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Billet de blog 26 mai 2025

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Réduire le cash ne suffit pas : pour une lutte efficace et éthique contre le blanchiment

Alors que Gérald Darmanin relance le débat sur la limitation du cash pour lutter contre le blanchiment, la perspective d’un euro numérique européen se précise. Présenté comme un outil de transparence, il soulève des questions majeures de libertés et d’efficacité. Une approche alternative est possible : plus démocratique, plus éthique, plus inclusive.

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Le 24 mai 2025, Gérald Darmanin, ministre de la Justice, a relancé le débat sur la réduction de l’usage des espèces, présentée comme un levier dans la lutte contre le blanchiment et le narcotrafic. Cette déclaration, à première vue technique, s’inscrit dans une dynamique politique plus large : la mise en place de l’euro numérique, attendue pour 2027–2028.

Préparé par la Banque centrale européenne (BCE), appuyé par deux propositions de règlement de la Commission européenne (2023), l’euro numérique vise à offrir une monnaie traçable, complémentaire au cash, au service de la souveraineté monétaire européenne et de la lutte contre les flux financiers illicites. En France, où 50 % des paiements de proximité s’effectuent encore en espèces, certains voient dans cette évolution une réponse attendue. D’autres, au contraire, redoutent un glissement vers un contrôle numérique généralisé.

L’euro numérique contre le blanchiment : promesse ou illusion ?

Il est indéniable que l’argent liquide facilite le blanchiment, en particulier au stade du placement. En 2023, Tracfin a reçu 178 667 signalements, en légère baisse par rapport à 2022. Une part importante de ces déclarations concernait encore des flux suspects en espèces, signe que le cash reste un vecteur privilégié du blanchiment dans sa phase initiale.

Un euro numérique, tel qu’envisagé par la BCE, pourrait être plafonné à 3 000 ou 4 000 euros par utilisateur, afin de limiter les effets de désintermédiation bancaire. S’il est distribué par des établissements soumis aux obligations LCB-FT, il pourrait indirectement contribuer à restreindre les capacités de blanchiment. Toutefois, ni le règlement sur l’euro numérique, ni celui créant l’AMLA ne prévoient aujourd’hui une supervision directe de cette monnaie par l’Autorité européenne de lutte contre le blanchiment.

Par ailleurs, les limites opérationnelles sont nombreuses :

  • Les adaptations du crime organisé : les criminels exploitent déjà les cryptomonnaies anonymes et les mixeurs décentralisés (Tornado Cash, Samourai Wallet, etc.). En 2024, selon Chainalysis, 1,7 milliard de dollars de crypto-actifs étaient liés à des activités illicites.
  • Le mode hors ligne de l’euro numérique : prévu pour permettre des transactions anonymes de faible montant, il pourrait paradoxalement faciliter le micro-blanchiment.
  • Les failles systémiques : les scandales Danske Bank ou Wirecard montrent que les institutions financières restent vulnérables, quel que soit le type de monnaie utilisé.

Ainsi, sans un encadrement global et une vigilance accrue sur les solutions alternatives, l’euro numérique risque de déplacer le problème plus qu’il ne le résout.

Pour une approche éthique et démocratique

Le cadre réglementaire européen a certes progressé. Le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets) impose désormais une supervision harmonisée des prestataires de services sur actifs numériques. La révision du règlement sur les transferts de fonds (TFR) introduit la "travel rule" pour les crypto-actifs. Et l’AMLA doit entrer en fonction en 2026.

Mais des zones d’ombre subsistent :

  • Les mixeurs décentralisés échappent encore largement au cadre européen.
  • Les prestataires hors UE, souvent basés dans des juridictions peu coopératives, restent difficilement contrôlables.
  • L’efficacité de l’AMLA dépendra des moyens concrets dont elle disposera, et de la volonté politique des États membres à la soutenir dans son rôle de supervision transfrontalière.

Face à ces défis, CAP 21 propose une stratégie à trois volets :

  1. Compléter et renforcer les cadres LCB-FT, notamment en ciblant plus efficacement les technologies émergentes et les acteurs non coopératifs ;
  2. Protéger la vie privée, en garantissant l’anonymat des paiements de faible montant sous le contrôle du Comité européen de la protection des données (CEPD) ;
  3. Assurer l’inclusion numérique, avec des portefeuilles numériques accessibles, gratuits, et accompagnés d’un soutien pédagogique pour les publics non bancarisés (personnes âgées, habitants des zones rurales, publics précaires).

Une monnaie numérique ne se décrète pas, elle se construit

La monnaie est un bien commun. Sa transformation numérique ne peut être laissée à la seule main des technostructures, sans débat public, ni contrôle démocratique. L’euro numérique ne sera un outil de justice et de transparence qu’à condition d’associer les citoyens, les juristes, les économistes et les représentants de la société civile à sa conception.

Nous appelons à ce que cette mutation monétaire ne devienne ni une opération de communication, ni un cheval de Troie sécuritaire. Elle peut, au contraire, être l’occasion d’inventer une gouvernance numérique respectueuse des droits fondamentaux.

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