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Billet de blog 3 avril 2022

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Le vestiaire des femmes : entre expression personnelle et oppression politique

Dans les magazines féminins, le vestiaire des femmes est souvent présenté comme une propriété de l’intime, un espace de liberté révélant toujours une part de soi. Mais la mode féminine est-elle uniquement l’affaire du privé ? Le vêtement n’est-il pas, lui aussi, un espace pleinement politisé ? En ce sens, est-il le théâtre de la personnalité ou un carcan ultra-codifié ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Loin d’être anecdotiques, les vêtements modèlent et construisent notre rapport au monde. L’endroit où ils trônent, la gare de robe, est certainement l’espace de notre intimité le plus exposé à la vie publique. Parce qu’il est fait pour être vu, le vêtement est l’apanage du social : dans la rue ou lors d’un rendez-vous galant, il s’offre aux regards, suscite le désir, l’admiration, le rejet. Il est cette seconde peau contre laquelle se heurte le regard d’autrui et dans laquelle nous habitons l’espace commun. Alors, le vestiaire des femmes semble se mouvoir comme espace du dedans et du dehors : à la fois intime et politique.

Un espace politisé par le genre

Dans une société construite sur des rapports genrés, la mode habille un genre avant d’habiller une identité. Au même titre que l’attitude ou la posture, les vêtements sont le relais d’une représentation dite féminine ou masculine. Les jupes, les barrettes, le verni sont étiquetés « féminin ». Les bretelles, les cravates et les caleçons sont classés « masculin ». Dans ce système binaire et bien rangé, toute transgression choque ou dérange. Plus encore, lorsque les relations entre les genres sont sujettes à des dominations, le vêtement les transporte nécessairement avec lui. Comme l’énonce l’écrivaine Joan Scott, le genre sert à « signifier des rapports de pouvoir »1, ici en l’occurrence, la domination des hommes sur les femmes. Frédéric Monneyron explique ce rapport de pouvoir en distinguant un « système » d’habillement pour chaque genre 2. Il y a d’abord le « système ouvert » des femmes, en raison des vêtements portés : jupes, robes, décolletés, qui laissent paraître une ouverture sur le corps. Au contraire, le « système fermé » des hommes se compose de pièces qui occultent le regard : pantalons, costumes, chemises. Chaque système transporte alors un ensemble de valeurs : celui des femmes est permissif et intrusif, il concède un droit de regard direct sur le corps. Celui des hommes fait barrage : il regarde sans se laisser regarder. Se dessine ainsi un rapport de pouvoir conjoint à la question du regard : le vêtement masculin protège tandis que le féminin expose à la vue de tous.

Quelles sont nos armes ?

Face à cette héritage genré et sexiste du vêtement, il convient de s’interroger sur nos échappatoires. D’abord, il est primordial de ne pas réduire le champ vestimentaire à un carcan dont la femme serait prisonnière. Si les vêtements ont été façonné selon des dynamiques de dominations, ils sont surtout des pièces ambivalentes et complexes, pouvant aussi être les clés d’une émancipation. Prenons l’exemple de la mini-jupe, véritable icône féministe dans les années 1970. Certes, il s’agit d’un vêtement ouvert sur le corps, libérant les jambes et le haut des cuisses, mais c’est précisément là que prend sa tournure féministe : elle permet de renverser les normes sur la pudeur et la nudité. Derrière le symbole de la mini-jupe, se cache avant tout une furieuse envie de reprendre le contrôle sur son corps. Vêtement court et subversif, il s’avère idéal pour briser les injonctions sur la pudeur longtemps imposées aux femmes. On retrouve là le célèbre slogan féministe : « mon corps, mon choix », permettant de faire du vêtement arboré un pivot de libération. 

De la même manière, le talon haut figure lui aussi au rang des produits purement patriarcaux. Fabriqué pour regalber la cheville, il cambre le pied, élance la taille et allonge la silhouette, répondant ainsi à tous les critères normatifs du regard masculin. Plus encore, le talon gêne l’amplitude, entrave la course et va même jusqu’à faire souffrir s’il est porté trop longtemps. Malgré tout, lui aussi peut être réinvesti par les femmes comme objet d’affirmation. Le talon est un accessoire qui s’entend : impossible d’ignorer son pas typique qui martèle le sol au rythme d’une allure féminine. C’est bien là le signe incontestable d’une présence et d’un charisme. Symbole d’une autorité élégante, le talon dévoile une personnalité féminine pleine d’assurance, toujours juchée à quelques centimètres en hauteur.

En fin de compte, il est clair que le vêtement se donne à voir comme une entité double, à la fois témoin d’injonctions et outil capable de les faire voler en éclat. S’il ne peut se départir de cette appartenance sociale et publique, il s'inscrit pourtant dans une trajectoire personnelle. Parce qu’il est un objet de réappropriation, il est le chemin permettant de récupérer un pouvoir sur les codes imposés, de s’affranchir d’une norme oppressive. Par ces enjeux de libération, le vestiaire des femmes s’impose avant tout comme un terrain de reconquête, sorte de chambre à soi, où se tisse, fil après fil, notre rapport au monde.

1. Joan Scott, De l'utilité du genre (2012)

2. Frédéric Monneyron, Des sexes et des genres (2019)

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