« Aimer évite au moins de chercher sans cesse un sens à sa vie » est peut-être l’une des morales de ce roman vertigineux, signé Hervé Le Tellier. Dans les premières pages, l’histoire s’attache à décrire plusieurs existences entremêlées tout en grattant patiemment le verni qui les recouvre. Il y a Blake, le mystérieux tueur à gage ; André, l’amant éperdu ; Joanna, l’avocate aussi brillante que vulnérable. Leur point commun : tous sont les passagers d’un vol Paris-New York mouvementé, durant lequel va se produire une anomalie. Un grain de sable dans la machine, une tâche d’encre sur le tissu blanc de l’humanité. L’intrigue est métaphoriquement résumée par l’un des personnages : « Quelqu’un, quelque part dans la galaxie, a lancé une pièce, est celle-ci est restée suspendue en l’air. »
Une énigme grandeur nature
Agile d’ironie, l’écrivain défie toute probabilité et nous invite à questionner nos certitudes les plus ancrées. Baladé entre inquiétude et jubilation, le lecteur se voit offrir des questionnements à différentes échelles : caricatures politiques, dérives religieuses, réflexions philosophiques… Comme dans un jeu de piste, il sera amené à livrer sa propre interprétation : comment expliquer l’inexplicable ? Pour l’aider, il peut s’appuyer sur les personnages, qui apparaissent d’abord déconnectés mais composent peu à peu une fresque humaine éclectique et universelle. La vieillesse, la maladie, l’amour (ou l’absence d’amour), la famille, l’écriture, sont autant de thématiques qui cimentent les anti-héros. Dans ce réseau humain où les âmes se répondent, il faudra aux protagonistes (et aux lecteurs) une bonne dose de sang-froid pour survivre à cette dystopie originale et imprévisible. Hervé Le Tellier, déjà remarqué avec Assez parlé d’amour ou Toutes les familles heureuses tisse avec délicatesse et ingéniosité des petits récits où existence rime avec turbulences.