En Belgique, la prison a plusieurs missions, qui vont de la punition à la réinsertion1. Elle a pour but de punir un individu pour ses méfaits, de dissuader les délinquants potentiels, mais aussi de protéger la société et les citoyens. Mais la prison représente essentiellement une mesure provisoire, pouvant s'étendre de quelques mois à plusieurs décennies. Tout un chacun a un « droit à l’espoir » et à la perspective d’une libération. La Cour européenne des droits de l’homme a en effet reconnu que le caractère incompressible d’une peine de privation de liberté à perpétuité fait partie des traitements inhumains ou dégradants (Art. 3 de la CEDH[1]). Cela implique donc qu’en grande majorité, les personnes incarcérées seront libérées un jour. La prison s’est donc également vue attribuer un quatrième rôle : celui de la réinsertion.
Pourtant, dans de très nombreux pays, le taux de récidive est extrêmement élevé. Et la Belgique ne fait malheureusement pas exception à la règle avec une moyenne de 60%2. Pourquoi la prison n'a-t-elle pas l'effet escompté ? Une partie de la réponse se trouve dans les recherches scientifiques ayant mis en évidence les impacts négatifs de la prison sur le psychologique et la réinsertion sociale. Au lieu de « corriger » un individu, la prison va plutôt accentuer voire favoriser son insertion dans une culture déviante3. Les citoyens incarcérés quittent la prison plus traumatisés et moins capables d'acquérir des compétences prosociales, c'est-à-dire des comportements visant à bénéficier aux autres, que lorsqu'ils y sont entrés. Par ailleurs, le système punitif de la prison exacerbe des émotions négatives, telles que la peur ou la colère, et amène à une méfiance à l’égard de l’autorité, ce qui peut mener à de l’hostilité et de la violence une fois libéré4. Et à la sortie, l'absence de soutien adéquat ne permet pas de compenser les effets néfastes de l’incarcération.
Même si certains négligent le sort des ex-détenus à cause de leurs actes passés, cette question nous concerne tous. Premièrement, les prisonniers sont des êtres humains et en tant que tels, ils ont bel et bien droit à une vie digne. Deuxièmement, le coût de l'incarcération est très élevé pour l'État : environ 100 euros par jour et par détenu. Avec plus de 10 000 personnes incarcérées en Belgique, on dépasse le million d’euros quotidien. Troisièmement, lorsque des individus qui ont déjà mis en danger la société sont libérés, n'avons-nous pas tout intérêt à ce qu’ils ne récidivent pas ?
Préserver une bonne santé mentale en prison : possible ou utopique ?
Dans une période pas si éloignée, la crise du Covid nous a tous fait expérimenter une certaine forme d’emprisonnement et d’isolement social. Cloîtrés chez nous, dans des logements ridiculement petits pour certains, nous ne pouvions plus nous déplacer librement, voir notre famille ou nos amis, aller au travail. Tous, nous en avons souffert et pour beaucoup, ces confinements à la chaine ont provoqué de forts troubles mentaux : dépression, attaque de panique, troubles anxieux et même suicides5.
Imaginez-vous vivre cela, mais pendant des années et des années, dans des cellules de quelques mètres carrés, parfois fortement insalubres, sans pouvoir avoir de contacts avec le monde extérieur. Préserver une bonne santé mentale dans ces conditions semble relever du miracle et des dizaines d’études scientifiques ont d’ailleurs mis en évidence l’effet négatif de la prison sur le bien-être psychologique, avec notamment une augmentation de la dépression, des troubles psychiatriques, et des risques accrus de suicides, parmi d’autres6.
Une mauvaise santé mentale en prison est source d’un plus haut taux de récidive, et ce, pour plusieurs raisons7. Dans un milieu stressant comme la prison, l'individu peut adopter des comportements criminels ou recourir à la drogue comme mécanismes d'adaptation. Ces comportements, combinés à une santé mentale fragile, peuvent compromettre la recherche d’emploi et les relations sociales, poussant davantage l'ex-détenu vers la criminalité et la drogue pour faire face.
Isolement social et surpopulation : deux problèmes antagonistes et pourtant bien présents
Les détenus sont isolés socialement, voire même rejetés. Peu de gens se soucient vraiment de leur vie en prison et de leurs conditions de détention. Un jour, l’un des détenus qui avait participé à l’une de nos études nous laissa un mot: « Merci de mener des études en prison. Merci de nous donner le sentiment d’exister pour le monde extérieur ». Sur plus de 200 détenus rencontrés l’année dernière, c’est malheureusement un retour que nous avons eu de nombreuses fois.
L'homme est naturellement social, évoluant dans divers groupes tels que la famille, les amis, les collègues ou des gens partageant notre culture pour ressentir un sentiment d'appartenance et de protection. Être isolé ou exclu d'un groupe ne fait pas partie de notre nature profonde. Cela peut conduire à la dépression, à l'agressivité et à des pensées suicidaires. Dans le langage courant, il est fréquemment dit que l’exclusion sociale « fait mal », et de nombreuses études en psychologie et neuroscience ont montré que c’est en effet le cas8. Lorsqu’un individu se sent exclu socialement, cela active des régions de son cerveau qui sont également activées lorsqu’il ressent de la douleur physique.
