Si Mélenchon jubile, c'est parce que "les événements en cours sont à [ses] yeux la confirmation du schéma théorique mis au point dans la théorie de la révolution citoyenne telle que l’a résumée [son] livre L’Ère du peuple." Et il ajoute : "...cette conceptualisation est en rupture avec la doxa traditionnelle de la gauche traditionnelle et de l’extrême gauche sur le sujet. Quoique vendu à près de cent mille exemplaires au fil de ses quatre éditions successives, il ne m’a offert aucune occasion de débat sur le thème. Je le regrette."
Traduction : Mélenchon est un prophète. Certes, il jubile, sa prophétie est en cours de réalisation, toutefois il regrette que personne n'ait remarqué que le prophète de cette affaire c'est lui. Si on l'avait encore un peu plus entendu, un peu plus invité dans les plateaux de télé, sans doute la France Insoumise et les gilets jaunes ne formeraient qu'un. Si on lui avait offert, comme à Zemmour, des occasion de débats, les "gilets jaunes" ne seraient pas aujourd'hui sans leader. S'il avait débattu à ce sujet, on parlerait à ce stade du Mélenchonisme. "Gilets jaunes", vous avez donc un chef. Il vient de la gauche, et maintenant il appartient au "peuple", c'est à dire à vous, "Invisibles" devenus Lumières.
Quant aux gauchistes, ultra gauchistes qui n'ont jamais compris pourquoi Mélenchon abandonne la rhétorique classique de la gôche, eh bien que ce qui est en train de se passer (le basculement du pays dans le fascisme ordinaire) leur serve de leçon historique. Mélenchon a vu juste.
L'Insoumis en chef ne manque pas d'air. Que nomme-t-il doxa (agrégat de croyances non vérifiées) ? Le concept marxiste du prolétariat, avec lequel sa haute opinion de ce qu'il appelle révolution citoyenne serait en rupture.
Voyons, l'auteur de Misère de la philosophie, n'a jamais prétendu que sa personne était sacrée, encore moins que son oeuvre était une vérité révélée. Mélenchon ne peut pas lancer trois vagues impressions sur un concept de Marx, et croire qu'il fait avancer le débat. Qu'il veuille en finir avec le "prolétariat" pour des raisons d'agenda électoral ou personnel, pourquoi pas, mais qu'il ne confonde pas une pensée qui le dépasse avec une pensée dépassée.
Son Ère du peuple, écrit-il dans son récent billet "pose un acteur nouveau, le « peuple », dans un sens diffèrent pour ce mot de celui qu’il avait aux 19ème et 20ème siècle. Il le définit comme résultat social du processus historique d’explosion démographique et d’urbanisation de la population (on y parle "d’homo urbanus "). Il décrit sa dynamique d’auto-construction comme sujet politique sous le fouet de la nécessité d’accéder aux réseaux dont dépend la survie sociale de chacun. Il le montre passant de l’état de « multitude » sans liens à celui de « peuple » en se constituant lui-même en réseaux pour servir ses revendications. Il montre comment l’opposition eux/nous est l’opposition entre intérêt général (issue de la dépendance à l’écosystème commun) et intérêt particulier et singulièrement celui du capital "court-termisme" contemporain."
L'ex-sénateur, l'ex-député européen, raconte quand même quelques inepties. Oui, on a bien compris que pour lui, la fin de l'histoire c'est le capitalisme et la démocratie parlementaire, dont il est par ailleurs un heureux bénéficiaire. Sa définition du peuple proprement alambiquée nous ramène ce dernier à un agrégat de quémandeurs d'un mieux-être, d'un mieux consommer, un agrégat de bobos métropolitains qui ne demandent qu'à être ménagés du désastre capitaliste. Qu'il donne le sens qu'il veut au mot peuple n'est finalement pas le plus important. Sarkozy, Hollande, Macron, Wauquiez, Le Pen....ont toujours parlé au nom du peuple. Qu'ils continuent!
