Il y a déjà eu beaucoup de victimes, et il y en aura encore beaucoup d’autres. Je ne parle pas du million de cas mortels recensés à ce jour[1]. Depuis mars, ces morts de la Covid-19 font la une des médias. On ne cesse de nous faire croire que c’est une nouvelle terrible. Ce n’est qu’entre les lignes qu’on rappelle que la grande majorité des personnes décédées étaient âgées, et que bien souvent elles présentaient aussi d’autres pathologies – et il est à parier que le virus qui circule actuellement aura accéléré le décès de nombre d’entre elles sans en avoir été la cause principale. C’était, dans l’écrasante majorité des cas, des gens en fin de vie. Aussi triste que cela puisse être, c’est la vie.
Or bien sûr, il ne faut pas donner l’impression qu’on néglige les vieilles personnes. Tout un pan de l’économie est plus ou moins directement lié à l’industrie gérontologique – maisons de retraite et de soins, cliniques, produits des laboratoires pharmaceutiques et j’en passe. Il y a de l’argent à faire en gardant les gens en vie le plus longtemps possible, même envers et contre tout. Sauf s’ils sont vraiment pauvres. D’ailleurs, la proportion élevée de cas mortels de la Covid-19 parmi les pauvres n’est pas un secret.[2] D’autant plus que c’est pratique d’attribuer la faute de leur décès au virus. Cela évite de parler du fait que les pauvres sont des personnes souvent déjà affaiblies par le manque de soins justement, ou par la malnutrition, et que le plus grand nombre de cas d’obésité se retrouve, comme par hasard, dans cette frange de la population. À propos, il paraît qu’aux Etats-Unis, beaucoup de morts de la Covid-19 sont noirs et obèses - c’est presque une définition de la pauvreté, là-bas.
Mais, au fond, un million de morts en neuf mois à l’échelle de la planète, ce n’est rien. D’ailleurs, depuis janvier, il y a près de quarante-quatre millions de personnes qui sont mortes.[3] Cela fait donc quarante-trois millions dont on ne parle presque pas. C’est bizarre tout de même. De quoi sont-ils morts, ces gens-là ? En cherchant sommairement, on apprend qu’il en meurt près de dix-huit millions par an[4] en raison des maladies cardio-vasculaires (donc, pour une bonne partie, des suites d’une alimentation trop grasse et trop sucrée fabriquée par l’industrie agroalimentaire), huit de cancers (là, c’est en partie pas de chance, en partie à cause de nos modes de vie stressants, ou des pesticides et autres saloperies industrielles qu’on ingurgite à longueur de journée…), quatre de problèmes respiratoires (dus à la pollution ?), sans parler des neuf millions qui meurent de faim et de malnutrition, donc de pauvreté.[5] Bizarrement toujours, c’est de la guerre elle-même que peu de gens meurent, moins de 200.000 (dont beaucoup de civils) par an[6], et pourtant les dépenses militaires atteignent près de 2.000 milliards d’euros par an.[7] Cela fait cher le soldat (ou le civil) abattu… Ah oui, et les accidents de la route ? 1.350.000 tout de même ![8]La Covid-19 a encore du chemin à faire… Surtout que contrairement au confinement et aux mesures imposées aux populations à cause de la pandémie, personne ne songe à interdire l’automobile ! Et bien sûr, si on fait un grand cas des conséquences à long terme pour certains malades du virus, on ne dit pas très haut que les accidents de la route sont responsables de 20 à 50 (!) millions de blessés tous les ans, dont beaucoup de handicapés à vie.
Les médias (je parle bien sûr ici des médias dominants, qui dépendent des milliardaires et des recettes publicitaires, pas des très rares médias indépendants) sont donc très sélectifs dans leur choix d’informer – ou plutôt : arrêtons la langue de bois, ces médias-là ne sont pas là pour informer, ils désinforment la plupart du temps, ou voilent les réalités en encombrant les esprits avec des sottises, parce qu’ils servent des intérêts qui n’ont rien à voir avec l’information.
Je disais donc que ce n’est pas du petit million de morts de la Covid-19 que je voulais parler (et qu’on ne vienne pas me faire ch… avec du politically correct : à ce jour, il s’agit bien d’un « petit » million), mais d’autres victimes. De qui s’agit-il ? Eh bien, d’une bonne partie de ceux et celles qui ne sont pas encore morts. Moi, par exemple.
Je n’ai jamais souffert d’hallucinations, mais depuis récemment, je me pose des questions. En ce 24 septembre, j’ai lu dans Les Echos (remarquez, c‘était tout à fait par hasard, j’essayais juste d’échapper à l’indigence générale des articles sur lesquels je tombais et je suis aussi tombé sur celui-ci) que « les hôpitaux (en Île-de-France) risquent d’être mis sous tension » et que le ministre Olivier Véran justifie les nouvelles mesures du fait qu’ « au rythme actuel de près de 50 nouvelles entrées par jour en soins critiques, contre une quinzaine par jour il y a une semaine, correspondant à un doublement du nombre de patients en réanimation tous les 15 jours, 40 % des capacités régionales de réanimation seront utilisées vers le 10 octobre, 60 % vers le 25 octobre (700 patients), 85 % autour du 11 novembre (1.000 patients) ».
