un homme pour le même job. 1 sur 3 d'entre nous sera victime de violences physiques ou sexuelles. Si nous naissons noir, nous avons 4 fois moins de chance de décrocher un entretien d'embauche mais 5 à 10 fois plus de risques d'être contrôlé par la police. Si nous naissons dans une famille d'ouvriers, nous avons x fois moins de chance d'accéder à une formation universitaire. Si nous sommes en situation de handicap, des milliers d'espaces publics ne nous sont pas accessibles (ou difficilement). Si nous sommes lesbiennes, nous sommes privées de certains droit, comme celui de l'accès à la PMA. Etc...

Juste parce que nous n'avons pas les mêmes chromosomes ou le même taux de mélanine dans la peau, une partie de notre vie est écrite d'avance. C'est l'inverse de l'idéal porté par la gauche. Cet idéal, c'est celui d'une émancipation de toutes et tous, qui ne soit jamais déterminée par notre sexe, notre peau, un handicap ou notre sexualité. 

Ces inégalités, nous les connaissons. Ce qui m'étonne, c'est que lorsque j'en parle avec des responsables politiques, on me répond souvent "En même temps, c'est compliqué", "C'est difficile de faire changer ces choses".

Je m'inscris en faux avec cette affirmation. Ce n'est pas compliqué. Ce n'est pas si difficile. Nous savons le faire.

La France est championne dans plein de domaines des politiques publiques qui ont changé la vie des gens. Regardez ce que nous avons fait sur la sécurité routière. La bataille n'est pas terminée certes. Mais les progrès en 30 ans ont été radicaux.

On pourrait faire pareil par exemple sur les violences à l'encontre des femmes. Les ingrédients sont connus : volonté politique au sommet de l'Etat, éducation obligatoire dans toutes les écoles, formation des professionnel.le.s, sanctions, communication. (Voir le billet "Combien ça vaut une femme violée ?" qui revient sur ce sujet).

Alors, pourquoi on ne le fait pas ?

Je vois deux explications. La première, c'est ce que j'appelle "l'illusion de l'égalité". Nous vivons, vous, moi, dans l'illusion que la société française est au final pas si inégalitaire que cela. Souvent quand on aborde le sujet de l'égalité femmes - hommes par exemple, on nous répond "Et ho, franchement, ça va hein, tu vas pas te plaindre". Comme si on était presque arrivés à destination.

Cette illusion de l'égalité est démultipliée par ce que nous sommes. Regardez-nous, regardez vous : nous sommes à une table ronde sur les inégalités sociales, et nous sommes quatre blancs autour de la table. Nous sommes majoritairement dans la salle issus de milieux favorisés. La plupart des personnes qui prendront la parole aujourd'hui seront des hommes. Bref, nos vies ne sont pas représentatives de la vie. 

Je l'ai ressenti avec une acuité toute particulière ces derniers mois, dans les échanges politiques avec les unes, les uns et les autres. Combien de fois ai-je entendu de mon interlocuteur ou interlocutrice cette affirmation : "pour 2017, c'est foutu, il faut viser le coup d'après" ou bien "l'objectif, c'est de préparer 2022". Comme si pour les personnes qui prononçaient ces phrases, on pouvait attendre 5 ou 10 ans avant de changer le monde.

Parce que leur situation (la mienne aussi), leur permet d'attendre tranquillement au chaud. Parce qu'on ne risque pas de perdre notre logement dans les mois qui viennent. Parce que même si c'est en se serrant la ceinture, on aura toujours les moyens de se payer les frais de dentistes ou de lunettes. Parce qu'on ne compte pas au centimes près le montant de notre panier lorsqu'on va faire les courses, par peur que la carte bleue soit bloquée. Bref, on peut attendre. Ce n'est pas le cas de tout le monde.

La deuxième raison, après cette illusion de l'égalité, qui nous "empêche" d'agir, c'est notre manque de courage.

Howard Zinn, dans une de ses - nombreuses - conférences souligne la tension entre la loi et la justice. La Constitution américaine, comme beaucoup d'autres, prévoit que lorsque la loi contrevient aux objectifs de justice, les citoyennes et citoyens peuvent se rebeller, refuser la loi, désobéir. 

Mon sentiment, c'est que nous sommes enfermé.e.s dans nos propres lois. "C'est trop compliqué de voter contre sa majorité à l'Assemblée", "c'est trop compliqué de quitter mon parti", "on peut vraiment pas voter une motion de censure". Nous sommes enfermé.e.s dans nos propres règles et nous avons oublié la justice. Le CICE, ce n'est pas juste. La loi renseignement, ce n'est pas juste. La loi travail, ce n'est pas juste. 

Ce n'est pas juste d'abord pour les gens concernés qui voient leurs conditions de vie se dégrader à cause de notre (in)action politique. C'est injuste et dangereux. Quand une loi remet en cause la justice, Howard Zinn le rappelle : cela crée du désordre social. 

Nous avons perdu de vue notre objectif premier, la justice, en nous enfermant nous-mêmes dans nos propres lois. Et dans nos justifications. "Je travaille dans ma ville, c'est important". "Tu sais, si je n'étais pas député.e, ministre, conseiller.e dans ce cabinet, ça serait pire". "Y a quand même eu des réformes positives".

Bullshit. A côté du chômage, de la déchéance de nationalité, du CICE ou de la loi travail, ces justifications ne tiennent pas deux minutes. Elles sont balayées.

Certain.e.s me disent : "On a fait ce qu'on a pu". Je réponds que ce n'est pas suffisant. 

Loin de moi l'idée d'exonérer de leurs responsabilités celles et ceux qui exercent le pouvoir et qui, par leurs choix politiques, ont délibéremment tourné le dos à l'idée de progrès social et ont, de fait, fracturé la gauche. Parce qu'ils et elles disposaient des outils les plus puissants pour agir, ils et elles sont les premiers responsables du merdier. 

Mais nous avons aussi notre part de responsabilité. François Fillon ou Marine Le Pen comme potentiels président.e de la République ? C'est aussi notre faute. 

Nous représentons ici une majorité politique et sociale. Je vois des communistes, des écologistes, des socialistes, des syndicalistes, des chercheurs et chercheuses, des féministes, des activistes. Des gens engagé.e.s dans des partis. D'autres, comme moi, qui les ont quitté. Qu'est-ce qui nous empêche de faire en sorte que cette majorité s'exprime ? De rompre avec les politiques menées depuis 5 ans et de s'engager dans une voie radicalement différente ? 

Si cette majorité laisse passer 2017 sans réagir, je crains qu'elle ne soit définitivement balayée. 

Qu'est-ce qu'on attend ? Qu'il soit trop tard ?

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