Kadhafi n'est pas un dictateur: Sarkozy, Mediapart, même combat malgré le bruit des casseroles
Non, Kadhafi n'était pas un "dictateur". Ça n'était pas non plus un "démocrate". Place à la réflexion, si ce n'est pas trop demandé.
Lorsqu'on traite untel de "dictateur", il est toujours bon de se demander si cela correspond au registre de la morale publique ou si cela relève de la caractérisation politique.
Si le mot dictateur, dans son usage, relève davantage du registre de l'insulte, je veux dire de la morale, alors il ne vaut rien du tout. Il sert simplement à l'impérialisme occidental (Droits de l'Homme). Par contre, si dictateur correspond à une volonté de description, de caractérisation, il y a de quoi s'arrêter, observer, critiquer (évaluer)....bref enquêter véritablement sur telle ou telle dictature.
Se borner à dire qu'untel est un dictateur, et en faire, par la seule force de l'énoncé, un pestiféré, est une escroquerie intellectuelle, un attentat à la raison, une grossière subtilité, une propagande évidente.... une Fin de l'Histoire, signé Francis Fukuyama.
Lorsqu'un Sarkozy sur TF1 traite donc un Kadhafi de dictateur, lorsque Mediapart lui-même traite Kadhafi de dictateur, il va sans dire qu'on est là dans le registre de l'insulte, enfin de la morale "internationale" , en vérité morale "occidentale", et pour tout dire morale américaine.
L'utilisation anathèmique du mot dictateur, de nos jours, ne nous renseigne pas suffisamment sur ce que fut la Libye sous Kadhafi. Encore moins sur sa "révolution verte".
Mediapart gagnerait à enquêter sur la révolution verte de Mouamar Kadhafi et instruire ses lecteurs là-dessus plutôt que de répéter, paresseusement l'épithète "dictateur" devant le nom de Kadhafi. Ce n'est pas de cette façon qu'on éclaire l'opinion, qu'on l'invite à se forger par elle-même une idée. Ce n'est pas ça informer, c'est déformer. Ce n'est pas comme ça qu'on introduit une intelligibilité...et surtout qu'on s'assure d'un respect réciproque. Respect réciproque entre les Libyens et la France. Respect réciproque entre l'Afrique (dont une partie tient ce Kadhafi pour exemple ) et la France. Mais bon, on se fiche du respect, de la réciprocité chez Mediapart comme chez Sarkozy...alors, on balance son porc.
Qu'est ce qu'un dictateur ?
Historiquement, il faut dire que le terme dictature apparaît dans la République romaine. Le dictateur était un magistrat extraordinaire détenant les pleins pouvoirs, généralement nommé en cas de graves crises, pour une période de six mois. Ce qui, soit dit en passant, dans la République française, ressemble davantage à ce qu'on appelle très respectablement et constitutionnellement, "l'état d'urgence".
Le premier dictateur que l'humanité ait connu, en tant que tel, est le romain Titus Larcius Flavus. Tite-Live, dans ses Histoires Romaines, raconte que ce dernier avait été nommé pour faire face à la menace que représentaient les Latins et éventuellement les Sabins, sous la houlette d'Octavius Mamilius.
Le mot dictateur, dans le sens moderne, n'a plus grand chose à voir avec son acception dans la littérature latine. Est dictateur aujourd'hui, celui qui ne se soumet pas à l'exercice libre et transparent qu'est l'élection, excepté quelques princes qatari et saoudiens et divers rois et reines de la vielle Europe. La dictature étant tout régime qui se différencie par des pratiques autre que celle du parlementarisme, et donc de la représentativité. Est dictateur, celui qui demeure au pouvoir. Est dictateur, celui qui déclare que l'Occident c'est le "Mal". Par contre, le démocrate Bush peut, lui, pointer l'Orient comme étant le Mal, sans qu'il soit listé comme "dictateur".
