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Billet de blog 18 avril 2020

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Ma solution au Confinement #2 : souviens-toi que tu vas mourir / Richard II

Tandis que les symptômes d’un virus s’accumulaient dans ma chair, j’ai cherché tel le shakespearien Richard II, Roi destitué à l’antichambre de sa mort, comment - je cite - « comparer cette prison dans laquelle je vis, avec le monde ». Pour tout réconfort, je ne trouvai que le memento mori : souviens-toi que tu vas mourir !

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Tandis que les symptômes d’un virus s’accumulaient dans ma chair, j’ai cherché tel le shakespearien Richard II, Roi destitué à l’antichambre de sa mort, comment - je cite - « comparer cette prison dans laquelle je vis, avec le monde ». Et sans y parvenir vraiment je m’embourbais et me con-fondais dans les mêmes contradictions que le héros tragique posant les mots/maux contre les mots/maux, n’ayant pour toute créativité que la fécondité de mes pensées.

Un mois encore. Dans cet avenant au confinement dont les clauses restent secrètes, il nous faudra jongler dans la contradiction d’un « avril ne te découvre pas d’un fil » et, en même temps, « en Mai fait ce qu’il te plait ». Comme notre Chef d’Etat jonglant entre des termes si contraires qu’ils en sont dangereux pour ma santé : entre « état de guerre » et « ébranlement intime »  comment mon corps, mon esprit, sauraient-ils se « réinventer » ?

Et comment- soit dit-en passant - ce glissement géographique entre dessiner les frontières de mes mouvements en plein air et pénétrer sans mon consentement la sphère de mon intimé s’est-il opéré ?

Outre le fait que cet « ébranlement intime » offre soudain à mon cerveau enfiévré de splendides fractales se reproduisant à l’infini en pensées démultipliées (mon impénétrable psyché, ma vie sexuelle, ma propension à méditer, mes objets de désirs…) par cette intrusion, qui me déplait en mon âme et vagin, notre chef d’Etat s’improvise héros shakespearien qui a brisé sa couronne en deux sans rien laisser au milieu, et tente de nous dire qu’il est un homme comme vous et moi. C’est que le Roi, tandis qu’il se plait à orchestrer les contours de mes jouissances géographiques par sacrifice au carré, le Roi ne s’est pas encore confronté à quelque humilité.

Car en effet, tout le monde n’a pas la chance d’avoir été écrit par Shakespeare pour vivre l’épiphanie en vers de déchirure à vif dans l’antre de son intimité, pour « se réinventer » et sentir en sa chair sa substance nouvelle résurrecter. Et si c’est bien en prison que Shakespeare a flanqué l’illumination de son Richard le second et que moi, je tourne en rond dans mon joli nid douillet, qu’est-ce que mon confinement, in fine, face aux prisonnières et prisonniers - les vrais- qui, dans l’absence totale de thérapie appropriée, attendent que leur sort soit scellé ?

Tout le monde n’a pas la chance, en effet, de se percher sur son île de Ré, n’a pas le jardin pour s'aérer et cueillir la fleur matinale pour égailler sa tablée, n’a pas la piscine ouverte pour en admirer ses reflets, n’a pas la détente pour un Sirsasana planté en toute virtuosité, la distanciation brechtienne ou le serein confort de l’esprit et du lit pour re-lire les oeuvres existentielles essentielles où les héros se voient tiraillés entre solitude sauvage et besoin d’intégration bourgeoise.

Et comment donc ces parents qui n’ont que la frustration de leurs limites émotionnelles, intellectuelles, matérielles (autres confins étroits bien concrets) pourraient songer à se « réinventer » ? Ces femmes et enfants dans leurs espaces domestiques meurtriers- autres intimes ébranlements depuis bien longtemps négligés et devenus open-bars confinés à violences illimitées ? Ces enfants dépendants des CMP, AVS, psychologues scolaires, assistantes sociales, qui n’ont pas d’ordinateur ou de tablette à la maison, ces hommes vulnérabilisés dans leurs activités à l’arrêt, ces enfants délaissés, ces femmes féminicidées… Même sans le goût dont le Covid nous prive, cet « ébranlement intime » a la douce amertume d’une injonction contradictoire, une invitation au voyage spirituel se heurtant à la dure réalité d’une Machine sociale défaillante qui se moque bien de la précarité intime de nos âmes.

Car se réinventer, oui… mais encore faut-il mourir à soi avant, et encore faut-il mourir dignement. Comment penser bien se réinventer quand les rituels sacrés de nos adieux aux défunts sont niés ? quand le passage dans le trépas est bâclé ? Visiter nos défunts avec, en guise de costume de deuil, un sac-poubelle improvisé tandis que notre Président s’essaie tour à tour aux masques de Chef d’état viriliste, de Sauveur parlant de guerre sans avoir les masques pour la faire, de Bon Père de Famille qui, paternaliste, voudrait me rassurer en me disant comment que je devrais penser, et d’Amant défaillant n’osant s’engager vraiment.

