Chantal Cutajar (avatar)

Chantal Cutajar

Présidente CAP21-Le Rassemblement Citoyen

Abonné·e de Mediapart

20 Billets

0 Édition

Billet de blog 19 octobre 2025

Chantal Cutajar (avatar)

Chantal Cutajar

Présidente CAP21-Le Rassemblement Citoyen

Abonné·e de Mediapart

Le capitalisme financier est-il encore régulable ? Pour une reconquête démocratique de la finance

Face à l’emprise croissante du capitalisme financier, croire en la régulation relève de la naïveté. L’enjeu n’est plus de moraliser la finance, mais de la soumettre à la transparence, à la responsabilité et à la démocratie.

Chantal Cutajar (avatar)

Chantal Cutajar

Présidente CAP21-Le Rassemblement Citoyen

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La dette publique revient au cœur du débat, la taxe Zucman divise les élites, et certains banquiers se découvrent une conscience sociale. Mais pendant que le discours se moralise, les flux financiers, eux, s’affranchissent de tout contrôle.

Le capitalisme financier ne se contente plus d’accompagner l’économie : il la surplombe. Son pouvoir tient à sa capacité de circulation : l’argent ne connaît ni frontières ni délais. Chaque tentative de régulation – fiscale, prudentielle ou environnementale – devient une entrave à cette fluidité. Et parce qu’il vit de vitesse et d’évasion, le capitalisme financier fait du contournement de la règle son principe vital.

Ses instruments sont juridiques avant d’être économiques. Derrière chaque scandale, on retrouve les mêmes architectures : sociétés écrans imbriquées, fiducies, véhicules hybrides, arbitrages réglementaires savamment orchestrés. Le droit, au lieu d’être un garde-fou, devient l’outil même de la dissimulation : il protège les acteurs puissants derrière des murs de légalité opaque.

Un système structurellement anti-régulatoire

Le capitalisme industriel du XXᵉ siècle produisait des biens ; celui du XXIᵉ produit du mouvement. Or la régulation ralentit. Là où l’État impose des bornes, la finance cherche des issues ; là où la loi territorialise, elle déterritorialise. Ce système ne tolère la norme que pour mieux en détourner le sens.

Les régulations adoptées depuis vingt ans – du GAFI au nouveau paquet européen de lutte contre le blanchiment, du plan BEPS de l’OCDE aux règles de transparence bancaire – ont sans doute affiné les mécanismes de contrôle. Elles témoignent d’un effort réel d’harmonisation, notamment à travers la création d’une autorité européenne (AMLA) et l’adoption de règlements directement applicables. Mais ces avancées ne traduisent pas une rupture : elles marquent plutôt l’intériorisation par le droit du langage et des logiques de la finance. Le droit s’est adapté à la fluidité, à la conformité et à la performance qu’il devait contenir. Ainsi, les nouvelles normes encadrent sans transformer : elles donnent forme et légitimité au pouvoir financier, sans en contester la finalité. La finance n’agit plus contre la règle, elle agit à travers elle.

Les banquiers critiques : une conscience sans transformation

Face à cette crise de légitimité, une nouvelle figure a émergé : celle du « banquier critique ». Matthieu Pigasse, aujourd’hui directeur du bureau parisien de Centerview Partners, en est l’illustration la plus aboutie. Il dénonce l’accroissement des inégalités, appelle à un partage des richesses et soutient la taxe Zucman. Il plaide pour un État fort, une économie au service du social, la réinvention d’un modèle plus juste.

Mais il dirige en même temps une banque d’investissement dont le métier consiste à optimiser la valeur actionnariale et à accompagner les opérations de concentration du capital. Ce paradoxe n’est pas individuel : il est systémique.

