Ceméa (avatar)

Ceméa

Les Ceméa (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active) sont une association regroupant des militant.e.s sur toute la France métropolitaine et d'Outer-mer et développent des actions en référence à L'Education nouvelle et populaire.

Abonné·e de Mediapart

90 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 mai 2020

Ceméa (avatar)

Ceméa

Les Ceméa (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active) sont une association regroupant des militant.e.s sur toute la France métropolitaine et d'Outer-mer et développent des actions en référence à L'Education nouvelle et populaire.

Abonné·e de Mediapart

Vie sociale et confinement : le pot commun du Covid 19

VST, la revue du travail social et de la santé mentale des CEMEA réagit à l'actualité en recueillant des témoignages de professionnels actuellement sur les terrains. Comment les institutions s'organisent-elles pour faire face au coronavirus ? Quelles difficultés, mais aussi quelles inventions de la part des professionnels et des usagers pour maintenir une vie sociale … même en étant confinés ?

Ceméa (avatar)

Ceméa

Les Ceméa (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active) sont une association regroupant des militant.e.s sur toute la France métropolitaine et d'Outer-mer et développent des actions en référence à L'Education nouvelle et populaire.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Logo VST © CEMEA
Le pot commun du Covid 19

A l'heure où s'écrivent ces lignes, le confinement est toujours de mise et les perspectives sur l'après sont encore bien obscures. Le covid 19 s'est emparé des chaînes d'information nationale, les émissions spéciales se multiplient. Le cœur du débat social est tourné vers le confinement ses effets et les perspectives à venir. Les psys n'échappent pas au social et ils sont tour à tour invités à commenter l'actualité, les décisions, l'après... Les médias interpellent à tour de bras le champ psy sur les traumatismes en cours liés au confinement. On nous parle de guerre. Les comparaisons s'enchaînent sur l'état de la société dans la comparaison avec des périodes sombres de l'histoire. Il apparaît important de nuancer et distinguer ce qui est du ressort des effets traumatiques et ce qui est du ressort de l'angoisse. La dimension politique de notre pratique ne devant pas être oubliée devant les signes cliniques, ou les supposés à venir.
Il est nécessaire de dire que le confinement en soi ne produit pas du traumatisme. Il n'y a pas d'effraction du psychisme dans le fait de demeurer à son domicile. Nous ne sortirons pas tous traumatisés de cette période tout à fait particulière que nous vivons. Le traumatisme psychique renvoie à la rencontre avec le réel. Là où il n'y a pas de représentations psychiques possibles. Là où il n'y a pas de mot pour dire ce qui s'est produit. Lorsque la chaîne du discours est rompu et que le sujet ne peut trouver dans ses mots suffisamment de représentations pour voiler l'horreur par exemple, alors là oui il y a des effractions de la capacité à penser. En soi, rester plusieurs semaines à son domicile ne produit pas d'effraction traumatique dans l'appareil psychique. La tentation est pourtant grande actuellement de mettre tout le monde sur le même banc. Nous serions ainsi tous et toutes traumatisés par cette période et l'effort et la solidarité devraient ainsi être soutenue pour tous et toutes dans l'avenir. Il est bon de rappeler que vivre à 4, 5 ou 6 dans 40 m2 n'est pas la même chose que vivre dans une maison de 250 m2 avec jardin.
La question politique n'est pas à perdre de vue pour penser la suite. Elle semble même indispensable pour extraire quelques conséquences à retenir de l'expérience collective que nous traversons. Si le covid 19 vient nous bousculer dans notre quotidien, selon notre situation sociale, nos ressources psychiques, économiques... nous ne serons pas à la même place en sortant !
Tout le monde peut par contre être confronté à quelques choses que nous entendons un peu moins dans le discours ambiant et qui s'appelle l'angoisse. L'angoisse n'est pas moins grave ou moins encombrante que le traumatisme. Il s'agit de faits psychiques qui n'ont pas le même ressort et qui n'ont donc pas à être mis dans le même panier. Il suffit d'avoir fait l'expérience pour soi-même de l'angoisse ou d'entendre les personnes que nous accompagnons au quotidien pour bien savoir que cette émotion est désagréable pour ne pas dire invivable.
L'angoisse vient du fait du confinement en raison de l'absence d'extériorité. Il n'y a pas de point de fuite, de porte de sortie. Il y a une absence "d'absence". On vit ensemble dans le même lieu sans pouvoir s'absenter de la présence de l'autre. C'est pour cela que les invitations à pouvoir s'isoler un peu chacun dans sa pièce quand cela est possible ou de prendre un temps pour soi en dehors des autres est intéressant. Pour certain/nes l'angoisse vient du trop de présence dans le confinement. On étouffe littéralement de la présence de l'autre. Sur ce point la dimension politique est à prendre en compte, les individus
ne logent pas tous à la même enseigne c'est là le cas de le dire : sans balcon ou jardin, dans un petit appartement ou dans une grande maison , en ville ou à la campagne, en foyer éducatif…

