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Billet de blog 9 septembre 2015

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ASSAD EN ECHEC ET L'EI TOUJOURS A L'OFFENSIVE

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La séquence en cours montre un certain nombre d'échecs des troupes d'Assad, de plus en plus repliées sur les zones à la portée des soutiens du Hezbollah et de la Russie (vers le Liban et la côte), mais aussi la poursuite de l'expansion de l'EI, qui conserve l'initiative.

On doit donc signaler 4 séries d'échecs importants sur les derniers dix jours :

- Le plus flagrant est la perte d'un aérodrome militaire d'Abu al-Duhur (à 45km au Sud d'Alep). Les milices du JAN (branche d'Al Qaida en Syrie) et du parti Turkestan ont pris le contrôle de cette base aérienne.

D'après les clichés, on observe au moins 9 Su-24 capturés (le régime déclarait avoir 18 appareils de ce type en activité sur les 22 acquis - soit 50 % de pertes). le régime de Damas a reconnu la perte de cette base aérienne militaire en précisant que les appareils n'étaient plus utilisables depuis longtemps (invérifiable mais probablement faux).

Les assaillants revendiquent au moins 160 soldats d'Assad capturés ou tués, ce qui représente une lourde défaite (la configuration du terrain aurait rendu impossible leur repli).

Cette défaite, outre son impact, va affaiblir le point fort du régime, c'est à dire sa capacité à mener des bombardements, aussi bien ciblés sur des objectifs militaires qu'aveugles sur les civils. Il est fort probable que les raids aériens si meutrieux contre Alep se réduisent dans les prochaines semaines.

- la plus inquiétante est la progression des troupes de l'EI dans la région de Homs, et dans la banlieue sud de Damas. Nous y reviendrons plus bas. l'EI a déclaré avoir pris le dernier champ pétrolier encore tenu par les troupes d'Assad à Jazal, mais c'est démenti (et il n'est pas possible de le vérifier).

- la plus grave pour le régime d'Assad est le soulèvement des druzes de la région de Suweida, à la suite de l'assassinat d'un chef important, opposant politique à Assad mais très populaire dans la région, le Sheikh Wahid al-Balous, tué dans un attentat à deux voitures piégées ayant fait 27 morts au total. Cela peut signer l'échec de la stratégie de confessionnalisation du régime qui risque de se retourner contre Assad.

Les manifestants s'en sont pris aux forces de sécurité, tuant plusieurs miliciens, et ont même détruit une statue d'Hafez el-Assad, symbole très fort de la haine envers la dictature qui se répand dans tous les segments de la population syrienne. Rappelons que malgré leur défiance à l'égard d'Assad les druzes de Suweida avait armé une milice pour lutter contre les groupes jihadistes qui combattent dans le secteur de Deraa, soutenant donc de facto les troueps d'Assad.

Après l'ouest et le nord, le sud commence à échapper au régime qui est désormais replié sur la côte, et sur les zones urbaines (rappelons qu'aujourd'hui les principaux soutiens du régime sont les classes urbaines moyennes ou aisées).

Malgré le soutien de la Russie et du Hezbollah, le régime perd des forces et surtout doit faire face à la démoralisation croissante de ses troupes, les défaites s'accumulant depuis la chute de Palmyre, et les pertes étant difficiles à compenser. Outre la violence, et les bombardements aveugles, les jeunes réfugiés syriens fuient aussi la conscription de plus en plus draconienne qui risque d'aliéner les derniers segments de la population qui le soutiennent.

En ce qui concerne l'EI, et comme nous l'avions écrit il y a peu, la défaite est encore loin. Les troupes de l'EI progressent aussi bien en Syrie (dans le sud, à proximité de Damas, autour d'Homs et au nord d'Alep). De violentes batailles sont livrées, et si en apparence la progression est partout contenue, la menace de l'EI est loin d'être conjurée.

Les progressions de l'EI vers les zones urbaines de Damas, et surtout Homs représentent un grand danger, car elles menacent désormais le "coeur" du régime d'Assad, qui ne peut accepter une telle perte sans s'effondrer.

Rappelons que cette progression se fait à la fois à l'aide de tactiques redoutablement efficaces, de troupes de mieux en mieux formées, mais aussi grâce aux ralliements d'autres milices déboussolées face à l'enlisement ou attirées par la perspective de victoire militaire.

Sous-estimer le pouvoir d'attraction de l'EI est une erreur, même si les destructions de sites antiques altèrent sa "popularité" auprès des syriens.

L'EI profite ainsi d'une dynamique mise en place et entretenue en Syrie.

En Iraq, alors que l'EI a atteint à peu près toute l'étendue possible (zones majoritairement sunnites), une offensive majeure préparée depuis plusieurs jours, comme en témoigne de longues files de convois de camions traversant Raqqa de l'ouest vers l'est, vient d'être déclenchée à Kirkouk.

un cliché pris par satellite (il y en au moins 12 montrant environ 700 camions et semi-remorques).

Là encore, l'EI veut profiter des rivalités entre les Kurdes et les Turcs pour attaquer le parti le plus faible.

Il est probable que d'autres attaques soient lancées, alors que ls milices chiites iraqiennes aggravent la situation en commettant des tortures de prisonniers sunnites, sans réaction du gouvernement iraqien (les vidéos sortent régulièrement sur le net).

La destabilisation de la région se poursuit donc, aussi bien en Syrie, qu'en Iraq, sans oublier le Yemen et les derniers évènements en Turquie (des émeutes partout ont pris pour cibles le parti HDP).

Partout, la construction régionale mise en place par les Alliés en 1919 au Proche et au Moyen-orient, fondé sur les ressorts classiques de la domination coloniale (s'appuyer sur une minorité contre la majorité) craque et s'efface. Les frontières deviennent de plus en plus insupportables aux acteurs, travaillés par des lignes de forces profondes, aussi bien idéologiques que confessionnelles ou raciales.

Et nos dirigeants, dépassés et incapables d'agir - tels des lapins subjugués par les phares d'une voiture - ne font que repousser les choix à faire, allongeant encore le chemin de souffrance des populations, déplacées, ballottées, bombardées ou maltraitées par des dictatures.

Combien de temps encore nos dirigeants s'accrocheront à des constructions vidées de toute légitimité que furent les anciennes nations arabes, mal nées et mal dirigées ?