Lorsque Mediapart et Sarkozy, qu'on croyait pourtant ennemis, s'associent pieusement, pour pointer le "dictateur" Kadhafi, il faut bien qu'ils nous éclairent sur cette dictature-là. Cette grande "dictature", parmi les plus terribles en Afrique, si on veut paraphraser Plenel. Qu'ils ne soient pas chiches en connaissance. Et je voudrais que Mediapart nous éclaire aussi sur les principales "dictatures" en Afrique et leur mode de fonctionnement, leurs atrocités, leurs férocités.
Qu'est-ce que la Libye ?
La Libye, disons d'abord une évidence, ce n'est pas la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'empire Ottoman la Suède-Norvège, les Etats-Unis. En gros, la Libye ce n'est pas une puissance colonisatrice. C'est l'inverse. La Libye a été une colonie. Un territoire disputé et soumis. Elle est donc, comme toute Nation humiliée et même pillée, en quête de respectabilité. C'est une terre de tentative de luttes, de résistances, d'insoumissions.
La découverte du pétrole dans les années 50 dans ce pays a entraîné plusieurs appétits. Sous Idriss 1er, plusieurs accords militaires, notamment avec les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne vont donc être signés. Accords qui prévoyaient l'implantation des bases militaires.
Oui, bases militaires, Kadhafi n'était qu'alors un petit enfant. Ces bases militaires ne pouvaient donc pas se justifier au motif du "dictateur Kadhafi" voulant exterminer son peuple.
1951, la Libye est indépendante. Dirigé alors par le fameux Idriss 1er, alias Mohammed Idris El-Mahdi El-Senussi. 1965, la Libye est le premier producteur de pétrole en Afrique, quelques années seulement après la découverte des gisements. 1969, coup d'Etat mené par un jeune homme de 27 ans, Mouamar Kadhafi. A 27 ans, Sarkozy, lui, se préparait pour la mairie de Neuilly.
Le jeune Kadhafi, qui n'était pas alors qu'un imbécile fini, avait des rêves. De grands rêves. Il faut préciser ici que son héros d'enfance était le dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser Hussein, qui avait posé un acte pan-arabe très important, à savoir la nationalisation du Canal de Suez. Lorsque Kadhafi arrive donc au pouvoir, il porte avec lui des idéaux de panarabisme teinté de socialisme.
Hélas, échec cuisant. Malgré des accords signés avec ses voisins du Maghreb dont Bourguiba de la Tunisie. Ceux-ci ne voulaient pas vraiment de lui. Ils le trouvait assez tumultueux. Il fallait s'en éloigner.
1975, Kadhafi écrit son Livre vert (déjà écolo avant l'heure) dans lequel il explicite son projet politique et se donne le nom de "Guide de la révolution libyenne". Sarkozy et Mediapart ont-ils lu ce livre? Ont-ils maintenant enquêter sur la manière dont Kadhafi a tenté d'appliquer ou pas son projet politique?
Le contenu du Livre vert et la réalité du régime de Kadhafi. Les obstacles. Les réussites. Les méprises. Bref, peut-on comprendre la Libye autrement que par le "dictateur" cher à Edwy Plenel et à son ennemi de circonstance Sarkozy?
1977, suivant le contenu de son Livre vert, la Libye sous Kadhafi devient officiellement la Jamahiriya. Ce qui veut dire "l'Etat des masses". Mediapart peut donc aveuglement continuer à appeler Kadhafi dictateur, mais il ne faut pas minorer ce genre de tentative. Rien qu'à ce niveau, on peut quand même souligner que Sarkozy reste un nain à côté de Kadhafi. Et voir Sarkozy pisser la morale internationale sur TF1, balancer des jugements de valeur sur un homme et son clan prouvent encore que ce Sarkozy ne vaut pas grand chose.
Le tournant panafricain de la Libye fait suite à son échec panarabe. Et même ce tournant panafricain ne s'est pas fait sans difficultés. Car la Libye traînait un conflit armé avec le Tchad, entre 1978 et 1987 sur la bande d'Aouzou. C'est en 1994, par un arrêt, que la Cour Internationale de Justice viendra mettre un terme à cette affaire, et trancher en faveur du Tchad.
