Carta Academica (avatar)

Carta Academica

Carta Academica est un collectif d'universitaires belges qui a décidé d’intervenir dans le débat public

Abonné·e de Mediapart

204 Billets

0 Édition

Billet de blog 14 juillet 2024

Carta Academica (avatar)

Carta Academica

Carta Academica est un collectif d'universitaires belges qui a décidé d’intervenir dans le débat public

Abonné·e de Mediapart

Quelle approche pour la restitution des restes ancestraux ?

L’histoire oubliée des restes ancestraux dans les collections coloniales nous confronte à l’imbrication du passé colonial et du racisme scientifique. L’urgence de la restitution pour plusieurs interlocuteurs en RDC et les afro-descendants en Belgique contraste de manière frappante avec l’évaluation scientifique des collections coloniales en Belgique aujourd’hui. Par Lies Busselen

Carta Academica (avatar)

Carta Academica

Carta Academica est un collectif d'universitaires belges qui a décidé d’intervenir dans le débat public

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Plusieurs institutions, entre autres l'AfricaMuseum et l'Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB), conservent plus de 650 restes ancestraux de pays africains. Ces reliques font partie des collections anatomiques anthropologiques (collections AA) issues du contexte colonial, dont plus de 75% proviennent de la République Démocratique du Congo (RDC).

Ces collections nous confrontent aujourd'hui à la manière dont le projet colonial a reposé sur l’anthropologie physique, à savoir la discipline qui étudie l’humanité sur base des caractéristiques biologiques. Progressivement, le statut des reliques est passé de celui de trophées de guerre dans le contexte de la conquête de Léopold II à celui d'objets de recherche après la reprise du Congo par l’État belge en 1908 jusqu’à l’indépendance en 1960.

Plus de cinquante ans après l'indépendance du Congo, les provenances ont été étudiées, les inventaires ont été reconstitués, et des recommandations pour le rapatriement ont étés formulées dans le rapport final du projet Human remains Origins Multidisciplinary Evaluation (HOME). Durant ce projet, plusieurs interlocutrices et interlocuteurs en RDC ont souligné l’urgence de la restitution. En effet, une loi congolaise qui favorise la restitution des objets, archives et restes humains a été adoptée le 20 février 2023.

La frénésie de collecte grâce à l’expansion coloniale

Les collections AA ont vu le jour dans un contexte de concurrence muséale, motivée par l'expansion coloniale et la montée du racisme scientifique au XIXe siècle. En Europe, les scientifiques étaient obsédés par les classifications raciales, tandis que les puissances européennes cherchaient des justifications idéologiques à l’exploitation coloniale, contribuant tous et toutes à la frénésie de collecte.

Le premier crâne a été rapporté de Tabora en 1897 par le major belge Théodore van den Heuvel. Ce crâne et d'autres « trophées sanglants » furent rapidement jugés problématiques pour l'image internationale déjà vacillante de l'État Indépendant du Congo. Ils ont donc progressivement disparu pour laisser place à des recherches raciales. Un sous-ensemble représentant 45% des collections AA, montre comment, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’administrateur colonial Ferdinand Van de Ginste a fait ouvrir plus de 230 tombes au Congo belge pour des mensurations anthropométriques.

L'ensemble des collections AA montre l'évolution de la scientifisation de la pensée raciale du début jusqu’à la fin du projet colonial. L’inventaire original se composait de crânes, ossements, squelettes entiers et vertèbres, mais aussi des moulages réalisés de force au Congo belge. Ces reliques ont été prêtées, parfois sans retour des prêts, à des académiques belges et même à des agents coloniaux par le musée de Tervuren. Enfin, la dissolution du ministère des colonies a entraîné le transfert des collections AA à l'IRSNB en 1964.

Des mouvements ultérieurs ont brouillé l'histoire des collections AA. Les collections comptent à présent un amalgame de cas d’études. Pour partie, nous en avons retracé la provenance à travers des recherches archivistiques et l’histoire orale, en contraste avec des méthodes génétiques qui peuvent avoir des effets nocifs. 

Les restes ancestraux oubliés

L'AfricaMuseum continue de conserver plus de 150 restes ancestraux contenant plus d’une centaine de moulages et une cinquantaine de reliques dans des collections biologiques, ethnographiques et archéologiques. Les restes des collections AA, notamment le crâne du prince Kapampa, les corps de deux personnes momifiées et un crâne portant le numéro 25 ont été oubliés à l’AfricaMuseum lors du transfert des collections AA à l’IRSNB en 1964.

