« T’ES SÛR, MOI JE NE ME SOUVIENS PAS »
Il me faut un certain temps pour assimiler ce que je viens d’entendre car je suis littéralement
abasourdi. Ces mots qui ont toute l’apparence de la banalité viennent de me foudroyer.
En effet, c’est mon ancien chef de groupe au SRPJ de Versailles qui les a prononcé en réponse à
cette question « Pierre, tu te souviens que nous étions les deux seuls policiers présents au moment
de la sortie du corps de Robert Boulin »
Je suis médusé et choqué et cet appel téléphonique du deux septembre 2022 fait de cette journée, le
jour de la trahison.
MA VERSION
Un retour en arrière s’impose.
Le 30 octobre 1979, Pierre Ramat mon chef de groupe passe me prendre à mon domicile pour
rejoindre le SRPJ. Franchement à ce moment je ne pouvais pas imaginer que cette journée
marquerait le début d’un très long processus qui allait me conduire à la confrontation avec la Justice
et l’Etat.
Arrivée au service le commissaire divisionnaire Brémond, sous-chef du SRPJ très énervé nous
ordonne de prendre la direction de Rambouillet car une personnalité, susceptible de mettre fin à ses
jours, avait été localisée dans le secteur. Il ne nous donne aucune précision sur l’identité de cette
personnalité nous indiquant que nous aurions des précisions par radio.
Nous partons en direction de Rambouillet et par la radio de bord il nous est indiqué de prendre la
direction des étangs de Hollande où le ministre du travail et de la participation monsieur Robert
Boulin pourrait mettre fin à ses jours par noyade.
Nous entreprenons des recherches dans le périmètre considéré ce qui nous conduit à l’entrée du
chemin conduisant à l’étang Rompu. Là nous remarquons la présence de deux gendarmes
motocyclistes ce qui me fait dire à mon chef de groupe « Pierrot on ne sera pas les premiers » Après
une petite altercation avec les gendarmes qui refusaient de nous laisser passer, nous nous engageons
sur le chemin et je constate que sur place il y a déjà de nombreux gendarmes et, au milieu du
chemin, deux officiers supérieurs de la gendarmerie. Avant de descendre du véhicule je note qu’une
Peugeot correspondant au signalement de la voiture du ministre est stationnée sur la berge et qu’un
camion de pompiers est garé sur la droite et en retrait de la voiture du ministre. L’accueil des deux
colonels n’est pas très chaleureux et visiblement notre arrivée les gêne. Celui que j’identifierais
ultérieurement comme le colonel Pépin donne l’ordre aux pompiers de sortir le corps qui est
immergé à environ six mètres de la berge et dont on ne voit que le dos et les cheveux blancs. Pierre
Ramat indique au colonel Pépin qu’il serait souhaitable d’attendre l’arrivée de l’identité judiciaire
avant de sortir le corps. Nonobstant l’officier réitère son ordre que les pompiers exécutent. Pour ce
faire ils font pivoter le corps qui était parallèle à la berge où ils l’amènent, au fil de l’eau et, arrivés
sur le bord, ils le retournent avant de le déposer sur le dos. C’est à ce moment que j’ai reconnu
Robert Boulin.
Dès que le corps a été déposé un gendarme s’est approché pour desserrer la cravate. Il n’y pas eu
d’autres constatations. Puis j’ai vu arriver un véhicule de police d’où sons descendus le
commissaire divisionnaire Brémond, le commissaire principal Tourre et l’inspecteur Lepache. Un
peu après c ́est le procureur général Chalret et le préfet des Yvelines qui sont arrivés le procureur
général a été quasiment assailli par les deux colonels d’un côté et les deux commissaires de l’autre
pour savoir qui serait saisi. Ce magistrat a alors demandé quel médecin avait constaté le décès. Il y eut comme un flottement, puis un médecin fût requis et constata le décès du ministre.
Ensuite et aprèsquelques tergiversations pour savoir si Pierre Ramat OPJ civil pouvait accompagner le corps du
ministre dans un hélicoptère militaire finalement la raison l’a emporté et Ramat a pu embarquer et
le corps fût transporté à la morgue de l’hôpital de la Sâlpêtrière .
Peu après le départ de l’hélicoptère le CP Tourre m’a ordonné de me transporter accompagné de
l’inspecteur Lepache à la morgue de la Salpêtrière pour y réceptionner le corps. A notre arrivée le
corps venait d’être transporté à l’institut médico-légal.