Hein ? Oui, j’hallucine… C’est un ministre de la santé d’un pays qu’on dit civilisé qui parle, sans rire. Ce monsieur semble connaître les chiffres et les statistiques, mais que fait-il là ? Le 11 novembre, c’est dans six semaines… Et cela fait plus de six mois que nous entendons parler des hôpitaux saturés, comme si leurs limites étaient une donnée transcendantale. Mais alors, la politique, ça sert à quoi ? Notez bien : les hôpitaux « risquent » d’être mis sous tension, ce n’est pas une certitude, c’est juste une possibilité. Et donc ce type (et beaucoup d’autres comme lui, ici c’est juste un exemple, même pas caricatural malheureusement) est prêt à imposer à tout prix des mesures (ce qui lui permettra de dire après que sans elles cela aurait été pire, ce qui sera bien sûr invérifiable) pour un « risque » très probablement calculé par un ordinateur selon des simulations qui n’ont rien à voir avec la réalité – sauf avec celle d’idiots geekérisés qui passent leur vie devant des écrans et se croient malins avec leur joujou. C’est dommage que les trains électriques miniatures d’antan soient passés de mode, c’était excellent pour occuper ce genre de cerveaux infantiles (des petits et des grands) et ils causaient moins de dégâts…
Et si au lieu de se contenter de prophéties et de pérorer sur les médias, ce ministre (comme beaucoup d’autres) avait profité du temps passé et de celui qui reste pour aider les hôpitaux à mieux se préparer, mieux s’équiper, et pour leur donner les moyens de former et engager du personnel ? Et qui sait, le virus se sera peut-être fatigué d’ici là, et cette deuxième vague dont on nous bassine depuis des mois n’aura finalement été qu’un mouvement de houle[9] et du coup, on pourrait envisager la venue d’une prochaine pandémie avec un peu plus de sérénité ? Car quelque chose me dit qu’au rythme où la biodiversité se réduit, des virus qui sautent de l’animal à l’homme, il y en aura encore.[10] On appelle ça assumer ses responsabilités politiques ? Moi j’y vois plutôt une façon irresponsable de se cacher derrière des fantasmes technologiques et un langage abscons pour jeter de la poudre aux yeux et masquer son incommensurable incompétence. Mais tant qu’on reste au pouvoir…
Oui donc, des victimes, à part moi qui hallucine, il y en aura encore beaucoup. Je pense à tous les petits commerces qui vont sombrer (pour la grande industrie, dont celle qui s’occupe de l’informatique et de l’énergie soi-disant verte, je ne m’en fais pas, je parie qu’elle saura s’accaparer le gros des aides d’Etat), mais aussi à toute une partie du secteur culturel qui ne s’en remettra pas de sitôt, à tous ces dépressifs dont certains vont probablement passer à l’acte dans le froid et la grisaille de l’hiver (ah oui, il y a aura peut-être aussi un baby-boom en même temps - tout un printemps enfermés à la maison, ça a dû donner des idées… au moins, ça c’est une belle nouvelle), et puis à la démocratie et à la joie de vivre.
Comment ça ? Oui, la démocratie est une des grandes victimes de cette histoire. Elle était malade, la voilà agonisante et je pense que l’avènement de la 5G la poussera définitivement dans son cercueil. Une fois que tout le monde sera contrôlable (car c’est vers cela que mène la 5G, c’est évident), influençable et finalement soumis (en partie avec son assentiment complice, en partie malgré lui, et en partie par lassitude), même ce qui reste de simulacre de démocratie disparaîtra. Victoire éclatante du virus pourrait-on déclarer, qui aura achevé le rêve démocratique, mais l’exploit est à relativiser : il faut dire que ce rêve était déjà bien affaibli et que tout ce qui le combattait depuis longtemps a profité de la pandémie pour arbitrer en faveur du vainqueur.
