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Marie et Sarah sont psychologues en MECS. Elles nous livrent ici leurs réflexions.
Du management éducatif bienveillant durant le confinement sur une MECS.
Nous sommes confrontés nationalement, internationalement, mondialement, à une situation de crise sanitaire exceptionnelle. Je ne vous apprendrai rien en précisant que le COVID 19 est un virus particulièrement contagieux qui se transmet de personne à personne (pour le dire rapidement). Vous n’êtes pas non plus sans savoir qu’une mesure de confinement a été énoncée afin d’éviter autant que faire se peut la propagation du virus. Traduction dans la réalité de la vie : moins on se rencontre moins on propage le virus. Les maisons d’enfants à caractère social n’échappent pas à cette directive nationale : protection de la santé des enfants accueillis et simultanément protection de la santé des salariés. Pour cela, au sein de l’institution des mesures également exceptionnelles conformes aux directives gouvernementales ont été menées :
- Prise en compte des personnels à risque dans l’organisation du travail,
- Télétravail de certaines catégories de personnels,
- Poursuite des suivis en milieu ouvert par téléphone avec maintien de visites à domicile exceptionnelles,
- Retour de certains enfants dans leur famille, avec suivi téléphonique hebdomadaire,
- Confinement des autres enfants dans l’enceinte de l’établissement.
Même si la modernité a considérablement amélioré nos conditions matérielles de vie, elle ne nous a pas pour autant rendu invulnérables. Dans cette crise sanitaire, le risque encouru, inconnu vient générer de la peur. Mais l’origine de cette peur n’est pas palpable. La menace demeure de l’ordre de l’imprévisible. La peur peut alors se transformer en angoisse d’autant plus qu’elle est associée à l’obligation du confinement.
De l’inquiétude des adultes dans l’obligation « d’enfermer » les enfants.
La peur, plus particulièrement de la maladie, suscite généralement un réflexe de survie : la fuite. A l’annonce du confinement, les parisiens sont partis en province… A la maison d’enfants, on doit rester !
Le confinement va contraindre à un comportement différent des comportements habituels. Il va mettre chacun dans l’obligation d’une vie communautaire. Il va générer des moments de vide, d’ennui, de la frustration, de la colère voire des crises clastiques. Il va déstabiliser les repères, spatial, temporel. Il va à l’encontre de la socialisation… Dans la particularité des fragilités des enfants accueillis, il va modifier les modalités de rencontre familiales (visites médiatisées, droits de visite et d’hébergement). Il va exacerber les difficultés de chacun. Difficultés qui seront alors confrontées à la promiscuité dans l’enfermement. Le changement est radical, voire violent. Du jour au lendemain, les enfants sont confinés dans l’établissement, les professionnels partagés entre chez eux et l’institution !
Il est bien évident que toutes ces projections, suppositions, hypothèses ne peuvent qu’amener les adultes responsables des enfants à penser ; panser les besoins des enfants. Pour cela, toute une organisation s’est imposée à tout un chacun. Au sein de l’institution, des plannings hebdomadaires ont été créés à destination des enfants, contenant du travail scolaire, des activités ludiques, de détente dans des cours intérieures de l’établissement, des plannings d’utilisation des différents lieux de la maison, des plannings pour les éducateurs. Les réunions d’équipe hebdomadaires ont été maintenues sur chaque unité. Une réunion exceptionnelle supplémentaire par semaine a été ouverte sur site. Une unité d’hébergement a été rapatriée sur la maison centrale. L’objectif fixé en ligne de mire est le maintien de la continuité de l’activité telle qu’elle est préconisée dans le communiqué de presse d’Adrien TAQUET, secrétaire d’état à la protection de l’enfance. Les professionnels doivent être là pour encadrer et accompagner les enfants et pour penser et pérenniser notre mission chacun de sa place : éducateurs, chefs de service, assistantes sociales, psychologues, personnel administratif, personnel d’intendance.
De l’imaginaire des adultes dans la culpabilité d’enfermer les enfants.
