Dimanche 12 décembre 2021.
Le phénomène vient de se reproduire. Absurde, inavouable et malgré tout, désopilant, une impensable pluie d'excréments !
Inconcevable pour sûr. Jusqu'à ce que ça dégringole pour de vrai, et plusieurs jours de suite. Et là, ne tournons pas autour du pot, il a bien fallu se faire à la réalité. Semaines après semaines, mois après mois, l'atroce averse s'est vautrée sur les villes et les village, n'épargnant ni les champs, ni les toits, ni les rues, ni la cour de l'école, ni même le parvis de l'église. Pas une voiture, pas un vélo, pas un tracteur qui ne soit couvert d'une fine pellicule de purin. Un purin blanchâtre, vitreux, quasi transparent, mais à l'odeur sans équivoque : un joyeux bouquet de cadavres confits sortant de croquenots putréfiés.
Et puis un matin, secouant l'abattement quotidien, me vint à l'esprit quelque chose de plus absurde encore. Comment admettre qu'une telle quantité de fiante balancée de nulle part, et qui exhale la mort même, puisse le faire si légèrement, si suavement ? Au point que depuis un moment, presque tout le village, jusqu’au monument aux morts, ait renoncé à penser quoi que ce soit de la chose ?
Alors là, oui, ça me met hors de moi ! Mais c'est comme ça ici. Après quelques semaines de vaine agitation, de menace de grêve de la faim, ou je ne sais plus quoi sur le tas, chacun est retourné à son train-train éternel, qui au chagrin, qui à Pôle Emploi, qui à l'usine à poulets de Monsieur le Maire.
Il y a bien Clément et son sourire béat pour me faire part de son désenchantement complice.
– Alors, tu te réveilles ? Et ta femme, elle est déjà au boulot ?
– Non de dieu Clément, j'ai toujours pas de femme !
– Et ben tu la salueras pour moi. Et dis lui de faire gaffe en sortant, y'a rien qui s'arrange.
C'est ça. Y'a rien qui s'arrange. Même les phénomènes climatiques les plus ineptes laissent le peuple de marbre. Par chance, il reste quand même les très érudits Témoins de Jéhovah. Les seuls capables d'émettre un point de vue scientifique, rationnel, sur l'étrange manifestation. Mais je reste sceptique.
– Ça vous ennuierait qu'on entre une petite minute ? Vous expliquer tout ça ?
C'est les deux mêmes jolies brunes de l'année dernière, vissées à ma porte, sapées comme des secrétaires de la Croix rouge et qui me fixent droit dans les mirettes.
– Ecoutez, j'suis vraiment désolé, mais cette fois, ma femme dort encore !
– Ne vous inquiétez pas. Nous sommes habituées ! On ne la réveillera pas.
C'est probable. Mais vais-je les réveiller elles ? La plus jeune, ses escarpins à la main, s'est assise bien droite sur le siège en rotin déglingué et me radiographie d'un air maternel concupiscant.
– Ça fait deux ou trois fois qu'on vient chez vous, n'est-ce pas ? C'est très aimable de nous recevoir à nouveau. Si si... Mais voilà. On vous avait prévenu ! Pas vrai ?
Comment ça prévenu ?
Vous avez déjà rencontré un Témoin de Jéhovah qui vous prévienne de quoi que ce soit ? Jamais ! Comme à chaque fois, on les oublie définitivement, on ouvre la porte en espérant que c'est le vendeur de frigos jetables ou la police nationale, mais non, c'est encore les deux jolies brunes de Dieu qui viennent se faire chambrer en buvant gratis du thé au gingembre.
– Ecoutez les filles, je veux bien vous suivre, je veux bien faire un gros effort d'imagination, mais là, non ! Non non ! Parce qu'on a déjà tout pris sur la cafetière, pas vrai ? La pomme ! Le déluge ! Charles Martel ! La peste noire ! Hiroshima ! Trois guerres mondiales ! le sida et Laurent Delahousse tous les soirs... Alors s'il vous plaît, une pluie de merde, laissez Dieu en dehors du coup cette fois.
Dieu est au-dessus de tout ça !
Que nenni. Le soir même, Laurent Delahousse en remet une couche.
– Un phénomène miraculeux vient d'être observé sur l'ensemble de la planète, depuis les plaines à blé américaines, en passant par l'Europe de l'Ouest, l'Ukraine, la Géorgie, la Sibérie, et jusqu'au désert de Gobi en Chine. Oui , un phénomène...
Bon là, faut que ça cesse. Pas Delahousse ! Par pitié. Si ce type s'empare du sujet, tout le monde dort asphyxié dans dix minutes. Ah c'est sûr, il va faire venir sur le plateau les deux ou trois spécialistes français de la mouscaille, des maladies nosocomiales et des vaccins qui pètent plus haut que leurs culs. Et de les rouler dans la farine, avec la technique habituelle des questions-réponses-comprises et un bonus gratis pour votre prochain passage sur le plateau !
– Monsieur le scientifique, si je vous ai bien compris ! vous estimez que ce phénomène illustre une fois de plus le délire des adeptes de la théorie du complot, et à ce propos, qu'est-ce que ça vous fait, à vous qui avez consacré une grande partie de votre jeunesse à travailler courageusement et assidûment sur le caca, d'être traîné ainsi dans la boue par des propagateurs d'interprétations sans fondements autorisés ?
L'avantage avec l'autel du vingt heures, c'est que la météo la plus délirante est immédiatement remise à sa place. Ici le concentré de foi climatique consensuel est à absorption immédiate. C'est beaucoup plus rapide que le pari des hectopascals ou la liturgie du pain azyme. A peine a-t-on cliqué sur la télécommande que l'état de grâce coule sur vous comme un lâcher de guano de la Patrouille de France. Et si après sept heures et douze minutes à rester plié dans les entrepôts de Carrefour, ou dans la caserne fumante de Monsieur le Maire, votre cerveau vous pèse, vous pèse au point de vouloir lâcher la pression à tout prix, faites-vous insulter gratis chez vous à heure fixe par un mercenaire sourd. L'autel de Dieu est fait pour vous.
Sachez-le, l'autel de Dieu pense vos plaies.
Et vous protège de toute sortie hasardeuse.