Sur place j’ai retrouvé Pierre Ramat qui se trouvait devant la porte de la salle d’autopsie qui était
fermée à clé, pratique inhabituelle. Puis j’ai remarqué la présence de deux hommes avec lesquels
j’ai engagé la conversation après les présentations j’ai appris qu’il s’agissait de messieurs Marcel
Cats et Yann Gaillard directeur et chef de cabinet de Robert Boulin. A un moment j’ai dit qu’est-ce
qui a pu pousser monsieur Boulin à une telle extrémité. Tous les deux étaient d’accord pour
reconnaître que la campagne de presse qu’avait dû subir le ministre était certainement la cause du
suicide.
La porte de la salle s’est ouverte et l’autopsie a commencé après que l’un des médecins ait demandé
à messieurs Cats et Gaillard de sortir. Puis le CP Tourre estimant qu’il y avait trop de monde a
demandé à l’inspecteur Lepache de sortir pour se mettre à l’écoute de la radio.
Pour moi cette autopsie a été inhabituelle dans la mesure où je savais que je n’aurais pas de procès
-verbal à rédiger je me suis placé en retrait. Cependant à un moment la porte s’est ouverte et le
premier substitut du Parquet de Versailles a fait irruption pour dire « Pas la tête la famille s’y
oppose » monsieur Leimbacher a dit autre chose sans doute il a argumenté mais l’essentiel de son
message était clair.
Ensuite j’ai regagné le service et je n’ai pas travaillé sur cette affaire car un groupe avait été mis en
place. Je n’ai établi aucun PV et comme tous mes collègues j’étais convaincu qu’il s’agissait d’un
suicide d’ailleurs cette version faisait l’unanimité y compris pour la famille du ministre.
Plus tard de nouveaux éléments étant parvenus à la connaissance de la famille une information a été
ouverte et c’est dans le cadre de cette information que j’ai été entendu par monsieur Bardon
directeur du SRPJ de Versailles que j’avais quitté en 1983 pour rejoindre le SRPJ d’Ajaccio. C’est à
cette occasion que j’ai découvert que le vieux dicton « Le mieux est l’ennemi du bien » est une
réalité mais je ne l’ai découvert que bien plus tard. En arrivant au service j’ai été accueilli par le
commissaire Gilles Leclair avec lequel, avant de commencer la rédaction du PV, j’ai bavardé et il
m’a dit que je devrais m’entendre moi même au nom de Claude Bardon sous son contrôle. Puis il
m’a expliqué que des excoriations avaient été découvertes sur le visage du ministre et que le but de
ce procès-verbal était d’expliquer la présence de ces excoriations. La seule possibilité étant la sortie
du corps par les pompiers. C’est pourquoi j’ai écrit que le visage avait vraisemblablement râpé la
berge. Je précise qu’en 1984 je suis toujours convaincu qu’il s’agit d’un suicide et le commissaire
Leclair parle d’excoriations ce qui veut dire écorchures superficielles et pas fractures. A l’issue de
cette audition faite par moi même sous le contrôle de Gilles Leclair je suis rentré Ajaccio.
C’est le 30 octobre 1979 que « L’affaire Boulin » a commencé. Il est évident qu’avec le temps de
nombreux souvenirs se sont estompés mais les faits marquants eux s’impriment dans la mémoire.
J’avoue que la version officielle du suicide était, pour moi, une évidence car aucun élément sérieux
n’est parvenu à ma connaissance permettant de la remettre en cause et par ailleurs j’avais confiance
dans le professionnalisme de mes collègues et de la hiérarchie versaillaise. Mais en novembre 1983
j’ai été muté au SRPJ d’Ajaccio et je n’ai gardé aucun contact avec mon ancien service car il faut
dire que dans les années quatre-vingt à la PJ d’Ajaccio nous étions un peu bousculés. Donc
progressivement j’ai oublié cette affaire Boulin. Mais, en 2007, c’est la lecture du livre de Benoît
Collombat « Un homme à abattre » qui m’a amené à reconsidérer ma position concernant la mort de
Robert Boulin et m’a conduit à abandonner la version officielle du suicide pour celle d’un
assassinat.
En effet, à la suite d’un quiproquo que j’ai relevé dans le livre de Benoît Collombat, j’ai rencontré
l’auteur qui m’a présenté des photos et des documents ,dont je n’avais pas eu connaissance, lesquels
ajoutés aux éléments mis en évidence dans le livre ont emporté ma conviction. Toutefois je précise
que le seul fait que des collègues ,qui n’étaient pas sur les lieux au moment de la sortie de l’étang
du corps de Robert Boulin aient accepté de faire des procès-verbaux pour attester de leur présence,
suffit pour emporter ma conviction car quel serait l’intérêt de faire des faux PV pour confirmer un
suicide.