Qu'un "dictateur", se soumette à un arrêt de la Cour Internationale de Justice, cela vous paraît-il normal? Le dictateur, on le croyait vraiment tyrannique, absolu, que sa raison primait sur n'importe quelle autre raison. Un peu comme les Etats-Unis, quoi!
Avant la suite, soulignons quand même que, durant la jeunesse de Mouamar Al Kadhafi, dans les années 40, son pays a été bombardé par les forces alliées. Pays qui, même au sein du "monde arabe", ne jouissait guère d'une franche respectabilité, pour des raisons quelque peu sombres. De tels événements ont créé chez Kadhafi une haine de ceux qu'il considérait comme des envahisseurs.
En outre, Kadhafi, estimait que le pétrole de son pays qui était exploité par des consortiums américains et britanniques ne profitait pas véritablement à la Libye. Il estimait que les parts qui revenaient à son pays étaient infimes. Situation comparable dans l'actuel RDC avec l'exploitation du cobalt . Mediapart, friand des enquêtes, peut toujours enquêter sur l'exploitation du pétrole avant et après l'ère Kadhafi, sur les différentes compagnies. Et au lieu d'être simplement une caisse à résonance d'anciens vautours libyens guidés par la vengeance, il peut chercher à avoir non pas simplement les carnets de note du ministre du pétrole mais les contrats d'exploitation pétrolière depuis 1965.
Bien entendu, tout ça pour Sarkozy et Mediapart, compte pour du beurre de Carrefour...ce qui vaut et en dit long c'est leur qualificatif de "dictateur".
La Libye sous Kadhafi, ça n'était pas le Niger de Mahamadou Issoufou, président en exercice. Ce pays riche en uranium, dirigé par un président démocrate, que la France apprécie d'ailleurs fort bien, et une population qui baigne dans une extraordinaire pauvreté. Le dictateur Kadhafi a assuré à son peuple un minimum de confort matériel. En 2013, faisons un peu d'économisme, la Libye affichait le premier PIB par habitant d’Afrique du Nord à 12 700 dollars. Pour nos démocrates occidentaux, toujours très soucieux du bien être d'autrui, ce n'était sans doute pas suffisant, car Kadhafi à lui tout seul profitait mille fois encore de la manne pétrolière....comme nos princes saoudiens, nos oligarques russes. Quid novi?
La Libye sous Kadhafi c'était aussi un Etat social, où les biens publics étaient mis à la disposition de la population. L’électricité était gratuite. L’essence coûtait à peine 10 centimes d’euros le litre. Les Libyens ne payaient presque pas d’impôts. Pas de TVA. Dette publique au plus bas. Les voitures étaient vendues à prix d’usine. Rien de transcendant, mais la "dictature libyenne" n'avait rien a envié à la démocratie sénégalaise dont les citoyens sont maintenant entassés en Libye, tentant de traverser la méditerranée pour rejoindre l'amicale France.
Derrière l'accusation de "dictateur"
Lorsque Mediapart parle de cette "affaire libyenne", et qu'il présente la chose, sous le signe de la gravité, en laissant entendre que la campagne de Nicolas Sarkozy a été financée par l'argent du dictateur Kadhafi, il ne le sait peut-être pas, mais il ferme les yeux sur deux faits:
-La liquidation de Kadhafi
- La jungle qu'est devenue la Libye
Il n'y a pas une affaire libyenne qui soit plus grave et scandaleuse que ces deux faits. D'abord, parce la morale dans toute cette histoire nous dit que la vie d'un "dictateur" c'est zéro. Que Kadhafi soit donc mort sans le moindre procès, dans son pays, mais grâce à une intervention étrangère cela constitue un scandale. Et que l'intervention, qui avait pour prétention de protéger les libyens, ait laissé la Libye dans l'état qu'on connaît tous, voilà le deuxième vrai scandale. Et c'est cela qui constitue la vraie affaire Libyenne.