Pour d'autres c'est la question de l'isolement et de la solitude qui va produire de l'angoisse. Cela renvoie à la nécessité du lien et de la possibilité de s'appuyer sur l'autre ou de faire appel. Soit il y a un défaut d'absence car trop de présence de personnes dans le même espace. Soit l'angoisse arrive car on veut remplir le vide laissé par l'absence de l'autre du fait de la solitude. On sollicite de la présence extérieure mais rendue impossible du fait des règles de confinement.
L'angoisse est produite par le sentiment de peur. Peur au regard du contexte morbide que nous vivons. Peur de la contamination, de l'autre étranger à soi qui pourrait nous transmettre le mal. Les discours nauséabonds ressortent sous couvert de protection. La peur de la maladie est instrumentalisée en la fusionnant avec la peur de l'autre, de l'étranger. Sur ce point des ressemblances certaines existent avec d'autres périodes sombres de l'histoire. La peur partagée collectivement fait ressortir les affres de l'humain. Le chacun pour soi rode comme tentative de s'en sortir individuellement quand l'angoisse de mort vient saisir le sujet dans son être. Je ne suis pas sûr que d'être le dernier survivant soit pourtant apaisant. Sur ce point la pensée vient nous soutenir à la jouer collectif quand l'angoisse pousse au replis sur soi. Les médias font tourner en boucle la crainte du virus et le décompte macabre quotidien, ce qui ne nous aident pas pour penser collectivement l'avenir.
Les grands de ce monde auraient-ils à craindre d'une prise de conscience des petites gens ?
L'axe imaginaire est alimenté. Écouter sinon c'est la mort qui vous attend. Il ne s'agit pas là de mettre en doute l'intérêt évident des gestes barrières et du soucis nécessaire des conduites de protection et d'hygiène car elles sont absolument indispensables. Reste que derrière ne perdons pas notre humanité au change. Les élans de solidarité en témoignent, le soucis de l'autre peut se faire en se protégeant sanitairement parlant. La peur nous paralyse et nous empêche de penser, la littérature n'est pas nouvelle à ce sujet.
Revenons à présent sur les effets traumatiques. Il est évident que certains et certaines ne sortiront pas indemnes de cette période. La marque produite sera pour certaines et certains dans une autre mesure. Les violences sur le corps et /ou la psyché de l'autre existent. Les appels à la protection de l'enfance ont été considérablement augmentés durant la période. Il en va de même pour les violences faites aux femmes. L'état déjà catastrophique de ces services sociaux avant la période du covid était décrié par les professionnels de terrain. L'état faisant la sourde oreille en saupoudrant quelques actions toujours sous couvert d'économie budgétaire. Des enfants et adolescents ont été renvoyé dans leurs familles alors que des mesures de placement étaient prononcées. Que dire de tout celles et ceux qui attendaient une place dans une famille d'accueil ou un foyer mais qui faute de structures suffisantes sont maintenu/es chez eux alors qu'un juge a prononcé la nécessité d'une protection. Les familles qui se retrouvent également avec leurs proches malades ou en grande fragilité psychique sont également obligées de s'organiser. C'est la débrouille. Vivre avec un enfant qui présente un autisme profond, ou encore avec un proche habituellement institutionnalisée ne peut pas être mis sur le même banc en prétextant le pot commun du covid 19. Les violences sexuelles au sein des familles ne sont pas non plus à taire, elles existent. Que dire alors du confinement pour ces familles ?
Les professionnels des services hospitaliers abandonnés dramatiquement avant l'épidémie du covid 19 ont du faire face aux morts, et à l'urgence sanitaire sans protection suffisante depuis la pandémie. L'état a mis en danger pour des questions de rentabilité l'ensemble des professionnels de santé et plus largement la population.
On rétorquera facilement que personne ne pouvait prévoir la crise sanitaire. Les soignants étaient pourtant déjà dans la rue depuis plusieurs années sans écoute aucune de l'état. Il y a pour certains professionnels de réels traumatismes à la clés !
