Charles Ségalen

Educateur spécialisé, formateur PSYCHASOC, Institut européen Psychanalyse et Travail social

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Billet de blog 17 septembre 2023

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Abaya : camisole vestimentaire versus camisole libérale

Le déclin de l’Etat social au profit de l’économie de marché se traduit par une politique d’individualisation des problématiques, une politique autrement dit de dépolitisation. L’espace gagné par le marché entraîne un déficit de projet de société, un recul du bien commun assorti d’aspirations et de croyances individuelles.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour autant l’individu ne peut croire, seul, à un destin. Ce partage de croyance suppose une quête identitaire, inscrite dans une culture donnée, laquelle demeure une construction.  La perte d’identité collective relative à l’ab-sens de projet de société entraîne un vide culturel favorable à l’essor de croyances nouvelles, faites de bonds en avant comme en arrière.

Certains estiment que l’abaya signe un repli identitaire dans une camisole vestimentaire. Ce n’est pas la seule lecture mais admettons. A condition d’admettre autant que la mondialisation a institué une religion du marché où chacun, pour se réaliser, doit prier pour qu’elle dure. Ce credo libéral n’est pas nouveau. Il a déjà cours au 18ième siècle et sera contenu, partiellement et provisoirement, par la montée en puissance du marxisme.

L’évangile du « There is not alternative » étend sa camisole idéologique à tout un patrimoine culturel - santé, éducation, protection sociale - dans lequel s’est forgée une identité collective. Cette politique sociale a vu le jour à la fin du 19ièmenotamment en substituant à l’accident au travail l’accident du travail, à la notion de faute (de l’ouvrier ou du patron) celle de risque entendu comme « mal social » ; un tournant idéologique inspiré de la théorie microbienne de Pasteur.

Le déficit d’offre de socialisation qui résulte des reculs du contrat social, le retour de la notion de faute (du chômeur, du migrant, de l’assisté, du parent), conduisent à la quête de nouvelles appartenances. A l’aune de quartiers, de « coupe mulet », de barbe, de teeshirts Nike, de gilet jaune, d’abaya. Comme à l’aune de porteurs de Rolex, de fans d’OPA, de gagnants du CAC 40, de fidèles de la Révision générale des politiques publiques, de dévots de l’Accord général sur le commerce des services, tous entonnant les mêmes versets de l’offre et de la demande.

Le projecteur sur l’abaya revient à s’intéresser aux conséquences plus qu’aux causes - la théorie microbienne oubliée – pour souffler sur un feu que des gardes-côtes vestimentaire s’évertuent à étouffer. La passion de l’ignorance au profit de l’obscurantisme, armée de pensée caporale : il suffit d’interdire (ou d’ignorer) une chose pour la faire disparaître.

Le discours d’Alain Minc « ce n’est pas la pensée, c’est la réalité qui est unique » (…), «on est en plein emploi pour ceux qui peuvent et qui veulent travailler », fait écho au propos de John Berger, inspiré des portraits d’aliénés peints par Géricault en 1820 : « L’homme mesure le gouffre terrible qui sépare ses paroles de ce qu’elles sont censées signifier. En fait, c’est ce gouffre, ce vide, cette béance qui est la douleur. Et finalement, parce que, à l’instar de la nature, elle a horreur du vide, la folie s’y précipite pour le remplir ». Et de poursuivre - l’article date de 1991, « Entre l’expérience concrète de la vie ordinaire sur notre planète et les récits publics conçus pour donner un sens à cette vie, le fossé, le gouffre, sont aujourd’hui bel et bien béants. C’est là-dedans que réside la désolation, bien davantage que dans les faits. N’est-ce pas pour cette raison qu’un tiers de la population française se montre prête à écouter M. Le Pen ? » (1).

Le « on ne vient pas déguisé à l’école » de Ségolène Royal ajoute au vêtement une touche de mascarade aux airs d’Halloween. En agitant l’épouvantail, le politique se caricature et se fait peur lui-même. La peur de son ombre, l’ombre portée de son absolutisme endimanché. A l’heure où les conditions de vie des gens viennent à dépendre davantage d’actionnaires que d’électeurs, on vient déguisé en démocrate au gouvernement.

L’abaya ou le doigt de la main de Fatma à la main invisible du Marché... Le diable se mord la queue.

Notes

(1) - J. Berger, « Regarder le malheur en face », Le Monde diplomatique, décembre 1991. 

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