Déconfiner. Il faut déconfiner.
ça y est ? ça y est.
Oui, nous y sommes. Le temps de la conscientisation a assez duré. Les retardataires de la pleine conscience et de la méditation profonde s’ils n’ont pas déjà atteint quelque illumination prodigue auront loupé le coche. Le temps nous est à présent compté. Vous n’aviez pas fini de sentir le tremblement de terre de votre ébranlement intime dans vos viscères qu’il devra se restaurer à une dite date plus ou moins prématurée. Votre ébranlement intime fera comme il pourra- à la libre appréciation de chacune et chacun- çà aussi, tout le monde l’aura compris.
Les écoliers iront à l’école et les travailleurs iront travailler. C’est bien. Les règles sanitaires seront inspectées au peigne fin et les masques seront cousus mains. Le 11 mai, le 18 mai, le 2 juin je ne sais plus très bien. Mais c’est bien. Enfin, il le faut bien.
Déjà ? Oui, déjà.
Le changement n’était pas pour avant… l’est-il seulement pour « après » ? Il me semble que le temps presse et que la fête de la conscientisation politique (j’ai dit politique ?) de masse et ses promesses est gâté. « Que ce jour est pénible! se lamente la shakespearienne Juliette - une autre enfant sacrifiée - Pénible, comme l’est une nuit avant un festival, pour une enfant qui a une nouvelle robe et n’a pourtant pas le droit de la porter ».
Il faut s’afférer. Ailleurs.
C’est que, dans le confinement, en télétravail, chômage partiel, ou en rien, peut-être que quelque ouvrier au matricule 11811 aura gouté à quelque plaisir de la vie et çà, c’était franchement pas le but.
C’est d’ailleurs probablement par soucis de clarté que notre Président aura travesti notre 1er Mai - commémoration des mouvements ouvriers pour les droits du travail acquis au prix de- non, non, non, le maître a dit le 1er mai, c’est la Fête du travail. Plus de lutte plus de combat, on a déjà fait la paix comme à la récré et on oublie les « chamailleries », compris ? C’est la fête on a dit. On travaille et on aime çà, coûte que coûte, encore une fois.
Alors il faut faire tourner le Machine, et vite. La Machine, telle la monstrueuse divinité Moloch à laquelle les travailleurs sont sacrifiés, doit continuer de nous sustenter comme à l’accoutumée tandis que rôde la Mort et que les sirènes des samu et autres motorisés d’urgences sonnent leur Dies iræ car le virus, lui, court toujours les rues.
Jusqu’à ce que - peut-être - vienne, comme dans le film inspiré, un « médiateur », un sauveur, une créature féminine ou androgyne, pour nous délivrer… ou nous aveugler. Ou jusqu’à ce que nous nous révélions nous-même héroïne et héros d’une cité, que dis-je, d’un monde à délivrer.
Peut-être nous faudra-t-il puiser en nous-mêmes, dans cet ébranlement intime ou dans nos intuitions de conscientisation menée à bien ou avortée, nous faudra-t-il secouer le suc de nos désirs ensevelis ou fraichement renaquis ?
Avons-nous revu et relu nos classiques comme prévu, comme promis? Qu’y avons-nous puisé qu’avons nous appris ? et quel espoir nous étions-nous forgé, nous, à l’aube de ce confinement imposé ?
Peut-être nous faudra-t-il nous prendre entre quatre yeux- le troisième surtout, siège de l’âme cher à Descartes, qui régule par la glande pinéale dans notre cerveau notre cycle de sommeil et d’éveil - pour réviser nos intègres intuitions. Ou nous prendre entre les quatre murs de nos horizons enfermés, et nous demander comme Lady Mc Beth rappelant à son époux ses ambitieuses promesses : « Etait-il ivre l’espoir dans lequel tu t’étais drapé ? S’est-il endormi? et ne vit-il aujourd’hui que dans la pale mélancolie de ce qu’il contemplait auparavant en toute liberté ? »
Avant ce confinement, pendant ce confinement, quels étaient nos espoirs, se sont-il endormis ?
L’un des chefs d’oeuvre les plus puissants de l’histoire du cinéma me rappelle à mes désirs, à ma destinée : c’était quoi déjà ? Qu’ils soient politiques, qu’ils soient intimes, nos désirs doivent nous interpeller dans leur virginale saveur à exaucer et à manifester dans leur furieuse nécessité d’exister.
Aussi, je vous livrerai cette réflexion, elle aussi clairvoyante, que j’eus il y a quelques mois de cela, quand tout a commencé. Et si au commencement était le verbe, encore faut-il, avant que le verbe ne s’exprime (j’insiste, voyez) que le désir vibre dans l’intime friction de nos plus primitives intentions.
Car il faudra saisir, il faudra capturer LE moment. Prématuré.e.s, nous le sommes assurément. Il nous faudra du talent, comme disait l’autre, il nous faudra du temps. Il nous faudra de l’honnêteté en paquets pour avancer ensemble sans nous écorcher, sans nous désaimer, sans nous insulter, sans nous tromper. Il nous faudra nous regarder et nous sonder jusqu’au tréfonds de nos pupilles dilatées et se tenir fort dans les bras dans les moments les plus ivres de vertige et se sentir forts dans nos chairs de prématuré.e.s abimé.e.s, épaves refusant de se laisser échouer, épaves si pourtant fougueusement enrêvées l’un dans l’autre- pour ne pas nous détourner de ce projet de liberté que tu forges et promets, de la réalité à inventer ensemble comme un nouveau conte, comme une folle légende, comme un songe à révéler, commun une épopée en partage, comme une épopée sauvage, comme un road movie sans fin, comme une litanie sans fin, comme deux amants à vie réunis, comme deux amants qui s’aiment à l’infini de leurs possibles alanguis, de leurs possibles désengourdis, de leurs certitudes inquiètes soudainement exaltées- bon sang ! il nous faudra du talent pour ne pas nous laisser submerger par la quotidienne trivialité, par la confortable vulgarité des petits choix à se mettre sous la dent et à se contenter sagement, par la tentation à nous enchainer, la tentation à nous brutaliser, la tentation de nous soumettre aux sirènes de la raison, et celles de la déraison, et celles de la peur et la couardise à foison, la tentation de croire que nous nous sommes trompés, la tentation de ne plus y croire vraiment, la tentation de ne plus y croire, la tentation de dire non.
Il nous faudra du talent. Assurément. Et du talent, j’en ai à la cuillorée »
Et cette Lady Mac Beth, elle disait quoi exactement à son amant-futur-Roi ?
« Was the hope drunk,
Wherein you dressed yourself? Hath it slept since?
And wakes it now, to look so green and pale
At what it did so freely? From this time,
Such I account thy love. Art thou afeard
To be the same in thine own act and valour,
As thou art in desire? Wouldst thou have that
Which thou esteem’st the ornament of life,
And live a coward in thine own esteem?
Letting ‘I dare not’ wait upon ‘I would,’
Like the poor cat i’ th’ adage?
(…)
What beast was ’t, then,
That made you break this enterprise to me?
When you durst do it, then you were a man;
And to be more than what you were, you would
Be so much more the man. Nor time nor place
Did then adhere, and yet you would make both.
They have made themselves, and that their fitness now
Does unmake you. I have given suck, and know
How tender ’tis to love the babe that milks me.
I would, while it was smiling in my face,
Have plucked my nipple from his boneless gums
And dashed the brains out, had I so sworn as you
Have done to this.
(…)
We fail?
But screw your courage to the sticking-place,
And we’ll not fail. » MacBeth, William Shakespeare