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Mon prince des ténèbres est mort et mon cœur qui saigne hurle pour lui avec les loups-garous et Mr. Crowley.
L'un de mes premiers amours de musique depuis ma toute fraîche adolescence des années 80. Une découverte révélée par mon père en un vinyle qu'il sortait de sa collection comme un magicien sort un lapin d’un haut-de-forme, comme un charme qui allait sceller mon addiction : "Bark at the moon". Voilà que ce 33 tours à la pochette de loup-garou plus glauque qu’effrayante m'ouvrait la porte des doux enfers du heavy métal et de la voix envoûtante de Ozzy, quelque part entre grognement maléfique et miaulement plaintif, comme une comptine flirtant innocemment avec le malin, comme on met le bien au lendemain, comme on se saigne un peu pour voir.
Un choc profond sur fond de pleine lune, des rifts à la griffe, un humour inquiétant, des mélodies sucre d'orge, du love et du rire sciant les tympans, des cloches et de la pluie, des incantations invitant les profondeurs ésotériques et le coup de foudre, puissant. Un amour, que dis-je, une passion à vie pour le fou que je vis bondir, surgir et me ravir quasi littéralement sur la scène du Roseland à New York en 1995 ou je lévitais heureuse et un brin paniquée au-dessus d'une foule survoltée. « À présent je peux mourir » m'étais-je dit, inconsciente que j'étais.
Un brouillard cosmique que dis-je un blizzard apocalyptique, un rollercoaster ésotérique, une embrasse de réconfort qui tient même un chouilla trop fort.
L'éducation musicale pour une folie émancipatrice, la mienne, faisant vibrer ma part intime de ténèbres entre paranoïa et solutions suicidaires, trains déments et église aux porcs, crucifix et chauve souris, cheveux longs et vestes à franges, khôl - beaucoup de khôl encore du khôl et vernis noirs, phalanges tatouées façon révérend Harry Powell, et le rire à gorge déployée. Tout un programme que je me faisais fort d’attendre jusqu' au cœur de la nuit devant un Boulvrock’n’hard à la télé qui tapait sérieusement sur le système nerveux de ma mère.
Créature magique aux accords violents et extrêmes, aux accords tendrement criards, aux accords de guitares de génies purs, aux accords de créature maudite qui aura inspiré le deuxième prénom de ma progéniture, c’est dire, jusque la berceuse « My little man », le soir, tard.
L'aura multicolore et le sourire carnassier, le regard dans l'au-delà et les bras levés, le pied qui tape fort et le corps lourd, la beauté sublime de la liberté… une certaine liberté.
Un homme violent, pas du tout un bad boy non, un rock’n’roll rebel déviant, un désaxé en résilience permanente. Un homme la rage à la tripe nourrie à la classe ouvrière. Identification. Un homme inconscient, qui n'aurait jamais pu déployer Ozzy sans sa Sharon d’épouse, femme à la truffe visionnaire et l'abnégation passionnelle.
ET même les procès, et même les rumeurs, et même quelques derniers morceaux franchement-n'importe-quoi, et même la télé réalité n'aura pas réussi à bouffer ton âme que tu avais déjà livré aux véritables démons intérieurs ou les autres, hautement supérieurs.
Et même ses excès et anecdotes pimentées ne pouvaient m’effrayer. Décapitant la tête d'une colombe de ses dents ensanglantées ou croquant le cou d’une chauve souris, il y avait le grain de folie, il y avait un peu d’horreur aussi, il y avait ma fascination pour l’excès, le freak et la franche provocation. Il y avait le fruit du hasard, celui de l’assemblage de substances illicites, des pactes d’un pas de deux dangereux avec les morts, il y avait une mise en scène de la mascarade et de l’inconscience soignée léchée millimétrée. Brutale.
Et il y avait, surtout ces mélodies entêtantes qui de solo méandreux en tige de vibrato larmoyantes grattaient la frontière entre métal lourd et mélodie de midinette. Et il y avait, surtout, surtout, la porte d’un tunnel de liberté agissant comme un calmant, un mantra de joie timbrée, un ancrage cosmique, mon autorisation à être franchement cinglée, mon intraveineuse de vibrant depuis les profondeurs d'ailleurs, mon rayon de lumière, mon chaudron ardent du vivant. Un baume qui fait vibrer les viscères - ou le col de mon utérus au point d'acmé d'une corde bien tirée- un rail sec, un shot cul-sec… de lumière, de joie, de vivre.
Tout un paradoxe. La clef.
J'ai probablement mis du Black Sabbath dans toutes mes tragédies au plateau. C'est que, si j'ai la tragédie facile, j'ai l'oreille rock sélective et plus carré que le rock foggy de Ozzy, je ne connais pas.
Oh Ozzy, "what went on in your head ? ». Tu pars chanter avec les anges, Randy Rhoads le premier. Ce soir, je m’endormirai soooo tired.
Goodbye to romance my love.
Les mots de toi et Lita Ford frappent la cloche, tu entends ? Si « tes yeux se ferment pour toujours », ton mantra commande lui aussi pour toujours :
And now... LET THE MADNESS BEGIN.