1. Question à un rouble
Depuis son Sous-sol où il gît, j'ai eu Dostoievski au téléphone. D'abord, je lui ai rendu compte, expliqué ce qu'était devenu notre monde avec tous ses progrès, ses droits de l'homme, ses démocraties, son "monde libre" et ses "dictatures".
Ensuite, il me demanda, quid de la Russie? J'étais fort embarrassé. Je ne voulais pas lui dire que le mot russe est devenu une insulte suprême. Bref, il sentit mon malaise et m'invita à parler sans détours. Comme quoi, un écrivain reste un écrivain. Alors, je lui fis savoir que les nouvelles n'étaient pas bonnes du tout: qu'on dit que Poutine est FOU, encore plus fou que ses personnages dans les Démons! Que la Russie est une DICTATURE! La pire qui existe! Plus personne, et surtout l'Europe, ne veut toucher ce qui vient de Russie. Il sentait que j'étais perdu, tourmenté...Alors il racla sa gorge et me suggéra de (re)lire son Journal d'un écrivain. Chose faite! Dans le chapitre Considérations sur l'Europe. L'écrivain russe dit quelque chose qui m'a fait sourire :
En Europe et partout c’est la même chose. Les forces sur lesquelles nous comptions pour faire l’union, se sont-elles évanouies comme un vain mirage ! Partout la division et les petits groupements. Voilà une question qu’un Russe ne peut s’empêcher de méditer : d’ailleurs, quel est le vrai Russe qui ne pense pas avant tout à l’Europe ? Voilà la question a un rouble!
Même si, aujourd'hui, côté Europe, on est surtout convaincu que la Russie n'est que ressentiment. Dans un dossier qui porte le titre: Chine-Russie, les liaisons dangereuses, L'Express de la semaine du 24 au 30 mars nous informe que ces deux puissances sont:
"Unis dans leur ressentiment envers l'occident", conséquence, "Pékin et Moscou n'ont cessé de renforcer leurs liens."
Nul doute que, en ce qui concerne l'UE et les USA, les liaisons ne sont dangereuses, mais de liaisons scandaleuses à caractère BDSM.
2. La bal masqué continue, mais changement de disque
Répit pour les Musulmans de France et de navarre ! Génuflexion devant les Islamistes du Golfe! Tapis rouge pour les Théocraties en Occident! Et quoi d'autres? Ah, au diable l'écologie! L'heure est à la russophobie, et même, soyons chic, à la cancelisation de la Russie. Le gaz russe, c'est terminé. Plus personne n'en veut, comme si ce gaz avait la même odeur que pet de Poutine. Que personne ne veuille sentir les flatulences du maître du Kremlin, ceci me parait salutaire. Que l'Europe envisage de nous priver du gaz naturel et suffisant de notre plus proche voisin: la Russie, pour dépendre du Schiste américain ou de l'Islamique gaz provenant du Qatar et d'Arabie, voilà qui nous projette dans le sous-sol occidental, hélas uniquement riche en contradictions et en désaveu. Ainsi, le crime écologiste peut-être pardonnable, le crime islamiste tolérable, quant au crime Russe? Impardonnable. S'éloigner vite et radicalement de la Russie. La sanction devient condamnation, malédiction. La sanction n'est plus acte de pression, mais désir de destruction. Qui paie les frais? Les ukrainiens! Hier, l'Ukraine était encore la plaque tournante du trafic d'êtres humains en Europe, donc des femmes, voire des jeunes enfants, sans que cela n'éveille le sentiment fraternel des européens; aujourd'hui, changement de cap, place au trafic des réfugiés. Au trafic des sentiments. L'Europe humaniste s'auto-congratule! Merci Poutine!
La Russie aurait donc commis l'agression la plus crapuleuse depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Soit! Et, pour avoir rompu la paix entre les Nations du monde, pour avoir bombardé des civils, du jamais vu, pour avoir causé commis plus de crimes en 20 jours que tous les autres pays du monde en soixante ans, il est normal de prononcer à l'encontre de la Russie, de son dictateur, de ses milliardaires, de son peuple des sanctions jamais prononcées contre un Etat. Au nom de cette agression, qui défie tout ce qu'on connaît jusqu'ici comme horreurs, l'Europe cherche son indépendance énergétique en Amérique, au Moyen et Proche-Orient, en Afrique (l'Algérie a la côte en ce moment)...mais certainement pas sur son sol européen, chez son voisin russe. Sacrée indépendance! Sacrée solution!
