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Billet de blog 14 octobre 2025

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Suivre l’argent pour défendre le vivant

La criminalité environnementale est aujourd’hui l’une des activités criminelles les plus lucratives au monde. Pourtant, cette criminalité reste traitée comme une infraction périphérique. Systématiser les investigations financières est indispensable, car on ne peut pas combattre ce que l’on ne comprend pas, et on ne peut pas comprendre sans suivre l’argent.

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Suivre l’argent pour défendre le vivant : pourquoi l’Europe doit systématiser les investigations financières face à la criminalité environnementale

Par Chantal Cutajar, maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Strasbourg,
Directrice générale du CEIFAC (Collège européen des investigations financières et de l’analyse financière criminelle) - Directrice du GRASCO (UMR DRES 7354)

Un angle mort du droit pénal

La criminalité environnementale est aujourd’hui l’une des activités criminelles les plus lucratives au monde — estimée à plusieurs centaines de milliards d’euros par an.
Elle alimente le trafic d’espèces sauvages, le déversement illégal de déchets, la déforestation, la pêche illicite, la pollution industrielle.
Et derrière ces atteintes au vivant, il y a une économie parallèle, des circuits financiers opaques, des sociétés-écrans et des profits colossaux.

Pourtant, cette criminalité reste traitée comme une infraction périphérique, là où elle constitue en réalité une attaque systémique contre la planète, la santé publique et les droits fondamentaux.
L’Europe a les moyens juridiques, techniques et institutionnels d’y faire face.
Mais elle manque encore d’une vision intégrée : celle qui relie le crime environnemental au crime économique.

L’argent, fil rouge du crime vert

Le Livre blanc “Systématiser les investigations financières pour combattre la criminalité environnementale en Europe”, publié chez Lefebvre Dalloz, part d’un constat simple :
on ne peut pas combattre ce que l’on ne comprend pas, et on ne peut pas comprendre sans suivre l’argent.

Les enquêtes environnementales s’arrêtent trop souvent aux auteurs apparents : transporteurs, exploitants, sous-traitants.
Mais les véritables décideurs — ceux qui conçoivent, financent et profitent de ces atteintes — demeurent invisibles.
L’outil clé pour les atteindre existe pourtant : l’investigation financière, capable de révéler les bénéficiaires réels, les circuits de blanchiment, les complicités économiques et politiques.

Ce Livre blanc propose dix recommandations concrètes, destinées à faire des enquêtes financières un pilier de la lutte contre la criminalité environnementale à l’échelle européenne.
Parmi elles :

  • améliorer la connaissance du phénomène dans sa dimension économique,
  • renforcer la coopération entre autorités judiciaires, financières et environnementales,
  • mobiliser les cellules de renseignement financier,
  • ériger l’écocide en infraction pénale autonome à l’échelle de l’Union,
  • et soutenir la formation d’une nouvelle génération d’enquêteurs et de magistrats européens spécialisés.

Une Europe du droit et du vivant

L’enjeu dépasse la seule répression.
Il s’agit de réaffirmer le rôle du droit pénal comme instrument de protection du vivant,
de garantir que la destruction massive des écosystèmes ne soit plus seulement un scandale moral, mais un crime juridiquement qualifié, poursuivi et sanctionné.

Reconnaître l’écocide, c’est donner un nom à l’indicible.
Mais sans capacité d’enquête, de traçabilité et de coopération internationale, ce nom resterait symbolique.
C’est pourquoi le Livre blanc propose une vision intégrée : associer droit pénal, finance et environnement dans une approche systémique — où chaque euro issu de la destruction du vivant puisse être retrouvé, gelé et restitué pour réparer.

Une exigence démocratique

Systématiser les investigations financières, c’est aussi restaurer la confiance dans la justice.
Car chaque fois que les crimes environnementaux restent impunis, c’est le sentiment d’injustice qui s’enracine.
Ce combat n’est pas celui d’un courant politique : c’est celui de l’État de droit face à l’économie du crime.

Face à la montée des écocides, des crimes industriels et des trafics de ressources naturelles,
l’Europe a le devoir d’être à l’avant-garde.
Elle peut — et doit — devenir le premier espace juridique mondial à relier la protection de l’environnement à la lutte contre la criminalité financière.

Pour une justice à la hauteur du vivant

Le Livre blanc du CEIFAC ne se contente pas d’alerter.
Il trace une voie : celle d’une justice européenne du vivant, capable d’unir le droit, la finance et la conscience écologique.

Parce que détruire la nature, c’est détruire nos conditions d’existence.
Et parce que le crime contre le vivant ne doit plus jamais payer.

“Systématiser les investigations financières pour combattre la criminalité environnementale en Europe”
Publié chez Lefebvre Dalloz, sous la direction de Chantal Cutajar,
avec la contribution d’un comité d’experts européens — magistrats, enquêteurs, universitaires et praticiens du droit.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.