La société fuit, et rejette parfois ouvertement, les anciens détenus ayant purgé leurs peines, qui peinent par ailleurs à retrouver un emploi. Être victime d’ostracisme réduit l’estime de soi, réduit le sentiment d’être en contrôle, augmente le risque d’agression envers autrui et altère les capacités d’auto-régulation9. L’isolement social en prison mène également à un sentiment de déshumanisation et augmente le risque de récidive10.
La surpopulation carcérale et l’augmentation de codétenus par cellule ne permet pas de pallier ce ressenti d’isolement social. La plupart des prisons sont surpeuplées, surtout depuis la décision de l’ex-ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne de faire exécuter les courtes peines d’emprisonnement, pour lutter contre l'impunité. Cette hausse de la population carcérale a des répercussions sur les détenus : moins d’intimité, espaces sanitaires insuffisants, propagation des maladies, augmentation des tensions entre détenus, moins d’accès aux ressources éducatives et de réinsertion. De plus, la surpopulation affecte négativement le personnel carcéral, devenu insuffisant pour gérer un tel afflux.
Prison et responsabilisation : un sacré paradoxe
Nous attendons des individus incarcérés qu'ils adoptent une conduite responsable à leur libération. Or, la prison limite leur autonomie et leur indépendance. Entre un mode de vie extrêmement sédentaire, l'enfermement, l'isolement social et le manque de stimulation cognitive, la prison est un milieu qui appauvrit le fonctionnement cérébral. Elle a un impact sur l'inhibition des comportements inappropriés et sur la capacité à évaluer les conséquences de ses actions11.
Heureusement, certains systèmes pénitentiaires, dits « semi-ouverts » ou « ouverts », offrent plus de liberté aux détenus, qui peuvent travailler pendant la journée ou suivre des formations. L'accent est mis sur l'autonomie et la réinsertion dans la société. Cependant, ces systèmes ne sont pas la norme. En Belgique, il n'y a que trois prisons ouvertes sur un total de 38, et quelques maisons de transition qui sont des structures résidentielles aidant les personnes récemment libérées de prison à se réintégrer progressivement dans la société.
Plusieurs problèmes potentiels sont associés aux systèmes de prisons ouvertes, tels qu'un risque accru d'évasion ou la possibilité que des détenus commettent des délits lorsqu'ils sont à l'extérieur de l'établissement12. Certains détenus, en raison de la gravité de leurs crimes ou de comportements inadaptés à la vie en groupe, ne sont pas compatibles avec ce type de système. Cependant, de nombreux autres détenus auraient de meilleures chances de réinsertion s'ils étaient placés dans un système ouvert.
L'évolution du système carcéral est extrêmement lente, en raison notamment du manque de moyens et peut-être aussi d’un manque de volonté des décideurs politiques. En attendant, le système carcéral actuel continue de dysfonctionner et le taux de récidive ne diminue pas.
Conclusion
Attendre de la prison qu’elle favorise une réintégration parfaite dans la société relève actuellement de l'utopie. Les ressources nécessaires sont insuffisantes et, pour certains détenus, la situation peut même s'aggraver, accentuant leur sentiment d'exclusion sociale, les soumettant à des conditions parfois inhumaines et affectant leur bien-être mental.
Peut-être qu'un jour le système carcéral tel que nous le connaissons n'existera plus. En Suède, les prisons se vident progressivement et le taux de récidive diminue considérablement13. Les détenus bénéficient d'un meilleur suivi, et il n'y a pas de surpopulation carcérale, ce qui permet plus d'espace et d'activités pour les individus.
Mais en attendant, nous avons tous un rôle à jouer à notre petite échelle. Il est manifestement dans notre intérêt collectif de favoriser une réintégration réussie dans la société. Montrer de la compassion envers les personnes incarcérées peut s'avérer difficile pour bon nombre d'entre nous, mais c'est une étape qui peut s’avérer nécessaire pour construire ensemble une société plus sereine pour l'avenir.
Emilie Caspar, Professeure de psychologie et de neuroscience à l’Université de Gand, Membre du Collegium de l’Académie Royale de Belgique,
pour Carta Academica (https://www.cartaacademica.org/).
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Références
- II.10.2. Quelles sont les missions de la prison ? Amnesty International Belgique https://www.amnesty.be/veux-agir/agir-localement/agir-ecole/espace-enseignants/enseignement-secondaire/dossier-papiers-libres-2005-derives-identitaires-identites/article/quelles-missions-prison (2005).
- La récidive après une décision judiciaire. Des chiffres nationaux sur la base du Casier judiciaire central. INCC https://incc.fgov.be/la-recidive-apres-une-decision-judiciaire-des-chiffres-nationaux-sur-la-base-du-casier-judiciaire.
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[1] Convention européenne des droits de l'homme.