J’AFFIRME SUR L’HONNEUR QUE LORS DE LA SORTIE DE L’ÉTANG DU CORPS DE
ROBERT BOULIN IL N’Y AVAIT QUE DEUX POLICIERS PRÉSENTS PIERRE RAMAT ET
MOI.
VERSION DE PIERRE RAMAT
Procès-verbal du 27 octobre 1983 de Pierre Ramat
« le 30 octobre 1979, étant de permanence à mon domicile, j’ai été avisé à 6h30 par l’état-major des
transmissions de la disparition d’une haute personnalité, laquelle était susceptible de mettre fin à ses
jours. Conformément aux instructions de Monsieur Aimé Bremond, commissaire divisionnaire,
sous-chef du service, il m’a été prescrit d’entreprendre avec les inspecteurs de mon groupe, des
recherches dans la région des étangs de Hollande, en forêt de Rambouillet.
C’est vers 8h45 que par la radio du véhicule administratif, j’ai appris la découverte de ladite
personnalité, à l’étang rompu, non loin de Saint-Léger en Yvelines (Yvelines) je me suis transporté
immédiatement avec mes collègues pour me mettre à la disposition de Monsieur Alain Tourre,
commissaire principal chef de la section criminelle et j’ai alors appris que le cadavre qui venait
d’être retiré de l’eau était celui de Monsieur Robert Boulin. Après les premières investigations
effectués par la gendarmerie, c’est le chef de service qui a procédé aux constatations sur le corps,
qui reposait sur la rive et sur le véhicule c’est vers 11 heures que, conformément aux instructions de
Monsieur Tourre, j’ai pris place à bord d’un hélicoptère de la gendarmerie nationale, en compagnie
de Monsieur,Leimbacher substitut de Monsieur le procureur de la république à Versailles, pour
convoyer le corps de Monsieur Boulin jusqu’à l’hôpital de la pitié à Paris d’où il devait être
transporté jusqu’à l’institut médico-légal. (La suite n’offre pas d’intérêt direct)
Pierre Ramat en faisant ce procès-verbal sous le contrôle de Gilles Leclair commet un faux car il
n’a pas été avisé par l’état-major des transmissions à 06h30 le 30 octobre puisqu’il est passé me
prendre à mon domicile et que nous sonnes arrivés au service à 07h45. Mais cette réalité ne collant
pas avec le déroulé des faits, à savoir que l’avis de recherche concernant Robert Boulin est émis à
06h25 par le ministère de l’intérieur et forcément il fallait faire coïncider cet élément avec la réalité
du terrain. Donc Ramat et Leclair me font disparaître.
Ensuite il dit que c’est par la radio du véhicule administratif qu’il apprend que la personnalité
recherchée a été trouvée à l’étang Rompu et qu’il s’y rend immédiatement avec ses collègues pour
se mettre à la disposition du CP Tourre et il a appris que le cadavre qui venait d’être retiré de l’eau
était celui de Robert Boulin.
Je comprends mieux à la lecture de ce PV cette réponse « T’es sûr, moi je ne m’en souviens pas »
Par la magie de ce faux procès-verbal je disparais une fois encore mais un personnage qui n’était
pas sur place au moment de la sortie du corps y apparaît à savoir le CP Tourre. Tout cela pour un
suicide?
VERSION DU COMMISSAIRE PRINCIPAL ALAIN TOURRE
Ce haut fonctionnaire de la police nationale relate, sur deux procès-verbaux différents son action
« C’est à 8h40 que me trouvant non loin des lieux, assisté d’une équipe d’enquêteurs du service que
j’ai été avisé de la découverte par une patrouille de militaires de la gendarmerie du véhicule du
ministre à proximité immédiate de l’étang rompu. Sur place à quelques mètres du bord de celui-ci,
flottait dans l’étang un corps dont la partie dorsale émergeait. Il devait s’avérer très rapidement dès
la sortie de celui-ci par deux plongeurs des sapeurs-pompiers qu’il s’agissait de Monsieur Robert
Boulin. C’est donc deux plongeurs qui devaient appartenir je crois au corps des sapeurs-pompiers
de Versailles qui ont ramené le cadavre sur la berge en le tirant chacun par un bras, face contre le
sol, c’est d’ailleurs dans cette première position qu’il a été déposé sur la rive, d’une manière qui
m’est apparue un peu rude. Le cadavre fut ensuite retourné sur le dos. Les militaires de la
gendarmerie ont aussitôt commencé l’inventaire des objets qui se trouvait dans les poches des
vêtements de Monsieur Boulin qui ne présentaient , avant cette fouille aucun désordre. Sa cravate
était notamment normalement ajustée.