Au nom de cette agression si inédite, l'Allemagne vient de se débarrasser de son poids historique (nazisme, guerre mondiale) et se donne le droit, en tant que nations vulnérables de l'OTAN, de réarmer, fermement. Au nom de cette agression, l'Amérique qualifie de boucher le président en exercice de la République fédérale de Russie.
La Russie nous a ramené 100 ans en arrière. Un siècle qu'on avait plus vu des petits enfants fuir, pleurer, périr... Vite, armons-nous! Vite, enfants du Congo, tendons une main de réconfort et déracisée aux enfants ukrainiens! Répondons à l'appel de Zelensky, et allons manifester dans les rues de Kivu aux couleurs du jaune et bleu....Pour la paix!
3. Partout des budgets de guerre formidables : n’est-ce pas là la paix ? La paix froide.
Toujours dans ses Considérations sur l'Europe, le vigoureux Dostoievski écrit:
"À propos, tout le monde, chez nous, parle de la paix. On pronostique une paix durable ; on croit entrevoir un horizon clair (pourrait-on reprendre ce bout à propos de l'OTAN). On veut reconnaître des signes de paix dans l’établissement définitif de la République en France et dans le rôle joué par Bismarck, qui aurait aidé en sous-main à l’affermissement de ce régime. Beaucoup de journaux croient tout danger de guerre écarté après l’entente des grandes puissances de l’Europe orientale, malgré les troubles de l’Herzégovine. (La clef de toute cette question d’Herzégovine se trouve, peut-être, à Berlin, dans la cassette du prince de Bismark.)
Le contexte évidemment n'est pas le même. Mais la justesse de certaines phrases peuvent éclairer notre moderne et démocratique caverne, qu'on appelle à juste titre Occident.
Ce qui rend le conflit Ukraine- Russie, apparement insoluble, est la mauvaise foi qui l'entoure; et surtout l'analyse semi-sentimentale et semi-psychanalytique que les européens en ont fait. Le bon Zelensky d'un côté, qui sermonne l'univers entière, demande ce qui doit être fait, et le fou Poutine de l'autre côté. Les pauvres ukrainiens d'un côté et le gaz russe et ses milliards qu'il engendre. Les humanistes occidentaux, qui exhibent tant leur volonté de sanctions, sont avant tout des cyniques et personnages ultra égoïstes. Le Venezuela a été sanctionné. Les USA décrètent l'embargo sur son pétrole. L'économie de ce pays s'effondrent. La misère éclate; les riches s'envolent vers l'Europe, à Madrid. Aujourd'hui, parce qu'on sanctionne la Russie, la même Amérique va voir le Vénezuela pour discuter de la levée de quelques "sanctions". Est-ce ça la diplomatie? La justice? Est-ce bien l'ordre internationale à laquelle nous devons souscrire sans rechigner?
La logique des sanctions est une logique de guerre, d'humiliation, de domination. Joe Biden est d'ailleurs allé au bout de sa logique, en déclarant à Varsovie, le culot, que Poutine ne peut plus rester au pouvoir. Une telle déclaration, à Varsovie, en Europe, fait de Varsovie une capitale hostile pour les russes. Et puis après, qu'on ne parle pas de souveraineté. Liberté de l'Ukraine d'entrer à l'OTAN, dans l'UE! La déclaration de Joe Biden est déclaration de guerre. Et la belle Pologne, pays voisin de la Russie, "autorise" cela sur son territoire. Les Européens ont-ils perdu la raison?
La condamnation morale des bombardements de la Russie se suffit à elle-même. Le lien fait entre l'achat du gaz par les européens et le financement de la guerre est un argument démagogique et inepte. Démagogique, car la l'Etat russe n'est pas uniquement constitué d'une armée, il y a comme partout ailleurs l'éducation, la santé, l'agriculture, la recherche....Inepte, car nous achetons du gaz, au nom de quoi faut-il se mêler de la manière avec laquelle notre partenaire gère cet argent? Imagine t-on en pleine crise des gilets jaunes, la Russie venir dicter à la France quelle taxe doit être appliquée ou non au diesel? Comment calculer la facturer des classes laborieuses? A quel degré de température se réchauffer?
Si nous décidons de ne plus acheter le gaz russe, nous entérinons là notre volonté de guerre avec elle, ou du moins une volonté de l'affaiblir, une volonté de non réciprocité, une volonté de non égalité. Ne plus acheter le gaz russe, n'est aucunement un signe qu'on veut la paix! Ce n'est pas la preuve d'une quelconque moralité. En effet, il serait absurde d'être en guerre avec un partenaire commercial de premier ordre. C'est Montesquieu qui écrivait: "Partout où il y a du commerce, il y a des moeurs douces." Il avait en partie raison.