Les perquisitions au Parlement européen à Bruxelles et l’incarcération de la vice-présidente grecque et de trois autres personnes, pour l’heure, s’inscrivent dans le cadre d’une enquête ouverte en juillet par la police judiciaire belge sur une organisation criminelle présumée infiltrée au cœur même du Parlement européen et accusée d’ingérence dans la politique de l’UE et de corruption liée au Qatar.
Nous ne sommes pas en présence d’une corruption isolée qui serait commise par un ou plusieurs parlementaires européens dont on peinerait à comprendre d’ailleurs où est la contrepartie au regard des compétences et des pouvoirs conférés aux députés européens. Nous sommes face à une véritable tentative d’ingérence dans la politique de l’UE dont la corruption serait le moyen.
Ces tentatives d’exercer une influence dans l’UE seraient aux dires de certains députés européens, de plus en plus importantes et agressives.
Est-ce que les institutions européennes sont armées pour résister à ces tentatives et si non, que peut-on proposer ?
De toute évidence la réponse est non. S’il y a bien des dispositions encadrant le lobbying, d’ailleurs largement insuffisantes, elles ne s’appliquent pas aux États tiers ni à leurs représentants.
Des organisations ou puissances étrangères peuvent ainsi se créer des obligés parmi les députés européens en contribuant au financement de formations politiques ou à l’obtention de prêts avantageux par celles-ci.
Cependant, exiger la publication dans le registre de transparence de l’UE, du lobbying des pays tiers, qui, il faut le préciser peut aussi s’exercer par l’intermédiaire d’agents diplomatiques rattachés aux ambassades, mais aussi par n’importe quel tiers, n’est de toute évidence pas suffisant.
Certes, il existe un code de conduite des députés au parlement européen en matière d’intérêts financiers et de conflits d’intérêts qui, s’il avait été respecté par les députés concernés les aurait empêché d’agir à l’encontre des principes de conduite qu’il énonce : « le désintéressement, l'intégrité, la transparence, la diligence, l'honnêteté, la responsabilité et le respect de la réputation du Parlement ». S’il avait été respecté par les députés concernés, ce code de conduite les aurait conduits à agir « uniquement dans l'intérêt général » et pas à tenter « d'obtenir un avantage financier direct ou indirect quelconque ou toute autre gratification » comme cela semble avoir été le cas.
Pour veiller au respect de ce code de conduite, un comité consultatif sur la conduite des députés a été institué au sein du Parlement européen dont la seule prérogative en cas de violation alléguée du code de conduite, est « sur demande du président », de les évaluer et de conseiller le Président quant aux éventuelles mesures à prendre.
C’est, à l’évidence totalement insuffisant pour lutter contre les tentatives d’ingérence du Parlement européen d’où qu’elles viennent. Un seul rempart existe : faire prévaloir l’éthique.
La confiance des peuples européens, déjà altérées par les nombreuses affaires de corruption et de conflits d’intérêts y compris au sein de la commission européenne, c’est une véritable politique de transparence et de prévention de la corruption qui aujourd’hui n’existe pas, qui serait nécessaire pour la restaurer.
Pour tenter d’arrêter l’onde de choc que cette affaire a provoqué, nous formulons deux propositions :
- La création d’un organe européen indépendant en charge des questions d’éthique, doté d’un pouvoir d’enquêtes sur d’éventuels conflits d’intérêts et en cas de violation du code de conduite impliquant des commissaires européens, les eurodéputés et le personnel du Parlement européen. La saisine de cet organe devrait être largement ouverte, aux journalistes, aux ONG aux lanceurs d’alerte où à la demande du médiateur européen.
La Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen a donné en septembre 2021 un avis favorable à la création d’un tel organisme mais la commission européenne n’a toujours pas présenté sa proposition.
Cela donne à voir le manque de volonté politique de la Commission et du Conseil européen sans qui, rien ne peut se faire, à prévenir la corruption et à garantir l’éthique dans les comportements de l’ensemble des acteurs des institutions européennes.
- Au-delà, la responsabilité des peuples européens devrait être de ne pas envoyer au Parlement européen des députés peu soucieux de probité. L’accès du Parlement européen devrait être interdite à toute personne sanctionnée pour des faits d’atteinte à la probité ou en cas de mauvaise gestion des affaires publiques qui devrait donc être inéligible.
Malheureusement force est de constater qu’à chaque élection les questions d’éthique et de probité passent largement au second plan et ne font jamais partie du débat alors que toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’elles sont une réelle préoccupation des peuples européens.
La construction de l’Union européenne est à un tournant : soit, nous Peuples européens, choisissons de la consolider autour des valeurs humanistes dont la probité est le ciment soit, nous faisons passer l’éthique au second plan, mais alors, nous signerons la fin du rêve de Victor Hugo : « Et de l’Union des libertés dans la fraternité des peuples naîtra la sympathie des âmes, germe de cet immense avenir où commencera pour le genre humain, la vie Universelle que l’on appellera la Paix de l’Europe ».
Chantal CUTAJAR
Directrice du GRASCO – Université de Strasbourg