Il montre comment l’opposition eux/nous est l’opposition entre intérêt général (issue de la dépendance à l’écosystème commun) et intérêt particulier et singulièrement celui du capital "court-termisme" contemporain."
A quel "intérêt" cet allumé fait-il allusion? Lui, le chauviniste en chef, pense t-il que l'intérêt général de la France, c'est aussi l'intérêt du Tchad, du Niger, du Congo, du Burkina...? Mélenchon veut nous entraîner là dans sa nouvelle religion : l'écologie, cette nouvelle sécrétion des classes moyennes occidentales qui refusent d'entendre le cri de solitude des millions de prolétaires dans le monde.
8 milliardaires possèdent autant que 3,5 milliards de personnes. Et le parlementaire nous invente un Eux/Nous fondé sur le respect de la nature, sur l'écologie. Qui mieux que les capitalistes aujourd'hui sont engagés dans la préservation de notre fameux "écosystème commun"? C'est la pensée politique de Mélenchon qui relève du court-termisme électoraliste. Messieurs les capitalistes sont des visionnaires extraordinaires. Cette caricature qui voudrait faire d'eux les ennemis systématiques de dame nature est une véritable doxa. Le capitalisme est d'ores et déjà lancé dans une révolution verte. On est davantage écolo chez Apple que chez les Insoumis, nul ne saurait me démentir.
"Il est spectaculaire que la mise en réseaux des gilets jaunes à travers les groupes Facebook et les chaînes WhatsApp se fasse de surcroît pour une revendication qui concerne directement l’accès à tous les autre réseaux… Car telle est bien le sens de la « mobilité » comme ils disent en jargonnant. N’est-ce pas là le droit de pouvoir aller à l’école au super marché, etc. c’est à dire à tous les réseaux qui forment dorénavant la vie sociale ?"
Le rôle des réseaux sociaux dans les mobilisations contemporaines n'est pas nouveau. Il y a d'énormes précédents dont le plus illustre a eu lieu en Egypte, avec des millions de citoyens rassemblés Place Tahir. Le cas français, n'est pas, en vérité, une invention nouvelle, il n'a rien de spectaculaire. Quant à la revendication (le carburant) qui concerne directement l’accès à tous les autres réseaux...de la part de ce grand ami de la nature, on peut quand même en rire. Dans leurs innombrables statistiques, on peut apprendre que le CO2 est le responsable principal du gaz à effet de serre. Or, si le carburant conditionne l'existence de millions de gens, si leur "mobilité" est sacrée, alors pourquoi marcher encore pour le climat? On ne peut pas être grand ami avec le climat, et grand ami avec les ennemis non volontaires du climat?
La revendication primaire, primitive des gilets jaunes est une revendication qui n'a pas le mérite de la nouveauté ici en France. Il y a toujours eu en France plusieurs mouvements sociaux concernant le prix du carburant. Certes, le fait nouveau avec les "gilets jaunes" est que le mouvement n'est pas le fait d'un syndicat, d'une corporation, et qu'il est salué par des fascistes tout comme des écologistes.
Ce qui est aussi vrai, c'est qu'en France, il n'y a jamais eu de mouvements sociaux lorsque l'Etat a engagé ses troupes, ses représentants pour conquérir, déstabiliser d'autres Etats riches en pétrole (Congo-Elf, Nigéria-Biafra, Lybie...). C'est bien beau de défendre la vie sociale ici en France, au nom du carburant. Mais rappelons que dans plusieurs pays, cette vie sociale est rendue impossible, parce que des démocrates comme Mélenchon estiment que leur patrie ont des droits qui surpassent ceux du reste du monde.
