Chantal Cutajar (avatar)

Chantal Cutajar

Présidente CAP21-Le Rassemblement Citoyen

Abonné·e de Mediapart

18 Billets

0 Édition

Billet de blog 14 mars 2025

Chantal Cutajar (avatar)

Chantal Cutajar

Présidente CAP21-Le Rassemblement Citoyen

Abonné·e de Mediapart

Ne sacrifions pas la lutte contre la cybercriminalité sur l’autel du Pnaco

Alors que la mission de préfiguration du Parquet national anticriminalité organisée (Pnaco) s’interroge sur le sort de la section J3 du Parquet de Paris spécialisée dans la cybercriminalité, une question stratégique se pose : faut-il l’intégrer totalement au Pnaco ou maintenir une spécialisation distincte au sein du Parquet de Paris ?

Chantal Cutajar (avatar)

Chantal Cutajar

Présidente CAP21-Le Rassemblement Citoyen

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Alors que la mission de préfiguration du Parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), dirigée par le magistrat Arnaud Faugère, s’interroge sur le sort de la section J3 du Parquet de Paris spécialisée dans la cybercriminalité, une question stratégique se pose : faut-il l’intégrer totalement au Pnaco ou maintenir une spécialisation distincte au sein du Parquet de Paris ? Ce choix n’est pas anodin et a des répercussions profondes sur notre capacité à lutter efficacement contre les menaces contemporaines.

La cybercriminalité est aujourd’hui au cœur des stratégies criminelles, mais elle ne se limite pas aux organisations criminelles traditionnelles. Elle englobe également des infractions telles que l’espionnage économique, les fraudes numériques à grande échelle, et même les attaques contre nos infrastructures critiques. Intégrer toute la section J3 au Pnaco, c’est risquer de fragmenter la lutte contre la cybercriminalité, qui ne se résume pas uniquement à la criminalité organisée, et donc de perdre de vue des enjeux cruciaux.

Une solution pragmatique pour une réponse adaptée

L’enjeu est de taille. En intégrant uniquement une cellule spécialisée en cybercriminalité au sein du Pnaco, dédiée spécifiquement aux affaires impliquant des réseaux criminels organisés, nous garantirions une approche cohérente et ciblée des infractions. La section J3 pourrait conserver une autonomie au sein du Parquet de Paris, où elle continuerait de traiter les autres formes de cybercriminalité, non liées directement à des organisations criminelles, mais tout aussi menaçantes. Ce modèle hybride garantirait l’efficacité de la lutte contre la cybercriminalité tout en respectant les missions spécifiques du Pnaco.

Une telle intégration partielle assurerait la spécialisation nécessaire pour faire face à la complexité croissante des crimes numériques. Les cybercriminels ont évolué, utilisant des outils de plus en plus sophistiqués pour leur blanchiment d’argent, leur fraude et leurs attaques. Une approche spécialisée et coordonnée entre les deux structures permettrait de maintenir une expertise de pointe, tout en optimisant la capacité de réponse aux menaces cyber dans les différents domaines qu’elles couvrent.

Un équilibre entre spécialisation et coordination

Cette solution permettrait de préserver l’efficacité des enquêtes tout en répondant à la réalité du terrain, où les cybercriminels et les criminels organisés exploitent de plus en plus des synergies transversales. Une coordination fluide entre le Pnaco et la section J3 serait indispensable, en permettant aux deux entités de partager des informations, de mutualiser des moyens et d’intervenir de manière complémentaire sur des dossiers spécifiques.

Cette approche s’inspire de modèles existants. L’Italie, confrontée à des problématiques similaires, a structuré sa réponse en maintenant une spécialisation cyber indépendante tout en renforçant la coopération entre les parquets spécialisés. Ce système a démontré son efficacité et pourrait être une source d’inspiration précieuse pour la France.

Il est crucial que cette réforme ne soit pas motivée par une vision purement administrative, mais qu’elle repose sur des réflexions pragmatiques sur l’adaptabilité de notre justice face aux nouvelles formes de criminalité. Les systèmes de paiement numériques, les crypto-actifs et les attaques informatiques massives nécessitent des compétences spécifiques que seules des unités spécialisées comme J3 peuvent apporter. Mais les synergies avec le Pnaco permettront de renforcer l’action contre les groupes criminels organisés qui utilisent le cyberespace comme terrain d’exploitation.

Une politique cohérente face aux menaces de demain

En fin de compte, le choix qui s’offre au Parlement et au gouvernement est fondamental : faut-il dissoudre une expertise déjà éprouvée, ou bien faut-il l’intégrer dans un dispositif plus large sans perdre ses spécificités ? L’option intermédiaire, qui consiste à maintenir une section cyber dédiée tout en renforçant la coopération avec le Pnaco, est sans doute la plus sage. Ce modèle, qui a déjà fait ses preuves ailleurs en Europe, permet de combiner une réponse spécialisée à des défis complexes et une approche intégrée de la criminalité organisée.

Les autorités doivent prendre cette décision avec la conscience que l’avenir de la justice pénale face à la cybercriminalité et à la criminalité organisée se joue aujourd’hui. Une vision partagée et collaborative entre les autorités spécialisées en cybercriminalité et celles traitant la criminalité organisée renforcera sans doute notre capacité à démanteler des réseaux criminels tout en protégeant nos institutions des menaces numériques.

Chantal Cutajar

Directrice du GRASCO (Groupe de recherches-actions sur la criminalité organisée) - Université de Strasbourg – UMR DRES 7354

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.