À ton enfant intérieur.
Fais ce que tu peux.
Fais ce que tu veux.
Quel que soit ton choix quelqu’un t’insultera.
Quelle que soit ta conviction, on te la fera payer.
Quel que soit ton rêve on te le fera ravaler.
Quelle que soit ta certitude, ton histoire, ton passé, ton expérience, tes joies ou tes trauma quelqu’un te dira que tu es ignare, facho, débile, aveugle,
Aujourd’hui, en réalité, une seule chose compte, que tu puisses te regarder dans le miroir une fois cette journée passée, que tu puisses dormir sur tes deux oreilles, que tu puisses, en réalité, juste respirer et exister au delà d’un « bon » ou « mauvais » choix. Car à ce stade là tous les choix sont mauvais. Que tu votes blanc, que tu t’abstiennes, que tu préfères l’un ou l’autre. Quelque soit ton choix, quelqu’un, si ce n’est toi, viendra te culpabiliser.
Sauf que, au moment où tu t’endors ou dans ces quelques secondes cotonneuses où le sommeil cède la place au réveil, il n’y a que toi et ta conscience. Durant ces quelque secondes où la frénésie du « réel » n’a pas encore envahi ton vrai toi de son brouhaha, il n’y a que toi et ta conscience. Pure, entière.
Et toutes les personnes qui t’insultent parce que tes choix ou tes intentions de choix ou encore à cause de leur présupposition de tes intentions… ces personnes ne te prendront pas dans les bras quand tu te demanderas si tu as fait le bon choix - ou que tu constateras que tu n’as pas fait le bon choix- pour toi, pour tes enfants, pour tes ami.e.s, tes parents, tes voisin.e.s, la planète, le climat, la faune, la flore, l’emploi, ton assiette à table…
Ces personnes qui exigent de toi, s’adressant à toi avec le mépris de qui en sait mieux que toi, avec l’arrogance de te connaitre même mieux que toi-même, avec l’outrecuidance de se faire porte parole de la bonne voix, de la seule voix, de l’unique voix… quelle qu’elle soit. N’est-ce pas cela, aussi, le fascisme ? Quand je t’annule toi, posant sur toi, la supériorité de mon moi.
Dans la myriade d’injonctions à voter pour ou voter contre, c’est l’impossibilité du dialogue qui a raison, la férocité à vouloir changer l’autre sans même savoir d’où il parle, à imposer sa propre conviction, analyse ou connaissance- c’est cet autre fascisme quotidien, décomplexé qui s’est étalé : « peu importe d’où tu parles, mon avis vaut mieux que le tien et tu n’as pas le droit de penser autrement que comme je pense, moi, qui sais mieux que toi. »
Sur la toile se livrent jugements, condamnations, odieuses culpabilisations à l’encontre de celles et ceux qui pensent mal, qui vivent mal.
« Quelque soit mon choix, je vais me sentir mal » lisais-je quelque part sur les réseaux sociaux
Les réseaux sociaux, hauts lieux de l’échange démocratique mesuré et sensé, où mille et une voix s’élèvent pour exiger de toi que tu votes ceci ou cela, mille vois se déversent dans un flot de haine, de vulgarité, de condamnation, de médiocrité de la pensée- et de tous bords. Toutes et tous sommes pris d’angoisse et de peurs et ce bulletin ne s’adresse aujourd’hui plus qu’à la zone la plus primitive de nous- de certain.e.s : l’instinct de survie. Parce que je suis pauvre, parce que je ne vis pas je survis, parce que je suis issu.e de l’immigration, parce que je suis « rien », parce que je suis sans emploi, parce que je suis jeune, parce que je suis vieux ou vielle, parce que ma sexualité, parce que mon genre, parce que … parce que l’odeur du danger, l’odeur du sang. Parce que si je n’ai rien à manger je meurs et si certains ont droit de cité je serai lynchée.
"Est-il plus noble de souffrir / Les piqûres et les flèches de l'affreuse fortune / Ou de prendre les armes contre une mer de troubles / Et en s'opposant à eux et y mettre un terme ?"
Mais ce n’est pas mon bulletin qui me rendra assassine, fasciste, ou ultra libérale. C’est ma capacité à te prendre la main demain ou pas et te dire que nous nous ferons les efforts ensemble, ou pas. C’est la capacité à te dire, peu importe ce que tu as voté ou pas voté, je te regarde dans les yeux, j’écoute ton coeur, je goûte à tes racines, tes fardeaux, ton histoire.
C’est de notre résistance à la bienveillance, à la reliance et à la résilience dont il s’agit ici.
Ce n’est pas le bulletin qui fera de moi un être humain. Mais c’est chaque jour, où, durant ces quelques secondes entre le sommeil et le réveil, je me sens juste, je me sens vraie, je me sens connectée à toi, à vous, avec la bienveillance plutôt que la brutalité.
Et c’est chaque jour qui j’aide, à qui je tends la main, est-ce que je souris, est-ce que j’accepte l’Autre même dans sa cruauté, comment je me représente l’Autre qui ne pense pas comme moi, qui ne vote pas comme moi, qui ne réfléchit pas comme moi, qui ne parle pas comme moi, cet autre… Est-ce que je le regarde le sachant brutal et sans âme avec l’oeil colonisateur seul capable d’éveiller les consciences, les pauvres abruti.e.s, les « enculés de merde » …
Je ne me leurre pas. Le sang il y en aura. Pudique à l’abri des regards ou étalé dans les rues.
Mais une chose est sûre, mon choix ne vaut pas mieux que le tien. Et inversement. C’est celui qui maintient ma psyché en équilibre. C’est celui que je peux faire - stimulé - lorsque mon cerveau n’est pas clivé, sidéré ou dissocié, car dans cette ère post-covid, nous sommes toutes et tous un peu traumatisé.e.s.
Tu auras mille raisons de souffrir demain et qui sait, tu en as surement cent aujourd’hui, alors mieux vaut que tu sois en paix avec tes choix, mieux vaut que tu aies prévu ce soir un bon vin en une bonne compagnie.
Il t’appartient de voter « suffisamment bien ». Il t’appartient de voter ou de ne pas voter.
Fais ce que tu peux.
Fais ce que tu veux.