La politique du ressentiment
La Colère, entendre la colère, les oubliés, les abandonnés, sentiment d'abandon, la France d'en bas, les victimes de la mondialisation, les invisibles,....Voilà quelques mots et expressions que les gilets jaunes s'appliquent à eux-mêmes et que médias et politiques appliquent au "gilets jaunes".
Il y a en France, actuellement, comme on dit, une colère qu'il faut entendre. On ne parle pas de Raison, d'un Principe, d'une Idée, d'un Argument....on ne parle que de colère. On dit que la décision de Jupiter est venu trop tard et qu'elle est trop peu. Les plus radicaux du camp de la colère appellent à une démission pure et simple du président des riches, et après? Place aux saintes élections! Les plus extrémistes du camp de la raison d'Etat demandent l'annonce de quelques mesures symboliques: restitution de l'ISF par exemple. Quel anti-capitalisme!
Sur les plateaux télés, les "gilets jaunes" ne sont pas là pour défendre un point de vue, argumenter sur une idée, proposer une ligne politique. Ils sont là pour apporter un peu "d'humanité" dans cet univers technocratique d'énarques qui ne comprennent rien à la "réalité". Leur colère est intouchable. D'ailleurs, le débat est clair: les "gilets jaunes" et les "français" qui les soutiennent vs l'Etat.
Sur les plateaux télés, la fonction des gilets jaunes est d'être en colère, de raconter leur difficile quotidien, leur souffrance. Parole aux gilets jaunes ....Que disent-ils, hormis qu'ils sont très colères et qu'il est impossible de vivre avec 900 euros par mois? Fini les débats MACRONECONOMIQUE, place à la liste des courses des "gilets jaunes", place à leur salutaire colère citoyen, place à leur misère:
- compte à sec à partir du 15 de chaque mois
- frigidaire vide à partir du 20 de chaque mois
- Impossibilité d'emmener les enfants en vacances l'année prochaine
- Petit déjeuner sans nutella
- Retraité à 700 euros
- ...Et la liste continue...
Quel est le sens de cette mise en scène? Quelle est cette parole qu'on les offre si spécialement ? Quel est le but de tout ça? Installer un climat de ressentiment, véritable poison pour l'esprit.
La politique n'est pas affaire de ressentiment. Les "gilets jaunes" ont fait irruption parce qu'ils n'arrivent plus à vivre dignement. Ce faisant, cette irruption n’entraîne pas une prise en compte de la situation dans son ensemble, une prise en compte de tous les "souffrants" de France, elle reste très circonscrite à la nationalité, au territoire. On a évoqué la fracture territoriale. Maintenant, il faut être un gilet jaune pour pouvoir s'exprimer, pour pouvoir vraiment menacer le pouvoir en place, si t'es pas gilets jaunes, bah quoi, t'as aucun problème.
Le spectacle du croisement entre ressentiment et Nation-alité, ressentiment et Etat est le véritable péril "jaune" qui nous menace. Dans leur divine colère, les "gilets jaunes" se sont rendus les champions d'un certain réalisme. Ils accusent le gouvernement, les élus, d'être coupés des "réalités"du bas peuple. On pourrait également accuser les "gilets jaunes" d'être aveugle des réalités de ce monde, de ces 3 milliards d'individus qui ont pour seul patrimoine leur souffle de vie. Au jeu du "réalisme", des "réalités" de la vie, les "gilets jaunes" ne sont donc pas les plus "experts". Le gouvernement français est à la réalité des "gilets jaunes", ce que les gilets jaunes sont à la réalité de ce monde.
Tel député, ne sachant pas exactement à combien s'élève le SMIC, entraîne la colère de valeureux "gilets jaunes", qui eux, viennent d'avoir la preuve qu'ils sont très mal représentés. On parle alors chez les intellectuels officiels d'une crise de la représentativité. Vite, de nouvelles élections! Ces individus qui nous représentent sont des imposteurs! Et ils le sont...tout comme les mal représentés d'hier deviendront les mauvais représentants de demain.
En fait, c'est l'idée même de représentation qui est une imposture. Ce n'est pas tant les personnes, les élus...qui seraient coupées des "réalités". Et dans la crise en cours, les élections, loin d'être une solution aux problèmes du "peuple", comme le voudraient les Le Pen et les Melenchon, sont la voie la plus certaine par laquelle le pire pourrait advenir. Certes, Macron est déjà lui-même une figure du pire.
Le "débat", la contradiction entre les "gilets jaunes" et le gouvernement nous plonge dans une impasse extraordinaire. Car elle reste prisonnière de la politique officielle, de la politique d'Etat, de la politique telle quelle, la politique capitalo-parlementariste.
Dissolution, démission, élections.... Pièges à cons.