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Billet de blog 5 février 2024

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Politique migratoire : répondre au massacre par la suspicion et la dissuasion

La décision de la secrétaire d'état à l'asile de demander le retrait de nationalité à des enfants né·es en Belgique de parents palestinien·nes est choquante, mais cohérente avec une politique migratoire restrictive marquée par la suspicion et la dissuasion, peu soucieuse du droit et qui réagit aux crises humanitaires en limitant la protection des civil·es. Par Adriana Costa Santos et Diletta Tatti

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Deux mois après le début de la guerre à Gaza, on apprenait que l’Office des Étrangers a envoyé à certaines communes un courrier demandant le retrait de la nationalité belge à des enfants né·es en Belgique de parents palestiniens. La pratique, pleinement assumée par la secrétaire d’État à l’asile et à la Migration, Nicole de Moor, est présentée comme une réponse à des “abus”, et n’aurait aucun lien avec la guerre en cours. Y compris lorsqu’il s’agit de nouveaux-né·es et de femmes enceintes qui cherchent un lieu sûr pour accoucher, dans un contexte de risque aggravé de nettoyage ethnique, selon l’ONU, ou même de génocide, selon la Fédération Internationale pour les Droits Humains, la priorité belge reste la restriction migratoire. 

1. Guerre en Palestine et positionnement diplomatique

La guerre à Gaza a déjà fait plus de vingt-cinq mille mort·es, près de soixante-mille blessé·es et plus de 1,9 million de déplacé·es. En Cisjordanie, la sécurité des Palestinien·nes est gravement menacée par la recrudescence de la violence, de l’occupation et de la colonisation depuis plusieurs mois. En Belgique, comme au niveau de l’Union européenne, les prises de positions diplomatiques se sont exprimées tardivement et timidement par une demande de “cessez-le-feu humanitaire” et des rappels au droit international. La Belgique n’a toujours pas reconnu la Palestine en tant qu’État, ce qui permettrait pourtant de défendre son intégrité territoriale, de favoriser l’auto-détermination de son peuple, et d’appuyer une solution à deux États. En parallèle à ce positionnement diplomatique, qu’en est-il de la politique migratoire à l’égard des Palestinien·nes primo-arrivant·es en Belgique ?

2. Restrictions d’accès et retraits de nationalité

Deux mois après le début de la guerre, la Belgique n’avait toujours pas mis en œuvre des moyens d’évacuation des personnes ayant un titre de séjour belge, ni proposé un assouplissement des procédures d’obtention d’un visa humanitaire ou d’un regroupement familial[1]. Certaines demandes d’asile de Palestinien·nes ont été gelées durant les deux premiers mois du conflit. Privés du droit à l’accueil, des centaines de demandeurs d’asile palestiniens subissent une détresse physique et psychologique dans une situation de sans-abrisme en Belgique. À cela s’ajoute le refus d’octroi - voire le retrait - de la nationalité belge à des enfants né·es en Belgique de parents palestiniens.

Pourtant, la loi belge prévoit que les mineurs sans nationalité, ou apatrides, ont droit à la nationalité belge. À défaut d’une procédure ou d’une instance spécifiques, le tribunal de la famille est compétent pour reconnaître le statut d’apatridie, préalable à une demande de nationalité belge. Au fil du temps, les décisions de refus de ce statut à des enfants se sont multipliées, alors que la situation en Palestine n’a fait que s’aggraver, que sa reconnaissance en tant qu’État est d’autant plus compromise, et qu’il n’existe pas de législation palestinienne qui détermine les conditions d’obtention de la nationalité[2]. Si leurs parents nés en Palestine ont un passeport, ces enfants n’ont droit à aucun document d’identité national. Or, l’article 23 du code de la nationalité prévoit de manière limitative les cas de retrait, et précise que cela ne peut pas avoir pour effet de rendre une personne apatride. La Cour constitutionnelle a par ailleurs rappelé que toute décision concernant des enfants doit être motivée en tenant compte de la situation individuelle et de l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant[3].

En refusant ou en retirant la nationalité belge à ces enfants, la Belgique leur fabrique donc un statut d’illégalité. Éthiquement injustifiable et juridiquement infondée, la position de la Belgique est kafkaïenne puisqu’elle considère que ces enfants ont la nationalité d’un État… qu’elle ne reconnaît pas.

