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Billet de blog 31 mars 2025

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Brésil / Procès Bolsonaro: juger un coup d'État

Il y a 61 ans jour pour jour, des militaires s'emparaient du pouvoir au Brésil, instaurant une dictature dont les crimes n'ont jamais été punis. Six décennies plus tard, la mise en examen de l'ancien président de la République, Jair Bolsonaro, pour tentative de coup d'État représente bien plus qu'une simple coïncidence.

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Cette semaine, la Cour Suprême du Brésil (STF), la plus haute instance judiciaire du pays, a analysé une série de chefs d'accusations contre Jair Bolsonaro et a voté à l'unanimité la décision de traduire en justice pénale l'ancien président de la République, ainsi que sept de ses alliés, tous issus de son ancien gouvernement ou du haut commandement militaire du pays. Trois autres groupes de suspects feront l'objet d'une même procédure au cours des prochaines semaines, ce qui pourrait élever à 34 le nombre d'accusés dans une enquête qui vise à démasquer les organisateurs d'une tentative de coup d'État.

En pratique, il ne s'agit donc pas d'une condamnation, mais de l'ouverture officielle d'un procès qui devrait durer plusieurs mois.

Illustration 1
Jair Bolsonaro lors de son audience à la Cour Suprème. © Gustavo Moreno / STF

Pour en revenir aux faits, le 8 janvier 2023, quelques jours après l'investiture du président Lula da Silva, une foule de manifestants envahit avec truculence les sièges des trois pouvoirs à Brasilia — le Palais présidentiel, le Parlement et la Cour Suprême, entre autres. Franchissant (avec une étonnante facilité) les barrières de police, les assaillants enguirlandés de drapeaux du Brésil détruisent absolument tout sur leur passage et provoquent des dommages inestimables au patrimoine de la nation. Ce n'est qu'après plusieurs heures de tension au plus haut niveau de l'État, que la police et l'armée parviennent finalement à contenir le fléau et à rétablir l'ordre, arrêtant plus d'un millier de personnes sur le champ. Plus de cinq cents d'entre elles ont depuis été condamnées par la justice.
Mais quel est le rapport avec Bolsonaro ?
Bien qu'il n'ait jamais reconnu sa défaite électorale et qu'il ait ouvertement encouragé ses partisans à en contester le résultat, l'ancien président nie toute implication dans les attentats de Brasilia. Son principal argument, preuves à l'appui, est qu'il se trouvait (bien planqué) aux États-Unis au moment des faits. On ne saurait le contredire. Mais ce qui est tout aussi indéniable, c'est qu'une mobilisation de cette envergure, comptant sur la participation de milliers de militants ayant parcouru des milliers de kilomètres depuis diverses régions du pays pour se rendre à Brasilia, n'a pas pu se produire de manière purement spontanée. Derrière tout ça, il y a un financement et un puissant appui logistique. Et en remontant les fils de l'enquête, un certain nombre d'indices conduisent inexorablement au leader de l'extrême droite.

Illustration 2
La façade du Planalto (palais présidentiel) peu après le passage des casseurs. © Gabriel Bilo / Folhapress

Comme l'éthique et la loyauté n'ont jamais été les valeurs dominantes du clan Bolsonaro, c'est le plus proche bras droit de ce dernier, l'officier Mauro Cid, qui aura apporté les principaux éléments à l'enquête, par le biais d'un témoignage explosif livré en échange d'une réduction de sa propre peine. Bourrées de détails alléchants (avec documents, vidéos et prints de conversations), ses cyniques confessions ont permis de reconstituer un véritable plan de coup d'État qui prévoyait, entre autres crimes, l'assassinat du président Lula, de son vice-président Geraldo Alckmin, et du juge de la Cour Suprême Alexandre de Moraes. Pas de bol, c'est cette même Cour Suprême et ce même Alexandre de Moraes qui ont aujourd'hui en mains le destin des accusés.
« Penser à tuer quelqu'un n'est pas un crime », défend, en désespoir de cause, Flávio Bolsonaro, sénateur et fils aîné de Jair. Une affirmation très discutable, mais rassurez-vous, les accusations ne se limitent pas à de simples intentions et présentent des faits concrets. En résumé, les huit suspects seront jugés à partir de cette semaine pour tentative de coup d'État (renversement du gouvernement en place), tentative d'abolition violente de l'État de Droit (démantèlement des institutions démocratiques), organisation criminelle armée, dommages aggravés au patrimoine de l'État et dommages à des biens classés.

Suivant les cas, la peine encourue peut aller jusqu'à 40 ans de prison...

Illustration 3
"Sem anistia" [pas d'amnistie] a été le mot d'ordre des manifestations organisées dans plusieurs villes du pays, ce dimanche 30 mars. © Nacho Lemos / Telesur

Un procès symbolique
Inéligible depuis 2023, Jair Bolsonaro n'a jamais caché ses tendances fascistes, tout comme il a toujours défendu la torture, critiqué les Droits Humains et méprisé les institutions républicaines. Mais au-delà de sa personnalité encore très influente et de l'évidente répercussion politique que pourrait avoir son emprisonnement, c'est la défense de la démocratie qui est en jeu dans cette démarche historique portée par le STF. Pour la première fois dans l'histoire du Brésil, des militaires seront jugés par un tribunal civil. Après deux siècles marqués par une dizaine de prises de pouvoir illégitimes - et qui ont toujours bénéficié de la plus grande impunité - c'est aussi la première fois qu'une tentative de coup d'État est traitée avec une telle sévérité par les instances judiciaires, donnant place à un puissant débat social sur la défense de la Constitution comme priorité absolue. À titre de référence, la dictature militaire de 1964-1985, majestueusement représentée dans le film oscarisé Je suis toujours là, a vu tous ses présidents, généraux et tortionnaires pardonnés par une amnistie générale.

Dans ce contexte croisé de la montée en puissance d'un néofascisme à l'échelle internationale, et de la résurgence, au cinéma, de l'un des pires chapitres de son histoire, la fermeté des institutions face à Jair Bolsonaro prend une dimension hautement symbolique, visant la réparation, la mémoire et le bannissement d'un passé aux blessures encore ouvertes. "Ditadura, nunca mais!" entonnent les citoyen.nes. La dictature, plus jamais.

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