Le crâne de prince Kapampa, qui a attiré l'attention grâce à l'enquête du journaliste Michel Bouffioux basée sur les recherches d’Allen Roberts, Boris Wastiau et Maarten Couttenier, a été transféré aux département des mammifères en 1992 où il se trouve à présent. Au départ, il avait été enlevé en même temps que les crânes des chefs Lusinga et Malibu par le lieutenant belge Émile Storms en 1884. Ces deux crânes se trouvent actuellement à l'IRSNB.

Il y a aussi deux individus momifiés qui ont été enlevés pour leur valeur « raciale » par des soldats belges au mont Tshandjarue au Rwanda en 1915. Les deux personnes momifiées se trouvent dans les collections ethnographiques à l’AfricaMuseum. Enfin, le crâne « 25 » provient de Niapu, une ville au Nord-Est de la RDC. Il a été envoyé en 1912 par le militaire belge Armand Hutereau, qui a enlevé pas moins de 8000 objets pour le compte du musée de Tervuren entre 1911 et 1913. Le crâne se trouve également à l’AfricaMuseum et la mâchoire se trouve à l'IRSNB. 

Dépouilles des zoos humains

Il y a également les dépouilles de ceux qui ont perdu la vie dans les zoos humains, des expositions ethnologiques qui montraient la façon dont vivaient les congolais, en 1894 à Anvers, en 1897 à Tervuren, et en 1958 lors de l’Expo ‘58 au Heysel. Cette épopée tragique, qui a couté la vie à 15 congolais en Belgique, était un élément clé dans la propagande coloniale. Jetant la base du racisme populaire, l’objectif principal était de légitimer l’exploitation coloniale sur base des hiérarchies raciales. En 1894, Bitio, Sabo, Isokoyé, Manguese, Binda, Mangwanda et Pezo, 7 des 144 Congolais exposés au zoo humain d'Anvers, ont perdu la vie à cause de la grippe et de la pneunomie.

Ces personnes ont été enterrées au cimetière du Kiel avant d'être transférées dans une fosse commune au cimetière Schoonselhof à Anvers. Au cours de l'été 1897, Ekia, Gemba, Kitukwa, Mpela, Zao, Samba et Mbange, sept autres Congolais sur les 267 également emmenés de force en Belgique, sont décédés après avoir été soumis à des conditions inhumaines. Ils sont aujourd'hui enterrés à côté de l'église paroissiale de Saint-Jean Évangéliste à Tervuren.

Juste Bonaventure Langa, un bébé de 8 mois, est mort le 8 mai 1958 après l'Expo '58. Il a été inhumé dans le cimetière municipal de Tervuren. Dans le film Boma-Tervuren (1999), la terre du cimetière de l’église de Tervuren a été symboliquement enterrée dans un cimetière à Kinshasa.

Depuis, les sept Congolais morts sont commémorés chaque année par des associations d’afro-descendants en Belgique. Le 8 novembre 2022, une conférence de presse a été organisée par plusieurs associations d’afro-descendants pour renforcer des recommandations en faveur du « rapatriement des dépouilles des ancêtres congolais ».

La persistance de l’anthropologie physique et l’urgence de la restitution

Depuis la fin du 19e siècle, l'évolution des théories raciales a parcouru un long chemin. La critique sur la classification taxonomique par l'anthropologue Franz Boas (1940) et les conséquences néfastes du nazisme ont contribué à délégitimer la pensée raciale. Néanmoins, les Belges ont continué à prélever des restes ancestraux jusqu’à l’indépendance.

Aujourd'hui, la race est globalement considérée comme une construction sociale. Pourtant, dans Superior : The Return of Race Science (2019), la journaliste scientifique anglaise Angela Saini affirme qu'il y a une résurgence du racisme scientifique. Dans le cadre du projet HOME, des copies en 3D ont encore été créées pour des raisons de valorisation scientifique, favorisant en même temps de possibles restitutions virtuelles.

En voyant à quel point les scientifiques belges sont à la fois juge et partie quand il s’agit des futures destinations de telles collections, en contraste avec l’ombre dans laquelle nos homologues en RDC et les afro-descendants en Belgique soulignent l’urgence de la restitution, la question reste de savoir comment le gouvernement et les institutions belges relèveront les futurs défis décoloniaux de la restitution.

Lies Busselen, doctorante en anthropologie sociale et culturelle, KULeuven, pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).

Les points de vue exprimés dans les chroniques de Carta Academica sont ceux de leur(s) auteur(s) et/ou autrice(s) ; ils n’engagent en rien les membres de Carta Academica, qui, entre eux d’ailleurs, ne pensent pas forcément la même chose. En parrainant la publication de ces chroniques, Carta Academica considère qu’elles contribuent à des débats sociétaux utiles. Des chroniques pourraient dès lors être publiées en réponse à d’autres. Carta Academica veille essentiellement à ce que les chroniques éditées reposent sur une démarche scientifique.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.