Financement illicite de la campagne...ça c'est la France qui le dit. C'est donc une affaire strictement française, et pas libyenne. Corruption passive...ça aussi c'est la France qui l'affirme. C'est donc une affaire absolument française. Recel de détournement de fonds publics libyens...là encore, ça reste une affirmation des autorités françaises. L'affaire libyenne est donc une affaire banalement française. Kadhafi a donné du fric à Sarkozy, d'où on nous parle de détournement de fonds publics libyens? L'achat du PSG par les fonds qataris, n'était-ce pas aussi du recel de détournement de fonds publics qataris?
Faudrait savoir, soit c'est un dictateur, alors la loi c'est lui, et donc il ne peut être question de détournement de fonds publics libyens...soit c'est un démocrate, et selon les lois libyennes, Kadhafi a bel et bien été rendu coupable de détournement de fonds, ou du moins, a fait l'objet d'une accusation de la part des Libyens.
Derrière l'accusation de dictateur, il y a donc le sous entendu qu'à tout moment, on peut intervenir et vous liquider et cela doit passer comme une lettre à la poste. Sans que votre enfant puisse même réclamer une quelconque justice. Et comme par hasard, il n'y a que les dirigeants des pays du Sud qui se voit gratifiés de cette appellation.
Présenter Nicolas Sarkozy d'une part donc et le dictateur Kadhafi d'autre part, relève d'un occidentalisme criminel. L'un a perdu la vie. L'autre continue de jouir des avantages de la République, et pour un rien, on lui consacre trente minutes sur une chaîne de grande écoute.
Dire Mouamar Kadhafi n'est en rien une réhabilitation. C'est simplement dire son nom....comme on dit parfaitement Georges Bush, Donald Trump, Nicolas Sarkozy, François Hollande. Mais dire le "dictateur Kadhafi" , depuis notre joyeux Paris, c'est qu'on baigne déjà dans la propagande, la même que Nicolas Sarkozy, la propagande des droits de l'Homme et de la démocratie occidentale. Et en persistant à dire le dictateur Kadhafi, Mediapart donne raison à Sarkozy: il fallait intervenir et sauver la population libyenne. Non ...Il fallait laisser le peuple libyen écrire son histoire. Aucun Etat n'est intervenu, durant la Commune, à Paris. Et pourtant, mon Dieu....que les morts pleuvaient!
Je ne suis pas Kadhafiste
L'ai-déjà dit, dans un autre billet, je ne suis pas un admirateur de Kadhafi. Je n'épouse pas ses idéaux. Cependant, je reconnais en lui, une tentative de résistance, d'insoumission...Et ça, ça parle à tous les damnés de la terre, et principalement du continent africain. Si on ne comprend pas pourquoi la figure de Kadhafi suscite un tel enthousiasme en Afrique, alors on est mal placé pour le critiquer.
Dans mon pays d'origine, le Cameroun, on a bien vu, à l'aube des indépendances, ce qui s'est passé. La puissance étrangère éliminait physiquement les figures de résistance, pour finalement passer le pouvoir aux forces locales qui lui était plus favorables, plus soumises, plus manipulables.
Je ne suis pas anti-Kadhafiste non plus. Il faut essayer de comprendre comment certaines figures du genre Kadhafi ont pu émerger ça et là dans l'histoire...Ce n'est pas en sortant simplement de sa trousse le petit mot dictateur. Le même raisonnement, on peut l'avoir avec des personnalités comme Poutine, Erdogan, Xi Xiinping.....pour lesquels je n'ai aucune admiration, mais un net respect. Car ce sont des résistants....ce qui est bien..mais des résistants qui n'enfantent pas un monde nouveau. D'ailleurs, ils n'en n'ont nullement l'intention. Et c'est en cela, que je n'ai aucune admiration pour leur digne résistance.