3. Cadre de l’accueil : suspicion et dissuasion comme clés de la restriction

Comment justifie-t-on cette mesure implacable, lorsqu’il s’agit de nouveau-né·es et de femmes enceintes qui cherchent un endroit sûr pour accoucher, fuyant un contexte de guerre ? Cette décision s’insère dans la ligne restrictive qui a marqué les dernières décennies de politique migratoire, avec une érosion progressive des droits et l’usage du dispositif juridique européen à des fins de dissuasion et de criminalisation des personnes migrantes. 

Depuis les années 80, la politique d’asile belge et européenne est marquée par le paradigme de la suspicion. Concrètement, cela se traduit par des procédures de vérification de la crainte avérée, en partant du postulat de la fraude. Dans certains cas, ce principe de suspicion a pu être partiellement suspendu en fonction de contextes géopolitiques vers lesquels l’expulsion devenait impossible, en raison d’une mise en danger généralisée des populations locales. Cela a notamment été le cas des demandes d’asile des gazaouis qui étaient acceptées presque automatiquement. Cependant, en 2018, la secrétaire d’État Maggie De Block a démarré son nouveau mandat en mettant la priorité sur le durcissement de l’examen des demandes d’asile des Palestinien·nes, en imposant des enquêtes au cas par cas, alors que la situation sur place ne donnait aucun signe d’amélioration, et a même demandé la réévaluation de certains statuts de protection de personnes gazaouies, dans l’objectif de pouvoir le leur retirer pour les expulser. 

En parallèle, la politique migratoire est aussi marquée par un paradigme de dissuasion à l’égard des candidat·es à l’asile. Cela se traduit au niveau européen par des accords bilatéraux pour externaliser le contrôle de ses frontières ou par la pratique des refoulements en méditerranée. En Belgique, ce même principe justifie notamment des campagnes de communication à destination des pays d’origine des demandeur·euses d’asile, dont la Palestine à partir de 2018, mais aussi progressivement des limitations dans l’accès des demandeurs·euses d’asile à leurs droits. Les décisions illégales de la politique de non-accueil de Nicole De Moor en sont la dernière illustration en date. 

Ces constats ne sont pas nouveaux, mais s’insèrent dans une série d’événements où, face à des contextes d’instabilité géopolitique avérée, le gouvernement belge a pris l’initiative de limiter la protection internationale. Un exemple marquant est celui de la lettre envoyée à la Commission européenne par Sammy Mahdi et cinq de ses homologues en 2021 pour demander la poursuite des expulsions des ressortissant·es afghan·es, alors que le pays assistait à la reprise de pouvoir des Talibans.

4. Sortir de la ligne restrictive, pour une éthique de l’accueil

Pourtant, des moyens alignés avec le droit à la protection internationale et conformes à la dignité humaine existent et ont été appliqués récemment en Belgique. Dans le contexte de l’invasion russe de l’Ukraine, l’État belge a déployé des discours de solidarité et des solutions qui ont permis d’accueillir plus de 70.000 ressortissant·es ukrainien·nes et de les accompagner vers une intégration durable.

Au vu des circonstances en Palestine, il serait prioritaire de sortir de la ligne restrictive intransigeante et d’octroyer une protection internationale aux ressortissant·es palestinien·nes présent·es sur le territoire belge. Cela passerait aussi par le fait d’acter de manière non-équivoque le statut d’apatridie des enfants qui y naissent, et leur accorder la nationalité belge. Ces mesures leur assureraient une protection, et leur éviteraient une double violence symbolique : devoir suivre la destruction et le massacre de la population dans leur pays, depuis une situation de non-existence légale en Belgique.

Adriana Costa Santos, doctorante en sciences sociales et politiques, UCLouvain – Saint-Louis – Bruxelles, et Diletta Tatti, chercheuse et assistante, UCLouvain – Saint-Louis – Bruxelles, membre du GREPEC (Groupe de recherche en matière pénale et criminelle), pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).

Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n’engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d’ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu’elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d’autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.

[1] À ce sujet, voir le Rapport Myria, paru en Novembre 2023.

[2] Khalil, A. (2007) Palestinian Nationality and Citizenship, CARIM Research Reports, 2007/07, European University Institute - AENEAS Programme.

[3] C. Const., arrêt 12/2023 du 19 janvier 2023.

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