Se ré-inventer sans fleurs, sans couronne et sans cérémonie. On enterre, on incinère, on gère la mort et la peur de la mort à l’abri des regards et l’on récupèrera les cendres plus tard. Autre « ébranlement intime » que celui qui nous prive de regarder la mort en face, d’appréhender le passage, pour tout un chacun unique, singulier, de l’arcane sans nom de la Transformation, La Mort du Tarot marseillais et accueillir son oeuvre : se régénérer, accueillir la possibilité de renouveau, se « ré-inventer ».

Saurons-nous nous ré-inventer?

Pas sans nous rappeler, me dis-je, que non nous ne sommes pas en guerre contre ce virus. Non. Ce virus, n’est pas mon ennemi, mais bien une garantie de la régénérescence de mes anti-corps, de mes immunités, de ma vie.

Non, nous ne sommes pas en guerre, si tel avait été le cas, notre Chef aurait déployé tout l’arsenal adéquat- masques, habits, lits, appareillages a gogo- où sont-ils ces missiles ?

Dans l’entêtement à éviter de parler de pourrissement économique, social, climatique au profit de « guerre contre le virus », il y a, dans ce glissement-là, le tragique tabou et la profanation d’un ordre plus grand et sacré : l’ordre Naturel.

Jamais notre weekend de Pacques n’aura sonné si cyniquement le glas de cette méprise fatale, nous renvoyant devant les spectacles quotidiens de la faune et la flore retrouvant leurs espaces sains, à son rituel païen, à la toute puissante Dame Nature et ses plus spectaculaires réjouissances, à la Mère Nourricière et son ode printanière célébrant l’éternel retour de la vie depuis la luxuriante fertilité de sa diversité à la fécondité agricole repensée.

Tout est là pourtant, dans l’imperturbable ordre serein des créatures reprenant - sans crier guerre- leur place en leur monde sacré auquel j’appartiens et dans lequel je me sens exister.

Non, nous ne sommes pas en guerre, tout au plus dans le tourment d’un tango que nous ne savons pas danser avec cette Nature qui teste nos puissances, nos immunités, nos habitudes alimentaires et hygiéniques dépravées et qui décide, en Mère nourricière, qu’il est temps de mettre fin aux pollutions brouhahas et autres souillures et déchets vomissant les excès de nos sur-consommations gâtées.

Car que nous soyons ambassadeurs ou paysans, au temps de cette transhumance depuis notre moyen âge vers une possible renaissance, il nous faudra bien la bouffer, la réalité de notre responsabilité, pour pouvoir nous « ré-inventer ».

Ainsi, ce virus, s’invite dans ma chair et s’offre le luxe d’évoluer à sa guise de diverses manières. Il fait sa vie, lui, il oeuvre sa mission définie, il prospère dans ma matière qui s’affaire, et me rappelle le memento mori : souviens-toi que tu vas mourir.

Un crâne, une vanité, une anamorphose en guise de pirouette intellectuelle utile à la survie de mon esprit ? Assurément.

Ce virus, devrait nous forcer à quelque humilité. Et tandis que les Antigone du monde entier s’emploient à transgresser les lois d’un patriarcat qui refuse l’accès à l’humaine dignité, que nous continuerons d’applaudir la vie à nos balcons, humons un temps les vers salutaires de ce Roi devenu homme  : « qui que je sois, ni moi ni aucun autre homme ne peut se satisfaire de rien, tant qu’il ne saura pas ce que c’est que de n’être rien ».

Pendant ce temps, dans ce face à face tumultueux avec la Nature et sous le vent d’autan qui rend fous les impatients, comme dit le Fou d’un autre Roi shakespearien, « moi, j’irai me coucher à midi ».

KING RICHARD

I have been studying how I may compare

This prison where I live unto the world;

And for because the world is populous,

And here is not a creature but myself,

I cannot do it; yet I’ll hammer it out.

My brain I’ll prove the female to my soul,

My soul the father, and these two beget

A generation of still-breeding thoughts;

And these some thoughts people this little world,

In humors like the people of this world:

For no thought is contented. The better sort,

As thoughts of things divine, are intermix’d

With scruples and do set the word itself

Against the word,

As thus: “Come, little ones,” and then again,

“It is as hard to come as for a camel

To thread the postern of a small needle’s eye.”

Thoughts tending to ambition, they do plot

Unlikely wonders: how these vain weak nails

May tear a passage thorough the flinty ribs

Of this hard world, my ragged prison walls;

And for they cannot, die in their own pride.

Thoughts tending to content flatter themselves

That they are not the first of fortune’s slaves,

Nor shall not be the last—like seely beggars

Who sitting in the stocks refuge their shame,

That many have and others must sit there;

And in this thought they find a kind of ease,

Bearing their own misfortunes on the back

Of such as have before endur’d the like.

Thus play I in one person many people,

And none contented. Sometimes am I king;

Then treasons make me wish myself a beggar,

And so I am. Then crushing penury

Persuades me I was better when a king;

Then am I king’d again, and by and by

Think that I am unking’d by Bullingbrook,

And straight am nothing. But what e’er I be,

Nor I, nor any man that but man is,

With nothing shall be pleas’d, till he be eas’d

With being nothing.

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