Comme Larry Fink (BlackRock) ou Emmanuel Faber (ex-Danone), Pigasse incarne cette élite financière en quête de rédemption morale. Ces acteurs lucides sur les excès du système prétendent le corriger sans le remettre en cause. Ils convertissent la critique en capital symbolique : prophètes d’un capitalisme « responsable », ils en perpétuent les fondations.

Cette « moralisation du capitalisme » n’en constitue pas la régulation, mais la régénération.
Le système se nourrit de ces repentances qui renforcent sa légitimité. Comme l’écrivaient Boltanski et Chiapello : « Le capitalisme survit parce qu’il est capable d’intégrer la critique qui le vise. »

Sortir de l’illusion régulatoire

Croire encore à la régulation du capitalisme financier, c’est méconnaître sa nature profonde.
Ce système ne se contente pas d’utiliser le droit : il l’a absorbé. Les instruments financiers contemporains – sociétés écrans, fiducies, véhicules hybrides, contrats dérivés – sont avant tout des constructions juridiques. La finance ne contourne plus la loi, elle agit à travers elle.
Le droit, jadis rempart du politique, est devenu le langage technique du capital.

Ce n’est donc pas par la règle juridique que nous parviendrons à le maîtriser, car le droit a été mis au service de la fluidité qu’il devait contenir. Il produit aujourd’hui de la légalité sans justice, de la conformité sans responsabilité. Les « marchés » ne s’opposent pas à l’État : ils en habitent les structures normatives. Le capitalisme financier ne détruit pas la souveraineté, il l’externalise, en la rendant impuissante à dire la limite.

Réintroduire la limite, restaurer le sens

Si la régulation ne suffit plus, c’est qu’il nous faut changer de terrain. Le problème n’est pas d’abord juridique, mais symbolique et culturel. Le capitalisme financier prospère sur une illusion : celle que tout peut circuler sans entrave, que la vitesse est synonyme de progrès, que la valeur se mesure à sa liquidité.

Or, la démocratie repose sur l’inverse : la limite, la durée, le sens partagé. Rétablir la limite, c’est réaffirmer que tout ce qui est légal n’est pas légitime. C’est restaurer un espace de délibération où l’on puisse dire non à ce qui détruit le lien social ou la planète, même quand la loi le permet. La politique retrouve alors sa fonction symbolique : celle qui distingue le licite du juste.

Reprendre la main sur le récit

La finance domine parce qu’elle impose son récit : celui de la performance, de la rationalité et du calcul. Elle s’est emparée non seulement de nos institutions, mais de notre imaginaire collectif. Sortir de son emprise suppose donc de changer le récit : substituer à la fiction de la croissance infinie une culture du vivant, du commun et de la responsabilité.

Réencastrer la finance dans la démocratie, ce n’est pas la moraliser, c’est lui retirer le monopole du sens.
Cela passe par l’éducation, la culture, la parole publique, la participation citoyenne – tous ces espaces où se construit la conscience du bien commun. La véritable reconquête n’est pas normative : elle est symbolique.

Pour une reconquête démocratique de la finance

Le capitalisme financier ne se laissera pas réguler ; il doit être dépossédé de son pouvoir de définition. Ce contre-pouvoir, ce n’est ni la morale ni la technocratie : c’est la démocratie.

C’est la capacité des citoyens à reprendre la maîtrise du sens, à exiger la lisibilité des choix collectifs, à soumettre la puissance économique à la délibération publique.

CAP 21 – Le Rassemblement Citoyen revendique ce cap : non pas un retour à l’économie administrée, mais une économie du respect du vivant, où la richesse circule dans la transparence et au service de la société.

La finance n’est pas l’ennemie : elle doit redevenir un outil au service du bien commun.
Mais cela suppose d’en finir avec la fiction d’un capitalisme moral et de rétablir la primauté du politique sur le pouvoir du capital.

La question n’est plus de savoir si le capitalisme financier peut être régulé, mais si nos démocraties sauront réinventer le sens avant qu’il ne soit dissous dans la vitesse de l’argent.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.