La mise en place de toutes ces dispositions aurait dû rassurer les professionnels. Pourtant, une vague d’inquiétude voire d’angoisse semble planer au-dessus la fourmilière où la vie s’est organisée à l’interne. Le virus est peut-être là ?! Une enfant a de la fièvre. Une suspicion de contamination est énoncée par le médecin. L’enfant est confinée dans sa chambre. Des précautions spécifiques sont instituées pour sa prise en charge. Un vent de panique souffle alors
- A certains de ne rien modifier quant aux allées et venues des enfants entre les groupes,
- A d’autres d’interdire tout mouvement
La discussion s’anime dans la chaumière entre les adultes, entre les adultes et les enfants, et bien sûr entre les enfants. Chacun y va de son point de vue dans l’angoisse et/ou dans le déni de cet inconnu de virus qui peut faire des ravages. Les adultes cogitent ; les enfants interrogent. Un consensus émerge de la cacophonie : les enfants ont le droit de sortir de leur groupe pour se voir entre camarades ou entre fratries dans des lieux communs de la maison. Le calme revient dans la maisonnée. L’organisation de la vie à l’interne peut reprendre son cours. Mais les adultes pensent toujours que les enfants ne sont pas bien, ne vont pas bien, qu’ils ont besoin de sortir… Il en va alors de la créativité des uns et des autres. Entre autres des activités de toutes sortes sont proposées par des personnels venant d’unité de l’accueil de jour. Elles sont organisées dans des lieux où les enfants de l’hébergement n’ont pas l’habitude d’aller.
S’appuyant sur des recommandations ministérielles, l’établissement demande la permission aux autorités judiciaires d’accompagner des petits groupes d’enfants à tour de rôle, dans le parc d’un château privé afin qu’ils puissent sortir de cet enfermement. Grand désarroi et déception : cette permission est refusée.
De la responsabilité des psychologues à tenir bon mais pas du côté du sacrifice.
Même si au sein de l’institution des mesures exceptionnelles ont été mises en place dans la prise en charge quotidienne des enfants, pour répondre aux directives gouvernementales de confinement, il n’en demeure pas moins à l’observation du fonctionnement institutionnel des formes d’incohérence, une forme d’incompréhension de la directive. Sous le couvert de la continuité de service et de la protection des enfants, la pensée des adultes reste emprise des représentations inquiétées par le poids de la responsabilité, inquiétées par l’enfermement…. Ainsi, à l’intérieur de l’institution la crise sanitaire ne semble plus aux prises de sa gravité. Les adultes proches des enfants et les cadres, chefs de service et techniques, sont là presque aussi fréquemment et presque aussi nombreux qu’à l’accoutumée. Ils rentrent et sortent comme habituellement, se déplacent dans la structure, rentrent dans les unités de vie sous différents prétextes notamment celui de considérer la santé des enfants…
Le télétravail a difficilement été accepté dans un premier temps pour le secrétariat et la comptabilité. Puis un roulement pour les cadres a pu être admis par la direction, non sans un ressenti d’abandon de poste assez culpabilisant. Les personnels à risque, qui sont éloignés de leur poste, ceux qui sont confinés chez eux, ceux qui sont arrêtés pour raison médicale peuvent faire l’objet de remarques discrètement disqualifiantes. Les réunions maintenues en présence sur site ne peuvent pas être envisagées par visioconférence. La notion de présence dans l’absence n’est pas concevable.
Les enfants circulent dans la maison plutôt librement. Le modèle relationnel entre eux n’est pas modifié. Les gestes barrières sanitaires sont respectés dans le lavage des mains, dans la retenue de contact physique. La distance entre les personnes (adultes et/ou enfants) est plus difficile à garder.
Dans cette enceinte, quelle crainte ?
Les adultes présents sont là au secours des enfants presque pour faire passer le confinement inaperçu. Nous sommes les grands protecteurs. Or, en réalité nous représentons dans nos déplacements entre le dehors et le dedans le danger de la propagation. Les adultes pensent les enfants en souffrance et tentent de panser un mal-être dans la recherche désespérée de changer le moins possible leurs habitudes, de les faire sortir de l’institution presque coûte que coûte. Ainsi l’injustice ressentie face au refus de sortie par l’autorité judiciaire va faire l’objet d’une nouvelle requête appuyée par le conseil départemental. Alors que les enfants ne formulent aucune demande et semblent s’adapter à la vie confinée, quelle volonté des adultes y a-t-il dans ce contournement involontaire du confinement ? D’une règle ? La réponse énoncée se trouve bien souvent dans la bienveillance de la protection de ces enfants. Dans le souci et la rigueur des professionnels de leur bien-être. Mais n’est-il pas au contraire déstructurant et déstabilisant d’être particularisé, différencié de la sorte, surprotégé et au final stigmatisé ? N’est-il pas également troublant cette proposition de déviation de la règle ? Règle qui au final demeurerait à l’extérieur de la maison d’enfants, positionnant ainsi l’institution dans une forme de toute puissance. Toute puissance habituellement reprochée aux enfants et adolescents désobéissants, insoumis, révoltés, insubordonnés… Quelle compréhension de la place de la règle, de la loi ? n’est-elle pas là pour les faire grandir, pour générer stabilité, sécurité et nous permettre de vivre ensemble ? Qu’elle soit éducative, sanitaire, sociale, judiciaire ne soutient-elle pas la possibilité de notre humanité ?
Un large et complexe débat à venir une fois déconfits !
Marie, Sarah : psychologues en MECS