Face au narcotrafic et aux organisations criminelles qui sapent les fondements de l’État de droit, la réponse pénale doit être ferme. Mais la démocratie ne saurait s’effacer au nom de l’efficacité. La décision du Conseil constitutionnel du 12 juin trace les limites du droit d’exception, mais elle interroge plus profondément notre capacité collective à concilier sécurité, justice et libertés.
L’urgence sécuritaire, nouveau régime politique ?
Depuis deux décennies, chaque crise – attentats, violences urbaines, crimes de réseau – accélère la transformation de notre droit pénal. La loi anti-narcotrafic s’inscrit dans cette dynamique : réponse immédiate à une menace grave, elle articule répression, surveillance et fichage autour d’une logique d’efficacité.
Mais ce qui devait relever de l’exception devient peu à peu la norme. L’état d’urgence pénètre le droit commun par capillarité. Le Conseil constitutionnel, saisi par les parlementaires, encadre le texte, censure les excès les plus flagrants, mais ne peut juger de la trajectoire globale. Ce rôle n’est pas dans ses attributions. Pourtant, c’est cette trajectoire qu’il faut interroger : voulons-nous fonder la démocratie sur la peur ?
Un droit pénal d’exception devenu ordinaire
Garde à vue de 120 heures, surveillance algorithmique, gel administratif des avoirs, restrictions de séjour prononcées par l’administration : autant de mesures autrefois réservées à l’antiterrorisme, désormais étendues à la criminalité organisée.
Ce glissement n’est pas seulement juridique : il est culturel. En installant l’exception dans l’ordinaire, on anesthésie les réflexes démocratiques. La défense devient plus difficile, la présomption d’innocence se fragilise, la justice se technicise. À force de vouloir lutter contre la criminalité en utilisant des outils de guerre, c’est la nature même de la justice pénale qui se transforme : d’une justice de l’équilibre, on glisse vers une justice de la suspicion.
Oui, il faut un droit pénal fort face aux organisations criminelles
L’exigence d’un droit pénal robuste n’est pas contestable. Les réseaux criminels structurés – narcotrafics, mafias, trafics d’êtres humains – ne relèvent pas du droit pénal ordinaire. Ils corrompent les institutions, déstabilisent les territoires, financent parfois le terrorisme.
La démocratie ne peut pas faire preuve de naïveté. Pour lutter contre le développement des organisations criminelles nous avons besoin d’un arsenal spécifique, ciblant les logistiques criminelles, les soutiens financiers, les structures opaques.
Mais un droit pénal fort ne doit pas être absolu, opaque ou dérogatoire aux garanties constitutionnelles. Il doit être stratégique, proportionné, contrôlé. C’est là que se joue le véritable courage démocratique : refuser de céder à l’arbitraire, même face à l’ennemi le plus dangereux.
Le Conseil constitutionnel, régulateur sans force d’inflexion
Dans sa décision du 12 juin, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions emblématiques : le fichage sans garanties, la saisine automatique du parquet national spécialisé, l’aggravation automatique des peines, la restriction du contradictoire. Il a encadré d’autres mesures sensibles par des réserves d’interprétation strictes.
Mais il a aussi laissé passer un cadre général de répression renforcée, sans interroger son impact systémique sur la démocratie. Il agit en régulateur juridique, non en acteur politique. C’est son rôle. Mais dans un contexte où les libertés se jouent à la marge, ce silence pèse.
Le Conseil filtre, il ne freine pas. Il module, il n’alerte pas. Et c’est là une des limites de notre démocratie : elle délègue à ses institutions juridictionnelles la défense d’un cadre qu’elle n’ose plus assumer politiquement.
Pour une démocratie pénale : forte contre le crime, fidèle aux principes
Nous avons besoin d’un droit pénal de résistance face à la criminalité organisée, mais aussi d’un État de droit résistant. Cela suppose une démocratie capable de :
- penser ses priorités judiciaires, non de les improviser ;
- articuler stratégie sécuritaire et contrôle juridictionnel ;
- garantir l’effectivité des droits de la défense ;
- permettre un débat public réel sur les outils, leurs effets, et leurs dérives.
Le droit est une arme. Il peut protéger ou blesser. Il peut servir la justice ou un levier d’oppression. Ce n’est pas seulement sa lettre qui compte, mais son usage, son esprit, son contrôle.
La démocratie ne se mesure pas à l’intensité de ses dispositifs de sécurité. Elle se mesure à sa capacité à tenir le cap de ses principes dans la tourmente. Répondre à la criminalité organisée, oui. Mais pas en organisant, silencieusement, la sortie de la démocratie.
CAP 21-LRC : pour un droit pénal démocratique et stratégique
A CAP 21 – Le Rassemblement Citoyen, nous refusons le faux choix entre efficacité sécuritaire et protection des libertés. Nous devons défendre une troisième voie : celle d’un droit pénal adapté à la menace, mais ancré dans les principes de la République.
C’est pourquoi nous proposons :
1. Un renforcement des contre-pouvoirs juridictionnels avec la création d’un juge des libertés permanent dans les affaires de criminalité organisée.2. Une évaluation démocratique des lois d’exception en imposant une clause de revoyure systématique dans toutes les lois introduisant des dérogations aux droits fondamentaux et en créant une mission parlementaire permanente sur les libertés publiques.3. Un débat public structuré sur les finalités de la politique pénale. Nous devons sortir du réflexe de l’urgence et de l’émotion pour adopter une stratégie pénale nationale débattue, co-construite et évaluée. Dès lors, l’organisation d’États généraux de la justice pénale, incluant praticiens, chercheurs, citoyens et associations s’impose.
Il est temps de faire un choix politique clair : tenir ensemble l’impératif de sécurité et l’exigence démocratique. La criminalité organisée met en péril notre cohésion républicaine. Mais y répondre ne doit pas signifier s’y abandonner.
La démocratie pénale n’est pas un luxe. Elle est la seule voie durable pour affaiblir les réseaux criminels sans affaiblir la République.