Alain Tourre a également rédigé un PV de constatations . Ce qui est curieux c’est que je ne l’ai pas
vu procéder à ces constatations et je n’ai quitter les lieux que sur son ordre, après que le corps ait
été évacué par hélicoptère.
Pour quelqu’un qui n’était pas présent lors de la sortie du corps de Robert Boulin je considère que le
CP Tourre est un homme qui ne manque pas d’imagination. Il a d’ailleurs écrit un livre concernant
différentes enquêtes du SRPJ de Versailles dont l’affaire Boulin et il décrit avec la même
imagination la sortie du corps de Robert Boulin à laquelle il n’a pas assisté.
LA VERSION DE GILLES LECLAIR
« Donc deux hommes grenouilles sont allés chercher le corps. Dans cet étang, il y avait autant d’eau
que de vase. Il y avait des branches. Ce n’était pas facile de bouger. les hommes grenouilles se sont
cassés la figure en sortant Robert Boulin de l’eau le corps leur a échappé et la tête a heurté une
souche. On a vu des éraflures et des petits hématomes.
Jean Pierre Courtel ? « Il était présent, c’est vrai, mais comme une centaine de policiers de la PJ il
était arrivé chez nous depuis trois mois. C’était juste le chauffeur du chef de groupe... Il ment. »
C’est une véritable contagion Gilles Leclair qui, lui non plus, n’était pas présent lors de la sortie du
corps fait preuve de la même imagination que Alain Tourre avec quelques variantes. Mais il y a
chez ces deux commissaires ce qui est quasiment obsessionnel la volonté de démontrer
l’incompétence professionnelle des pompiers qui sortent le corps sans précaution la face vers le sol
et le dépose, dans cette position, sur le sol. Gilles Leclair déclare que les pompiers se sont cassés la
figure et que la tête du défunt avait heurté une souche. En réalité ce que veulent ces deux
commissaires c’est prouver que les « marques » sur le visage de Robert Boulin sont consécutives au
manque de professionnalisme des pompiers.
Me concernant Gilles Leclair avec le tact et la délicatesse qui le caractérise se montre méprisant et
approximatif car j’étais au SRPJ Versailles depuis 17 mois et non 3 et j’ai passé le concours
d’inspecteur pas de chauffeur ensuite il ajoute IL MENT si le sujet n’était pas aussi grave ce serait
risible.
EN GUISE DE CONCLUSION
A la suite d’un entretien sur FR3 repris sur le réseau national j’avais évoqué le comportement
irrationnel d’un collègue qui prétendait avoir assisté à la sortie du corps de Robert Boulin et affirmé
que les pompiers par maladresse avaient heurté un rocher, le corps tête en avant, ce qui avait causé
des dommages au visage du ministre. J’avais indiqué que ce collègue n’était pas présent et qu’il n’y
avait pas de rocher dans l’étang Rompu. Il a déposé plainte pour diffamation et à reçu le soutien de
l’administration. J’ai été condamné en première instance puis en appel. Cette condamnation injuste
me pèse.
Je le redis et je le maintiens il n’y avait au moment de la sortie du corps que deux policiers Pierre Ramat et moi. Celui que je considérais comme un ami m’a trahi. J’imagine les raisons qui l’ont
poussé à cette trahison. On résiste difficilement aux pressions hiérarchiques surtout si celles-ci
agissent sous le couvert de la raison d’Etat.
Aujourd’hui je suis meurtri et je n’espère plus rien car je sais que je ne suis pas armé pour
remporter le combat de la vérité pour autant je n’ai pas l’intention d’abandonner.
Ce billet est intégralement rédigé par Jean-Pierre COURTEL, à l'époque officier de Police Judiciaire au SRPJ Versailles
le 30 0ctobre 1979, il est , avec son chef de groupe Pierre Ramat, le seul policier présent lors de la sortie du corps du ministre Boulin des eaux peu profondes de l'étang Rompu. Il tient à faire part de son indignation face aux mensonges de sa hiérarchie et de son collègue. Jean-Pierre Courtel a découvert la "trahison" de ce celui qu'il considèrait comme son ami le 3 sepembre 2022.