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Billet de blog 15 mai 2025

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Le silence des SMS : ce que la CJUE nous dit du naufrage éthique de la Commission européenne

Alors que la Commission européenne n’a pas justifié son refus de communiquer sur les SMS échangés entre Ursula von der Leyen, et le président-directeur général (PDG) de Pfizer, Albert Bourla, cet enjeu de transparence révèle un mal plus profond : l'effacement de l’éthique publique au profit d’une technocratie qui se pense au-dessus des règles.

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Le 14 mai 2025, le Tribunal de l’Union européenne a rendu un arrêt historique. Saisi par un média, il a annulé la décision de la Commission européenne de refuser l’accès aux SMS échangés par sa Présidente, Ursula von der Leyen, avec le PDG de Pfizer, Albert Bourla, pendant les négociations d’un des plus importants contrats de vaccination jamais passés. Ce jugement, au-delà de sa portée juridique, agit comme un électrochoc démocratique. Il révèle un mal plus profond : l'effacement de l’éthique publique au profit d’une technocratie qui se pense au-dessus des règles.

Une affaire de principes, pas de technologie

La Commission a tenté de faire croire que de simples SMS n’étaient pas des documents administratifs. Que leur nature "éphémère" les exonérait des obligations de transparence. Le Tribunal a balayé cet argument d’un revers de plume : c’est le contenu, et non le support, qui détermine la valeur administrative d’un message.

Faut-il le rappeler ? Un échange électronique, s’il participe à l’élaboration ou à la conclusion d’une politique publique engageant des milliards d’euros, entre de plein droit dans le champ du droit d’accès à l’information. Les SMS de Madame Von der Leyen ne sont pas une conversation privée. Ils appartiennent aux citoyens européens.

L’effacement du contrôle démocratique

Ce qui s’est joué dans cette affaire n’est pas un simple défaut d’archivage. C’est un déni de redevabilité. L’opacité volontaire de la Commission, sa stratégie dilatoire, sa mauvaise foi institutionnelle, tout cela dit une chose : ceux qui décident au sommet ne veulent plus être comptables de leurs actes devant le peuple européen.

C’est ce que ce jugement vient corriger. En condamnant la Commission, le Tribunal rappelle que nul, fût-il président de l’exécutif européen, n’est au-dessus du droit.

Dans les termes mêmes du Tribunal :

« La Commission ne pouvait se contenter d’affirmer qu’aucun document n’avait été identifié, sans expliquer de manière compréhensible les recherches concrètes effectuées. »
Cette critique vise le cœur du problème : non seulement les messages n’ont pas été communiqués, mais la Commission a refusé de rendre compte des démarches engagées — ou non — pour les retrouver. Ce manquement caractérise une violation claire du principe de bonne administration.

Mais cette décision pose une autre question, plus politique encore : comment avons-nous laissé se banaliser l’idée qu’un contrat engageant la santé et les finances de 450 millions d’Européens pouvait être négocié dans l’opacité d’un téléphone personnel, sans trace, sans compte rendu, sans débat ?

Une atteinte potentielle aux règles de la commande publique

Au-delà des questions de transparence, cette affaire soulève une autre inquiétude majeure : celle du respect des règles européennes en matière de marchés publics. L’achat de 1,8 milliard de doses de vaccin représente l’un des plus grands contrats de l’histoire de l’Union. Or, rien ne permet de dire aujourd’hui si ce marché a été conclu dans le respect des principes de concurrence, d’égalité d’accès, de transparence et de traçabilité, piliers du droit de la commande publique.

Comment justifier que des engagements aussi considérables aient pu être négociés par messages privés, sans mise en concurrence formalisée, sans publication préalable d’un appel d’offres, sans documentation accessible ? Si ces éléments manquent, c’est l’ensemble du processus de contractualisation qui pourrait être entaché d’irrégularité, voire de nullité.

Le recours à la procédure d’urgence, parfois évoqué pour justifier cette opacité, ne saurait exonérer d’une obligation minimale de publicité et d’impartialité. Le droit européen prévoit des procédures adaptées aux situations de crise — encore faut-il les respecter.

Cette dérive est d’autant plus préoccupante qu’elle ouvre la voie à un dangereux précédent : celui où l’exécutif européen, au nom de l’efficacité ou de la crise, s’autoriserait à contourner les garanties fondamentales de la dépense publique.

Une exigence de refondation démocratique

CAP 21 – Le Rassemblement Citoyen appelle à tirer toutes les conséquences de cette affaire. Il est temps d’établir des règles contraignantes et uniformes pour garantir l’archivage, la traçabilité et la publicité des communications des responsables publics, quels qu’en soient les supports.

Mais au-delà des règles, c’est une éthique qu’il faut retrouver. L’éthique de la probité. L’éthique de la transparence. L’éthique du respect des citoyens.

Nous ne pouvons plus nous contenter d’invoquer des valeurs européennes pendant que leurs garants s’en exonèrent. Il est temps d’exiger des actes, et de faire de l’exemplarité une condition d’exercice des plus hautes fonctions européennes.

Le jugement du Tribunal de l’Union européenne ne referme pas une affaire. Il en ouvre une autre : celle de la restauration de la confiance entre les peuples d’Europe et leurs institutions.

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