Siestez, farnientez, grasse-matinez, endormissez-vous devant votre écran, vos pages, vos écrits… Dormez. C'est votre unique salut. Cette nouvelle vie que toutes et tous promettent, cet éveil spirituel, cette ère nouvelle, c'est là, à portée de battement de paupière.
Dans notre confinement forcé, avez-vous remarqué tous ces articles et messages qui nous exhortent à réfléchir, à penser, à cuisiner, à lire, à regarder des films gratuits, suivre des émissions gratuites, écouter des opéras gratuits, à aider les gens que l’on connait ou que l’on ne connait pas, à appeler la famille, à discuter via skype, à faire toutes ces choses qui nous font du bien et toutes ces choses que nous ne faisions pas avant.
On fait le ménage, on trie, on dessine, on peint, on fait la marelle et on se met enfin à l’accordéon. Moi-même je relis mes classiques, je re-visionne mes classiques gratuits sur le net, je fais le ménage sur le ménage que j'ai déjà fait la veille et je cuisine. Oui, je l’avoue, je cuisine.

Des listes circulent, tout le monde partage ses listes, ses conseils, au premier ou douzième degré et on se marre bien et ça fait du bien. Certains « faites ceci ou cela » garantissent un éventuel changement de régime, de civilisation, une illumination, une conscientisation de masse.
Certes.
Des encouragements, des suppliques parfois émouvantes (cf. nos ami.e.s italien.ne.s via Libération porte-parole improvisé du bon sentiment poétique clairvoyant) ou paternalistes (cf. le dernier discours de Le Président), condescendantes (cf. les "écrivains bourgeois qui nous refourguent leur journal du confinement") ou révolutionnaires (cf Juan Branco) nous poussent à nous (re)découvrir, à retrouver un sens à notre vie, une direction nouvelle- à nous tourner vers la Culture, l’Education, la poésie du jour-le-jour et bien entendu l’Amour.
Quasiment tous les jours, nous le lisons - c’est presque acquis - notre vie va changer et tous les sites de bien-être, de spiritualité et de bon opportunisme le scandent : faites-faites et faites ceci et cela.
Alors voyez-vous, si je suis totalement d’accord avec cette occasion en or qui nous est donnée de songer- j’ai bien dit « songer »- à une nouvelle vie, de briser quelque vieille habitude, de revoir mon comportement- en revanche, je réfute la manière.
Avant que de nous demander « quoi faire », avant que de savoir quel intérêt, quel effet, quel bénéfice cette tragédie et ce confinement va nous apporter, je suis d’avis de vous porter ce conseil en présent : ne faites RIEN.
D’abord dormez. Dormez. Dormez longtemps et laissez le sommeil vous réparer, vous restaurer, prendre soin de vous, vous parler. Laissez le REM faire son boulot de régénération au cerveau et laissez vos rêves se révéler à vous. Laissez-vous faire.
Ne faites rien.
Pour un jour, pour un instant seulement- mais faites-le vraiment durer si vous le pouvez. Ne faites RIEN.
A partir de là, quand vous aurez entendu en vous le son du silence, le gout du rien, alors nous pourrons commencer à parler de quelque changement, de quelque conscientisation éventuelle et potentielle, de quelque révélation. Jusqu’ici, ce n’est que du bruit. Du brouhaha de volonté prémachée.
Et après, après seulement, vous sentirez peut-être à nouveau, autrement, quelque chose. Ce quelque chose, vous n’en savez rien. Rien encore.
Quand vous aurez confronté quelque démon dans l’angoisse assourdissante de ce silence intérieur, quand vous aurez sondé en vous-mêmes vos cicatrices et failles, vos hontes et vanités, et quand au terme de ce long et pénible silence, surgira le vrombissement tumultueux et sacré au diaphragme, quelque bulle de vérité, le tableau de votre diamant intérieur, le son de quelque anneau de Saturne, le ronronnement discret de votre essence retrouvée… alors - alors - peut-être serez-vous prêt.e.s. Serons-nous, dans nos « communs partageable », prêt.e.s.
Pour l’instant ce n’est que du bruit, rien que du bruit. Propice à nous divertir… de nous-mêmes.
Je partagerai quelques-uns de mes mantras préférés. Parce que je ne peux pas m’en empêcher l'occase est vraiment trop belle. Pour l’heure, en voici un- le bon vieux to be or not to be- toujours là quand on a besoin de lui.
Dans tous les cas et en cas de doute, dormez, siestez, farnientez, grasse-matinez, endormissezez-vous devant votre écran, vos pages, vos écritures… car c’est dans ce sommeil de mort, ce sommeil de vérités qu’Hamlet y a trouvé quelque trésor caché. Bon - spoiler alert - à la fin il meurt mais il n’y a pas forcément de lien de cause à effet.
« Dormir : peut-être rêver : voici le hic
car dans ce sommeil de mort les rêves qui pourraient surgir
lorsque nous nous débarrasserons de notre enveloppe mortelle
doivent nous faire réfléchir. »
"To sleep: perchance to dream: ay, there's the rub;
For in that sleep of death what dreams may come
When we have shuffled off this mortal coil,
Must give us pause: there's the respect
That makes calamity of so long life;
For who would bear the whips and scorns of time,
The oppressor's wrong, the proud man's contumely,
The pangs of despised love, the law's delay,
The insolence of office and the spurns
That patient merit of the unworthy takes,
When he himself might his quietus make
With a bare bodkin? who would fardels bear,
To grunt and sweat under a weary life,
But that the dread of something after death,
The undiscover'd country from whose bourn
No traveller returns, puzzles the will
And makes us rather bear those ills we have
Than fly to others that we know not of?
Thus conscience does make cowards of us all;
And thus the native hue of resolution
Is sicklied o'er with the pale cast of thought,
And enterprises of great pith and moment
With this regard their currents turn awry,
And lose the name of action."
Hamlet, W. Shakespeare