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Billet de blog 27 novembre 2021

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ASSASSINAT BOULIN : L'AFP censurée

Le mercredi 28 octobre 1987 le juge parisien Yves Corneloup, chargé de l'instruction sur la mort de Robert Boulin, se rend dans l'ile espagnole d'Ibiza, pour procéder à l'audition de Henri Tournet. Dans cette ile de l'archipel des Baléares réside, depuis fin 1979, le promoteur qui a vendu en 1973 une parcelle de deux hectares à Robert Boulin.

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Cette vente, d'un montant de 40.000 F d'un terrain situé sur le territoire de la commune de Ramatuelle, est toujours en 2021 la  cause supposée du prétendu suicide de Robert Boulin.

A la suite de l'instruction menée par le juge de Caen Renaud van Ruymbeke, M.Tournet a été condamné in absentia en 1981 pour faux en écritures publiques par la cour d'Assises de Coutances, à 15 ans d'emprisonnement.  Le promoteur n'a toutefois jamais fait l'objet d'une demande d'extradition de la part des autorités françaises à leurs homologues espagnoles. Contrairement aux engagements pris par le procureur Thouzet auprès du juge Van Ruymbeke

L'audition se déroule dans les locaux de la Guardia civil à Ibiza.

INGERENCE INEDITE AUPRES DE L'AFP MADRID

Ce mercredi 28 octobre en début de matinée, Jacques Lhuillery, chef du bureau de l'AFP à Madrid,  reçoit un coup de téléphone de l'ambassadeur de France en Espagne, Francis Gutmann. Le haut diplomate, sur un ton comminatoire, enjoint au journaliste de ne pas couvrir la visite du juge Corneloup à Ibiza.

Cette démarche, tout à fait inédite -aucun précédent ne figure dans les annales de l'AFP- et en contradiction avec les statuts de l'Agence France-Presse- n'aurait toutefois pas été de nature à entraver le travail normal du bureau de Madrid, qui consiste justement à couvrir ce genre d'évènements.

Cependant, dans la demi heure qui suit l'appel de l'ambassadeur Gutmann, c'est le PDG de l'AFP, Jean-Louis Guillaud, qui, sur un ton particulièrement cassant ordonne à Jacques Lhuillery de renoncer à couvrir la visite du juge Corneloup.

La menace n'est pas voilée; au cas où Jacques Lhuillery persisterait à rendre compte de l'audition de Tournet, ce serait le rappel immédiat à Paris pour faute lourde, avec toutes les conséquences prévisibles.

"Il ne faudra pas compter sur l'appui des syndicats" ajoute le PDG, "j'en fais une affaire personnelle", insiste lourdement jean-louis Guillaud.  Le fait que le déplacement à Ibiza du juge Corneloup ait été annoncé, notamment par un article de James Sarazin dans l'Express de la semaine précédente, ne modifie en rien la position de M. Guillaud.

https://www.lexpress.fr/actualite/politique/boulin-le-juge-reprend-l-enquete_893053.html

L'AFP, ni aucun media français ne rendit compte du voyage à Ibiza du juge Corneloup.

L'internet n'existant pas en 1987, les articles consacrés à cette audition par la Vanguardia, le Correio de Ibiza et l'agence EFE (l'équivalent espagnol de L'AFP -en format réduit- ) ne furent pas repris .

POURQUOI CETTE CENSURE FLAGRANTE ?

Avant la visite du juge Corneloup, plusieurs journalistes, ainsi que des  réseauteurs casanier s'étaient rendus à Ibiza, où ils se sont longuement entretenus avec Henri Tournet, qui servait à tous ses visiteurs la même soupe.

Aucun élément de nature à éclairer les circonstances de la mort du ministre Boulin. En revanche, Tournet était intarissable sur ses faits de Résistance, qui lui valurent le titre d'officier de la légion d'honneur, sur sa relation quasi fraternelle avec son compagnon de Résistance Jacques Foccart, sur sa grande honnêteté etc etc.

Mais aucune réponse à une question passionnante : Comment  Tournet explique-t-il la présence à ses côtés, en 1945, à la mission commerciale  française à New York, présidée par Jean Monnet, de Jean Leguay ?

Ce personnage était en 1942, délégué en zone occupée, du secrétaire général à la  police nationale René Bousquet,  et à ce titre l'un des principaux architectes-réalisateurs de la rafle du vel d'hiv.

Après la reddition du maréchal Von Paulus à Stalingrad, M. Leguay se fit nommer préfet de l'Orne, département où le tandem Tournet Foccart exerçait les lucratives activités de fournisseur en bois d'oeuvre de l'organisation Todt, en charge de la construction du mur de l'Atlantique.

Tournet se targuait toujours d'arborer fièrement chaque 14 juillet sa rosette à la garden party donnée par le Consul Général de France à Palma de Majorque, alors que sa condamnation par la cour d'Assises de Coutances l'avait automatiquement radié de l'ordre de la légion d'honneur...

UNE CRISPATION DE LA COHABITATION

Depuis mars 1986, la France est sous le régime  de la cohabitation. Avec Jacques Chirac premier ministre et Charles Pasqua* ministre de l'Intérieur -personnalités avec lesquelles Robert Boulin, de son vivant, entretenait des relations pour le moins difficiles- la médiatisation des investigations sur sa mort n'est pas à l'ordre du jour.

N'étant pas en capacité d'anticiper ce que Tournet pourrait dire ou ne pas dire au juge Corneloup, mieux vaut mettre en place préventivement l'éteignoir. Etant acquis que le ministre des Affaires Etrangères, Jean-Bernard Raimond, n'est pas du genre à défendre becs et ongles la liberté d'informer, si MM. Chirac et Pasqua estiment préférable, via l'ambassadeur de France à Madrid, d'occulter le déplacement du juge Corneloup à Ibiza.

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* En juin 1979, à son retour d'une visite de travail aux USA, Robert Boulin est reçu, à sa demande par le maire de Paris Jacques Chirac. Le lendemain, le RPR (Rassemblement Pour La République, le parti créé en 1976 par le tandem Chirac - Pasqua pour se substituer au précédent parti gaulliste, l'UDR, en éliminant quelques figures gaullistes historiques, (dont Robert Boulin et Alexandre Sanguinetti) publie un communiqué annonçant, sans la moindre explication, que Charles Pasqua démissionne de toutes ses fonctions au Secrétariat National du RPR.

Le 8 novembre 1979, au lendemain de l'enterrement de Robert Boulin, Charles Pasqua publie, via l'AFP, un communiqué triomphal annonçant qu'il reprend à partir de ce jour, toutes ses fonctions au Secrétariat National du RPR.

Est-il illégitime de considérer que Robert Boulin a pu jouer un rôle important dans la démission de M. Pasqua ?

Boulin mort, ses dossiers disparus de son domicile dans la nuit du 29 au 30 octobre, M. Pasqua peut sereinement récupérer ses hautes fonctions.

Curieusement, Charles Pasqua fut deux fois ministre de l'Intérieur, en gouvernement de cohabitation sous le premier et le second septennat de François Mitterrand. Il n'eût jamais de fonctions ministérielles lorsque la droite était au pouvoir sans partage.

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