"En toute hypothèse, mon travail ne dit pas comment le pouvoir peut tomber sous les coups d’un mouvement de cette nature. D’autant que de mon point de vue, le débouché doit être pacifique et démocratique. Autrement dit, en toute hypothèse, il s’agit de trouver une sortie institutionnelle aux événements. (...) Le premier devoir est d’utiliser les moyens démocratiques existants. C’est le recours à la motion de censure au Parlement. Le moyen est limité mais il peut forcer le destin dans une configuration qui chercherait à le faire. Par exemple avec une motion de censure de toutes les oppositions sur le seul thème du retour aux urnes".
Là, on retrouve le parlementaire de la République. "La République, c'est moi". Les citoyens vont à la casse puis retournent sagement et sérieusement confier leur destin aux institutions. Pacifique et démocratique (parlementaire)...d'où cette histoire de motion de soutien. Mais, ceci n'a rien de révolutionnaire. Et Mélenchon paraît à ce niveau bien plus vieillot que les marxistes que sont Lénine et Mao.
Mais bon, tout se tient dans la pensée de Mélenchon, puisque son peuple, c'est un collectif de bobos ou de misérables rmistes esseulés, et non le prolétariat. Mélenchon conçoit alors sa révolution comme un perpétuel dîner de gala, ou disons, un perpétuel aller-retour entre la Rue et l'Assemblée Nationale. Donc, après avoir un peu bousculé le gouvernement en place, Mélenchon voudrait que les "gilets jaunes" passent le relais aux députés. C'est à dire à lui.
Le premier devoir ....mais devoir de qui? Qui fixe ces devoirs? Les "révolutionnaires" n'ont pas de consignes à recevoir d'un parlementaire. Que Mélenchon reste tranquille, les "révolutionnaires" qu'il honore se pencheront probablement sur son cas. Mélenchon ne s'imagine-t-il pas qu'un esprit éclairé puisse critiquer son lieu sacré, l'Assemblée Nationale?
On a pu constater que les revendications des "gilets jaunes" étaient une copie presque conforme du programme des Insoumis et du Front National. Est-ce pour cette raison que monsieur le parlementaire se met à vouloir orienter ce qu'il appelle "révolution citoyenne"?
Pour ce récent converti, tout est une affaire d'urnes. L'électoralisme est l'horizon indépassable de la politique. La sortie de crise, il la voit donc dans un retour aux urnes. Mélenchon n'est pas lucide, il est aveuglé. Aveuglé par l'idée qu'il a raison, qu'il est la solution aux problèmes de la France. Cette raison aveugle conduit sa France Insoumise à se retrouver dans le même élan "populaire" que les libéraux de droite et les fascistes de l'extrême-droite.
On le sait, Mélenchon est allé puiser son concept de Révolution citoyenne, sa rhétorique et ses petites idées en Amérique latine. Je ne voudrais pas me prêter au jeu du dénigrement des révolutions bolivariennes et autres, elles ont leur mérite. Mais ces révolutions citoyennes du XXIe siècle en Amérique latine ne sont pas du même ordre que les révolutions prolétariennes du XXe siècle (Octobre 19, GRCP en Chine), et leurs leçons à l'échelle de l'humanité ne sont véritablement pas du même type. Les révolutions prolétariennes restent à ce jour des révolutions inédites.......et très inachevées de l'histoire de l'humanité.
Quant à la révolution citoyenne de notre Insoumis, il s'agit d'une révolution bobo-populo-mittérandienne-écolo-nationaliste. Mélenchon, dans sa lutte éternelle pour le pouvoir, a cessé de voir que ce qu'il appelle "peuple" avec beaucoup d'enthousiasme, est prêt à élire une Marine Le Pen, et que prospèrent en France, non pas des penseurs pour l'égalité, mais de véritables réactionnaires. Le climat en France n'est pas très différent de celui qu'on constate dans d'autres pays occidentaux.
La révolution de Mélenchon risque d'avoir lieu, mais avec pour grand vainqueur les nationalistes dont la cheffe Marine Le Pen.
Bien, je crois avoir assez commenté les lépenades du fiéffé parlementaire. Nous lui souhaitons bonnes prochaines élections!