Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

3696 Billets

6 Éditions

Billet de blog 6 novembre 2025

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Sarlat 2025 : "À pied d’œuvre" de Valérie Donzelli

Paul Marquet, fraîchement séparé de son épouse qui décide de son côté de partir s’installer avec leurs deux enfants adolescents à Montréal, tombe dans la précarité et multiplie les jobs mal payés sur une plateforme d’exploitation, afin de pouvoir continuer à écrire son livre.

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
À pied d’œuvre de Valérie Donzelli © Diaphana

Film de la section «Séances spéciales » de la 34e édition du Festival du Film de Sarlat du 4 au 8 novembre 2025 : À pied d’œuvre de Valérie Donzelli

Après L'Amour et les forêts (2023) qui était l’adaptation du roman éponyme d'Éric Reinhardt, Valérie Donzelli poursuit pour la deuxième fois une adaptation de roman alors qu’elle s’était jusque-là inscrite dans la voie des cinéastes mettant en scène leur scénario original. L’exploration de l’œuvre autobiographique éponyme de Franck Courtès lui permet de poser la question de la précarité au centre de son intrigue. Il est intéressant que ce sujet puisse arriver sur le devant de la scène cinématographique alors même que la cinéaste porte l’héritage de la Nouvelle Vague qui n’avait que dédain pour les questions sociales en dehors du cas unique du Signe du lion (1962), premier long métrage d’Éric Rohmer.

Si le sujet arrive sur les écrans comme en témoigne de manière ambitieuse le nouveau film d’Alexe Poukine Kika (2025), Valérie Donzelli ne quitte pas son point de vue social privilégié en l’assumant pleinement comme elle le rappelle en interprétant de manière non anodine et très significative le rôle qui pourrait être le reflet de sa classe sociale et avec des moyens narratifs qui s’inscrivent dans une certaine élégance de la mise en scène mais avec un parti pris minimaliste conjugué au romantisme de la figure de l’artiste.

Si en montrant du doigt l’esclavage moderne de la libéralisation des conditions de travail où chaque individidu est contraint à enchérir au plus bas sa force de travail, Valérie Donzelli flirte avec le sujet de L'Histoire de Souleymane (2024) réalisé par Boris Lojkine mais en s’écartant au final complètement de la dimension politique de son propos.

La cinéaste assume ainsi avec élégance un exercice d’autocritique de sa classe sociale d’artiste protégée par un confort économique, en mettant en scène un alter ego qui incarne la peur de la chute brutale dans la précarité et le dénuement. Elle construit au centre de l’intrigue avec l’aide précieuse de l’interprétation toujours aussi brillante et inspirée de Bastien Bouillon, un personnage moderne épris d’intégrité morale et intellectuelle qui fait l’expérience de changement de classe sociale et de l’isolement social total (famille et ami es) dans une intrigue qui refuse tout parti pris réaliste. La cinéaste met dès lors en scène son film à l’image de son protagoniste : sous le signe de l’observation profonde et sans jamais porter la voix et encore moins de lancer un cri d’alarme face à l’injustice sociale, invitant à voir dans l’expérience de la précarité une forme d’attention poétique et sensorielle au monde sans que cela n’atteigne l’équilibre psychologique.

Valérie Donzelli s’inscrit dans une longue tradition de la figure romantique de l’artiste qui avait pris avec Émile Zola un nouvel accent dans L’Œuvre (1886). La cinéaste refuse cependant totalement la fièvre de l’écrivain pour réaliser un film plus modeste que ses précédents en faisant appel à la collaboration de Gilles Marchand, comme un désir de répondre très simplement à une commande calibrée de récit filmique. À pied d’œuvre est ainsi un film à la réalisation soignée dont le propos social est certes limité mais qui n’en est pas moins touchant dans sa construction narrative et son désir de renouer avec un certain angélisme romantique de la figure de l’artiste intègre confronté à la violence du monde contemporain.

À pied d’œuvre
de Valérie Donzelli
Fiction
92 minutes. France, 2025.
Couleur
Langue originale : français

Avec : Bastien Bouillon (Paul Marquet), Virginie Ledoyen (Alice, éditrice chez Gallimard), André Marcon (le père de Paul), Valérie Donzelli (l'ex-épouse de Paul), Mike Bujoli (le jeune auteur), Claude Perron (la femme à la valise), Marie Rivière, Naëlle Dariya, Magdalena Malina
Scénario : Valérie Donzelli et Gilles Marchand, d’après le livre éponyme de Franck Courtès
Images : Irina Lubtchansky
Musique : Jean-Michel Bernard
Son : Emmanuel Croset, Simon Poupard et André Rigaut
Décors : Manu de Chauvigny
Maquillage : Sylvia Carissoli
Coiffure : Stéphane Desmarez
Costumes : Nathalie Raoul
Production : Alain Goldman
Sociétés de production : Pitchipoï Productions en coproduction avec France 2 Cinéma
Distributeur (France) : Diaphana

Sortie salles (France) : 4 février 2026

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.