Et que vient faire la joie de vivre ici ? Ben oui, on a tellement engendré la peur de l’autre, de celui-sans-masque (avant c’était le contraire, c’étaient les masqués qui étaient des bandits, sauf pendant le Carnaval), de l’asymptomatique, du corps humain tout court, que beaucoup se réfugient dans le monde des ordinateurs pour se rassurer. Ils ont tellement peur de mourir qu’ils cessent de vivre ou ne le font plus que par écran interposé. Des zombies avant d’avoir été enterrés (les zombies, au moins, ont vécu avant de ressortir de leur cercueil… mais au fait, ça marche comment avec les incinérés ?). Je pressens que ce sont surtout les jeunes d’aujourd’hui qui vont déguster, eux qui auraient pu se réjouir des premières expériences d’aspirants adultes et qui doivent à longueur de journée respecter des gestes-barrière et s’asperger les mains avec un infect désinfectant (ah oui, combien de maladies de la peau cette autre manie va-t-elle bientôt causer ?). Quant aux bébés et petits enfants, ils auront vu le jour et commencé à grandir en un moment de grande méfiance – et en voyant très peu de sourires autour d’eux. Je m’effraye en pensant à ce qu’ils deviendront adultes… Mais bordel ! Est-ce vraiment cela qu’on veut ? Que reste-t-il des belles promesses de la vie ?
Dans le film La Planète Interdite (Forbidden Planet, Fred Wilcox, 1956), un vaisseau spatial, parti de la Terre à la recherche des rescapés d’une mission antérieure, retrouve un vieux professeur et sa charmante jeune fille (un peu nunuche il est vrai) confortablement installés dans une superbe villa, servis par un sympathique robot sachant tout faire. Or, suite à l’insistance du beau capitaine pour ramener les survivants qui mènent une vie paradisiaque sur cette planète déserte, des membres de son équipage sont attaqués par une mystérieuse créature invisible que rien ne semble pouvoir arrêter. On apprend au fur et à mesure de l’histoire que la planète avait été habitée auparavant par une civilisation très avancée qui maîtrisait la technique à la perfection mais qui avait disparu subitement, laissant derrière elle une immense machine qui produit encore de l’énergie à profusion. Le vieux professeur se sert de cette énergie pour vivre avec sa fille et son robot - une vie tranquille jusqu’à l’arrivée du nouvel équipage qui risque d’être anéanti comme le fut le reste de la mission antérieure une vingtaine d’années plus tôt. Le vieux n’a aucune envie de partir, mais – et c’est là que le récit devient formidable ! – on découvre alors que la mystérieuse créature meurtrière n’est autre qu’une force émanant de son subconscient qui utilise l’énergie produite par la machine pour tuer les visiteurs inopportuns. Voilà donc une civilisation techniquement si avancée qu’elle avait résolu tous ses problèmes d’énergie et vivait dans un confort matériel absolu (remarquez, l’énergie inépuisable est un fantasme, dans la réalité ça n’existe pas, le film a été fait en plein rêve américain de l’après-guerre). Seulement, les gens avaient perdu, sans s’en rendre compte, leur raison ou leur joie de vivre, et ils se sont entretués. La grande originalité du scénario consiste, me semble-t-il, dans l’idée qu’ils le firent inconsciemment, sans même s’en apercevoir, et sans méchanceté pourrait-on dire – d’ailleurs, dès qu’il comprend et accepte ce qui se passe, le vieux professeur (il faut bien donner une lueur d’espoir, on est à Hollywood !) va se suicider pour sauver les autres.
Je trouve la métaphore saisissante et elle devrait donner à réfléchir (consciemment, s’entend) : si de peur de mourir nous brimons nos désirs de vivre, de sombres et lugubres années nous attendent…
Enrico Lunghi
[1] 999.239 pour être exact selon le site officiel de l’OMS, http://www.who.int/ (au 28 septembre 2020)
[2] Un exemple : https://prospect.org/coronavirus/covid-19-class-war-death-rates-income/
[3] 43.930.000 selon www.worldometers.info (28 septembre 2020)
[4] https://www.world-heart-federation.org/wp-content/uploads/2017/05/WCC2016_CVDs_infographic.pdf
[5] https://www.theworldcounts.com/challenges/people-and-poverty/hunger-and-obesity/how-many-people-die-from-hunger-each-year/story
[6] https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_armed_conflicts_in_2019
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_dépenses_militaires
[8] https://www.cdc.gov/injury/features/global-road-safety/index.html
[9] Rien à ce jour n’indique qu’une deuxième vague aura lieu puisque dans le monde entier le nombre des décès est en baisse, même en Inde (voir https://www.who.int/) : difficile de ne pas croire que continuer à faire peur avec son hypothétique arrivée et le nombre de test positifs (ce qui n’a rien à voir avec le fait d’être malade) sert aussi les intérêts des laboratoires pharmaceutiques et de tous ceux qui spéculent avec la mise sur le marché d’un vaccin…
[10] Moi, si j’étais un virus, je ferais pareil : ce n’est pas un hasard si les grippes aviaire, bovine et porcine augmentent depuis quelques décennies, car ce sont les animaux élevés pour notre nourriture qui sont les plus nombreux sur terre (ça arrivera aussi avec les poissons d’élevage, ce n’est qu’une question de temps). Et à eux s’ajoutent les humains, seule grande espèce animale encore en expansion. Les virus ont de moins en moins de choix...