Le cofondateur du site d’information Mediapart met en effet l’accent sur la chance que représente pour la France sa pluralité d’origines, de cultures, de croyances ; et défend une certaine idée de la France et de la République. Au printemps dernier, lors du Salon du livre et de la presse de Genève, Edwy Plenel avait participé à une conférence sur l’avenir de la presse. Dans le public, au premier rang, une famille musulmane s’était spécialement déplacée pour rencontrer l’auteur de « Pour les musulmans », se faire dédicacer le livre par son auteur; et le remercier pour ses mots apaisants, quelques semaines seulement après l’assassinat des dessinateurs de « Charlie Hebdo ».
Dans le contexte de l’après-vendredi 13 novembre, alors que des actes islamophobes se multiplient, le livre d’Edwy Plenel est plus que jamais d’actualité. Aujourd’hui comme hier, le journaliste déplore la banalisation, au sein de la société française, d’un discours « anti-musulmans » décomplexé, qui ressemble, selon lui, à la stigmatisation dont avait fait l’objet, à une autre époque, la communauté juive. Le titre de son ouvrage renvoie d’ailleurs à « Pour les Juifs » - article qu'Emile Zola rédigea en 1896, 20 mois avant son fameux « J'accuse ». « Il aurait aussi pu s’intituler « Pour la France » ou « Pour les minorités », a déclaré Edwy Plenel lors de la parution de son livre l’année dernière.
Depuis le 13 novembre 2015, donc, la France et le reste du monde sont en état de choc. Dans les médias, sur les plateaux de télévision, on ne parle plus que de ces dizaines d’anonymes assassinés lors d’un concert ou à la terrasse d’un café, par des jeunes du même âge. Français comme eux, morts eux aussi, dans des scénarios devenus tragiquement banals sous d’autres cieux, en Irak, en Syrie, en Turquie, au Liban, au Nigeria, et ailleurs.
C’est tout le mérite du livre d’Edwy Plenel d’avoir remis, dès l’année dernière, l’église ou la mosquée au milieu du village : « Je ne défends pas ceux qui trahissent leur religion en commettant des crimes, je défends nos compatriotes qui n’y sont pour rien et qui sont en même temps stigmatisés ou oubliés », écrit-il dans son ouvrage, dans lequel il clame son indignation face à l’indifférence dans laquelle se retrouvent les musulmans de France, devenus des boucs émissaires pour tous les crimes commis « au nom de l’Islam ».
Dans son livre « Pour les musulmans », Edwy Plenel raconte comment les musulmans de France font l’objet de « préjugés négatifs, de rejets, de propos injurieux ou diffamatoires, d’incitations à la haine ». C’est ce climat délétère que veut combattre l’ex-directeur de la rédaction du Monde, par solidarité avec la communauté musulmane mais aussi par fidélité « à notre Histoire, à notre mémoire, à notre héritage ». Cette Histoire et cet héritage auxquels les musulmans, comme d’autres composantes de la nation française, ont participé en donnant de leur chair et de leur sang au nom d’un idéal commun, celui de la liberté et de la dignité humaine.
Reste que les temps qui s’annoncent ne présagent rien de bon. A l’instar de ce qui s’était passé après les attentats de janvier 2015, les incidents islamophobes se multiplient depuis le 13 novembre. Au Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), le téléphone ne cesse de sonner. A l’autre bout du fil, des personnes témoignent avoir subi des agressions, des insultes, des perquisitions sans autorisation. Dans ce tohu-bohu généralisé – dans lequel s’est encore invitée une prise d’otages par de présumés djihadistes dans un grand hôtel de Bamako - les paroles apaisantes, appelant au calme, pourront-elles encore se faire entendre ? Rien n’est hélas moins sûr.