
Le Sénégal, véritable îlot démocratique dans une Afrique de l’Ouest, politiquement marquée par des processus démocratiques dévoyés et des coups d’Etat, a failli sombrer à son tour - après l’annonce de l’annulation des élections présidentielles prévues le 25 février, faite par le président sortant Macky Sall, suspecté de vouloir jouer les prolongations après douze années au pouvoir. Durant les semaines qui ont suivi, marquée par des troubles et d’incroyables rebondissements, la volonté des Sénégalais de maintenir le scrutin coûte que coûte n’a pas faibli. Jusqu’à ce dimanche 24 mars, où, pour la première fois sur le continent africain, un opposant au régime en place a été élu au premier tour. Un véritable raz-de-marée de voix en sa faveur, qui n’a laissé d’autre choix au président Macky Sall que de féliciter Bassirou Diomaye Faye pour sa victoire, avant même la proclamation officielle des résultats.
Un retournement de situation spectaculaire pour cet homme discret, qui, moins de dix jours auparavant, croupissait encore en prison. Tout comme son mentor, la figure phare de l’opposition sénégalaise Ousmane Sonko, lequel fait l’objet, depuis plusieurs années, d’un acharnement de la part du pouvoir en place, bien décidé à neutraliser son immense popularité et à l’empêcher de se présenter aux élections. En position d’inéligibilité, pour des condamnations fabriquées de toute pièce selon lui, Ousmane Sonko avait alors apporté son soutien à Bassirou Diomaye Faye, inspecteur des impôts, numéro deux de sa formation politique, le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), lequel vient d’être élu le jour de ses 44 ans, lors d’un scrutin qui s’est déroulé dans le calme, et sans contestation - une gageure.
Dégager des élites corrompues
Dans un contexte où les présidents élus s’accrochent au pouvoir, dévoient les institutions, où de jeunes militaires putschistes dénoncent l’injonction qui leur est faite par la “communauté internationale” d’organiser des élections, cette victoire incarne parfaitement la vitalité de la démocratie au Sénégal. Ainsi que la volonté d’en finir avec un système dont les Sénégalais ne veulent plus, incarné par des élites dirigeantes pratiquant l’entre-soi pour s’enrichir de manière éhontée, au détriment du plus grand nombre.
Est-ce pour cela que le nouveau président démocratiquement élu fut qualifié de “candidat anti-système, radical, de rupture” ? Il a en tout cas promis de combattre la corruption, de rétablir la “souveraineté” nationale, bradée selon lui à l’étranger; de renégocier les contrats miniers, gaziers et pétroliers, souvent déséquilibrés, y compris les accords de pêche, qui privent tant de Sénégalais de leur gagne-pain et les contraint à émigrer; de mener des concertations pour sortir du franc CFA et de questionner la présence permanente, depuis l’indépendance du pays en 1960, de quelque 400 soldats français sur son sol. La France, ex-puissance coloniale, dont les entreprises sont omniprésentes, et plus généralement les pays occidentaux, se sentiront-ils menacés dans leurs intérêts par ce programme ? Ou au contraire apporteront-ils au nouvel homme fort du Sénégal leur appui pour mener à bien les changements auxquels aspire une population dont 70 pourcents à moins de 30 ans ?
Un message fort aux autres pays
Ce qui vient de se passer au Sénégal montre en tout cas aux autres pays qu’un changement est possible par la voie des urnes, dans le cadre d’un processus démocratique, sans avoir recours aux armes et aux coups d’Etat. Ce qui, dans le contexte actuel de l’Afrique de l’Ouest, est loin d’être une évidence. C’est également la démonstration qu’un scrutin régulier et transparent permet de faire émerger une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques. On peut donc parler d’une véritable bouffée d’air frais démocratique, alors que dans le même temps, dans plusieurs pays d’Afrique francophone, tels le Tchad et le Togo, les manoeuvres vont bon train pour modifier les constitutions, et permettre aux présidents actuels, Mahamat Idriss Deby et Faure Gnassingbé, fils de leurs présidents de père, de se maintenir indéfiniment au pouvoir.
Vue de Côte d’Ivoire, l’élection démocratique d’un jeune président de 44 ans, officiellement polygame, suscite de nombreuses réactions. Alors qu’avec humour, sur les réseaux sociaux, certains se demandent laquelle des deux sera la première dame “officielle”, les plus nombreux pointent du doigt l’âge canonique des responsables politiques ivoiriens. L’ex-président Laurent Gbagbo 78 ans, vient en effet d’annoncer qu’il sera à nouveau candidat en 2025, tandis que des groupes de soutien appellent d’ores et déjà l’actuel président Alassane Ouattara, 82 ans, à briguer un 4e mandat; et que seul le décès d’Henri Konan Bédié, à 89 ans, a permis à l’ex-CEO du Crédit Suisse Tidjane Thiam, 61 ans, de lui succéder à la tête de son parti. En Côte d’Ivoire comme dans d’autres pays, les gens aspirent clairement à l’émergence d’une nouvelle génération de leaders politiques, plus proches des préoccupations d’une jeunesse qui rêve de pouvoir vivre décemment dans son propre pays.