Le pot commun ne me semble pas entendable pour reconstruire demain. Nous ne sommes pas tous et toutes dans la même galère, logés à la même enseigne. Les actionnaires de Vivendi se sont versés grassement leurs plus valus durant le confinement, comble de l'indescence quand des milliers de professionnels se serrent la ceinture pour manger à la fin du mois ou payer leurs factures. L'état leur avait pourtant poliment demandé de différer le versement.
Le pot commun les arrangent toujours bien, car au final c'est nous qui payons les frais ! La pensée psys n'est pas déconnectée du champs social bien au contraire. La psychothérapie institutionnelle parle bien de deux jambes une clinique et l'autre politique. Le mot d'ordre « en marche » pourrait signer, après cette référence historique, une proposition mais le langage a été détourné. Ils pervertissent la pensée pour nous rendre productif et au fond nous mettre au pas plutôt qu'en marche. Comme rappelé brièvement le traumatisme vient lorsque nous sommes privés de mot pour dire. La pandémie est venue mettre à la vue de tous que notre monde est malade et qu'il y a lieu de s'inquiéter sérieusement. Certains ont des intérêts à nous boucher la vue. Si nous sommes en état de guerre comme l'a annoncé Emmanuel Macron ce n'est pas contre le Covid 19. En faisant un pas de côté, la guerre de notre monde est bien celle de la désubjectivation de l'humain au profit de quelques uns.
La parole demeure ce qui nous constitue dans nos humanités, elle est le support de notre pensée, de notre subjectivité et de notre capacité à panser nos plaies psychiques. Si nous sommes privés de nos mots, de la parole, nous sommes réduits à l'état d'objet. Un produit comme un autre. L'humain n'a alors plus qu'à se faire apposer son code barre pour attendre de connaître sa valeur. L'exploitation de l'homme par l'homme en étant l'illustration tragique. L'histoire des humanités est marquée par la domination des uns sur les autres comme en témoigne des siècles d'esclavagisme, de colonisation... L'image du code barre n'est pas non plus sans rappeler l'horreur de la seconde guerre mondiale. Le tatouage apposé sur le bras des juifs, tziganes, homosexuels, résistants, handicapés... fruit de la perversion d'un système totalitaire inhumain qui causa la mort de millions de personnes. La désubjectivation de l'être humain a conduit aux pires horreurs du siècle dernier. A la sortie de la guerre, l'humanité avait pourtant dit plus jamais ça ! Si le devoir de mémoire est bien souvent rappelé dans la bouche de nos présidents pour éviter que l'histoire ne se répète, nous ne pouvons que faire le constat qu'il y a péril pour l'humain.
Le covid 19 met en lumière, en marquant un temps de pause dans cette mondialisation globale, que la guerre est en cours depuis déjà un moment. La course au profit et aux bénéfices à lancer une véritable guerre contre ce qui fait l'humanité en l'humain. Aujourd'hui le néolibéralisme s'est infiltré en nous, nous laissant croire que certains auraient plus de valeur que d'autres. Les fous sont abandonnés, les personnes en situation de handicap attendent des années des places dans le médico-sociale. Certains les décrivent comme un poids pour notre société. L'eugénisme économique est en marche pourrait-on dire, c'est marche ou crève mais doucement dans ton coin. L'exploitation des travailleurs des pays pauvres pour acheter un tee-shirt à 5 euros est devenu une évidence pour chacun. La course folle au profit met le feu à nos ressources terrestres. Il suffit de regarder il y a encore quelques mois l'Australie en feu ou actuellement l'Amazonie qui se réduit comme peau de chagrin. La perversion néolibérale est mise à mal par le Covid 19 qui nous donnent une fenêtre pour regarder notre monde qui tombe en ruine de son humanité. La célèbre phrase « on juge du degré de civilisation d'une société à la manière dont elle traite ses fous » autrement dit ses plus fragiles de
Lucien Bonafé fait froid dans le dos si nous acceptons de regarder le monde dans lequel nous évoluons. Le covid 19 est inquiétant, terrifiant même pour certain. Il est en effet terrifiant de constater comment l'humain s'est laissé dérober son humanité. Le traumatisme est peut-être celui-ci, ce que le covid 19 dévoile de l'horreur du réel de notre monde. Peut-être une proposition à entendre pour construire demain et sur ce point je suis d'accord nous avons du travail qui nous attend !


Thomas Bonifait

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.