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Billet de blog 1 décembre 2023

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Affaire Dupond-Moretti : un recours en cassation s’impose !

[Rediffusion] La décision de la CJR rendue dans l'affaire Éric Dupond-Moretti opère une modification substantielle de l'appréciation de l'élément intentionnel du délit de prise illégale d'intérêt qui va à l'encontre de la jurisprudence constante de la Cour de cassation et qui risque de tarir le contentieux. Un recours en cassation s'impose parce qu'il y va de la crédibilité de l'institution judiciaire.

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L’arrêt de la Cour de justice de la république rendu 29 novembre 2023 a relaxé Éric Dupond-Moretti poursuivi pour prise illégale d’intérêts pour avoir ordonné des enquêtes administratives visant des magistrats à l’encontre desquels il a formulé des griefs lorsqu’il était avocat.  

 Cette décision révèle une nouvelle fois la nécessité de supprimer cette juridiction établie en 1993 pour renouer le lien de confiance entre les citoyens et ses responsables politiques mais qui est devenue un véritable outil de déconstruction de l’État de droit loin des motifs qui ont servi de justification à sa création.

Le ministère public dispose de 5 jours à compter du prononcé de la décision pour former un pourvoi en cassation.

Nous pensons que ce pourvoi s’impose.

En droit, pour qu’une infraction soit constituée, il faut apporter la preuve d’une part de l’existence d’un élément matériel consistant en une action ou une omission prévue par la loi et d’autre part, d’un élément moral qui, lorsque la loi n’en dispose pas autrement réside dans une intention.

En l’espèce, l’élément matériel n’a pas fait débat : classiquement, la Cour juge que « l’infraction de prise illégale d’intérêts se consomme par le seul usage du pouvoir de décider d’un acte entrant dans les attributions de celui qui en est prévenu ». Dès lors, en prenant la décision d’ordonner l’enquête pour l’un des juges, le ministre se trouvait « placé en situation de conflit d’intérêts ». La situation objective de conflit d’intérêt résultait également des « reproches » qui avaient été adressés au PNF par Éric Dupond-Moretti par voie de presse, et de ce que sa « plainte (était) toujours en cours d’examen » à la date à laquelle la décision a été prise.

C’est, curieusement dans l’élément moral que la CJR va trouver la motivation permettant de relaxer EDM. La Cour de cassation juge de manière constante qu’en matière de prise illégale d’intérêt, l’intention coupable est caractérisée par le seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte matériel, sans qu’il soit nécessaire de prouver qu’il ait tiré un quelconque bénéfice de l'acte prohibé, ni qu’il ait causé un préjudice. Nul besoin de rechercher une intention de nuire quelconque ni même la recherche d’un avantage personnel. C’est ainsi par exemple que le fait de participer à un jury alors que l’on connaît le candidat suffit à constituer le délit.

Au-delà, la Chambre criminelle est particulièrement sévère avec les professionnels notamment du droit, auxquels elle applique la théorie de la connaissance obligée selon laquelle la preuve de l’élément moral repose sur la connaissance présumée de l’interdit pénal parce qu’en raison de sa profession, il ne pouvait pas, ne pas savoir.

Or, l’arrêt de la CJR rompt avec cette jurisprudence constante au motif qu’Éric Dupond Moretti n’avait exprimé aucune animosité, aucun mépris, aucun désir de vengeance à l’égard de magistrats ou encore qu’il n’avait aucune une volonté d’user à leur égard des pouvoirs qu’il tenait de sa position et qu’en conséquence, il n’avait pas, « la conscience suffisante de s’exposer à la commission d’une prise illégale d’intérêts en ordonnant les enquêtes administratives litigieuses.

Un recours en cassation s’impose pour permettre à la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur cette motivation. En effet, soit elle entérine cette nouvelle conception beaucoup plus restrictive de l’élément intentionnel du délit de prise illégale d’intérêt, ce qui aurait des répercussions considérables sur l’ensemble du contentieux de la prise illégale d’intérêt et pourrait même le tarir. Soit au contraire, elle censure cette interprétation en confortant sa jurisprudence constante.

Ce recours devant la plus haute juridiction de l’État s’impose au nom du respect du principe d’égalité de tous devant la loi et pour garantir que, que l’on soit puissant ou misérable, la justice s’exerce de la même manière pour tous.

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