L'académicien Michel Serres vient de publier un joyeux petit ouvrage : "C'était mieux avant", aux éditions le Pommier. 96 pages. 5 euros. Petite Poucette pourra toujours arguer que ses aides d'APL ont drastiquement baissé depuis l'arrivé au pouvoir de Sir Macron...et donc, que son budget culture est assez Serré.
Michel Serres en avait marre des "râleurs"....des "décadentistes"....des "suicidaires"....des "défaitistes", bref de tous ces bonhommes qui dissertent doctement sur l'état catastrophique de la France. Quoi de mieux qu'un titre ironique donc? - Vous dites que c'était mieux avant, hein? Vous voulez vraiment qu'on en parle, c'est ça?
Bon, messieurs, c'est Michel Serres qui parle, droit dans ses bottes: « Dix Grands-Papas Ronchons ne cessent de dire à Petite Poucette, chômeuse ou stagiaire qui paiera longtemps pour ces retraités : “C’était mieux avant.” Or, cela tombe bien, avant, justement, j’y étais. Je peux dresser un bilan d’expert. Qui commence ainsi : avant, nous gouvernaient Franco, Hitler, Mussolini, Staline, Mao… rien que des braves gens ; avant, guerres et crimes d’état laissèrent derrière eux des dizaines de millions de morts. Longue, la suite de ces réjouissances vous édifiera. »
Michel Serres le pense, le dit, l'écrit: ce n'est pas vrai que c'était mieux avant. Pour lui, nous vivons une séquence de l'histoire exceptionnelle. Le monde n'a jamais connu une si longue période de paix, 60-70 ans. Dans une émission sur France 5, citant une étude, il a même affirmé que la violence dans le monde baisse. Il l'avait cité d'ailleurs la même étude dans une conférence en compagnie de Jean Tirolle à la Mutualité, sur le Bien Commun. En gros, les inégalités qui se creusent dans le monde de façon exceptionnelle peuvent continuer à se creuser...on est sur la bonne voie. Ces inégalités n'ont mais alors aucun impact sur notre monde, la preuve les esprits se calment.
J'ai lu Michel Serres. Et il ne faut pas croire que ce vieux sage est un naïf. Pour autant, j'avoue ne pas vraiment être en phase avec son propos.
J'entends le discours sur l'espérance de vie qui a doublé, triplé....J'entends le discours sur le progrès scientifique et technique...J'entends le discours sur les grandes guerres disparues....les grands dictateurs enterrés....J'entends le discours sur le fameux Etat de droit...J'entends tous ces discours que l'on peut tenir sur notre heureuse condition moderne....J'entends le discours sur les "libertés".
Mais, le débat qui oppose les râleurs, les décadentistes, aux ravis, aux gardiens du temple (capitalisme-démocratie) ....le débat qui oppose les nostalgiques d'une époque aux fétichistes de notre époque, est un débat sans réel enjeu, sans objet concret, sans utilité politique donc! C'est un débat qui n'est même pas comparable à la vielle querelle des anciens et des modernes. Même si, pour des raisons anecdotiques, sur la scène d'aujourd’hui, on peut attribuer à deux prestigieux académiciens, Alain Finkielkraut et Michel Serres, le rôle de l'ancien et du moderne. L'un est perdu avec son Identité Malheureuse, l'autre se retrouve avec Petite Poucette.
Le débat politique, puisque, après tout, il s'agit de ça et pas d'autre chose, ne peut être ramené à ces deux pôles impressionnistes.
Peut-on depuis la France dire en regardant le monde entier qu'on est sur la bonne voie? Que la violence diminue? Qu'il faut se réjouir après tout des Trump, Macron, Erdogan, Bouteflika parce que ce ne sont pas Hitler, Franco, Mao.....Et pourquoi pas de Gaulle!? Peut-on dire à ces migrants qui traversent la méditerranée qu'ils ont de la chance de vivre en 2017 et pas en 1930? Va t-on dire à ces ouvriers qui font l'amère expérience du licenciement que tout ça, c'est pas grand chose? Et que dire de la violence des cartels de drogue en Amérique Latine?
La "paix" sur laquelle "nous sommes" installés, depuis 70 ans d'après Michel Serres, a un prix, un énorme prix : des inégalités gigantesques, l'extrême faiblesse de la masse assurant la tranquillité de la minorité régnante.
Va t-on se contenter d'accompagner le train de vie capitaliste ou va t-on se résoudre à affirmer et à conquérir le point essentiel qui marquerait une réelle rupture entre l'avant et le maintenant: l'égalité universelle et absolue.
Un monde de profit est un monde dangereux, on le voit tous les jours. Et les 70 ans de paix de Michel Serres, à l'échelle de l'histoire de l'humanité, ne valent pas grand chose. D'ailleurs, leur contenu augure des lendemains qui déchanteront. René Girard, grand penseur à sa façon de la violence, ou même Claude Levi Strauss n'ont-ils pas suffisamment constaté que notre société modernisée était entrain de prendre des proportions inouïes dans de la violence?
Je ne me pose pas la question de savoir si c'est mieux maintenant ou si c'était mieux avant...j'observe, je constate, j'ai fait l'expérience d'une amère violence sociale.
J'ose publiquement demander à nos deux académiciens: C'était mieux avant,d'accord, mais pour qui? C'est mieux aujourd'hui, c'est entendu, pour qui? Peut-on confondre l'évolution technique et scientifique du monde et la Politique ?
NB: Lire le dernier Michel Serres. Pour ceux qui aimeraient en savoir plus sur ces joyeuses 92 pages.