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Billet de blog 5 octobre 2011

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le syndrome sud-africain

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On aimerait croire que cette équipe de France de rugby connaîtra le même destin que celui de l’équipe de France de football en 2006 en Italie: un premier tour de poule poussif et puis de façon inattendue une remarquable embellie lors des matchs à élimination directe pour atteindre la finale de la compétition.

Malheureusement on peut penser que la trajectoire de l’équipe de Marc Lièvremont ressemblera plus à celle d’une équipe de France qui disputait déjà une compétition dans l’hémisphère sud, c’est-à-dire les Bleus de Raymond Domenech en Afrique du Sud l’année dernière.

Oh, bien sûr nous ne sommes pas encore éliminés, mais cela n’est dû qu’à un règlement très clément et un petit coup du destin, en l’occurrence la maladresse de quelques tongiens, et on peut espérer par ailleurs que les rugbymen ne nous offriront pas un remake de Knysna.Mais au final la Coupe du Monde en Nouvelle Zélande n’est que l’aboutissement de plusieurs années d’erreurs (2007/2011) qui ne sont pas sans rappeler la période 2006/2010 qu’avait vécue l’équipe de France de football. Tout cela pourrait se résumer dans une formule, le syndrome sud-africain, qui se décline en plusieurs chapitres.

Le syndrome Domenech

En tant qu’entraîneur de club Raymond Domenech n’a pas eu un palmarès très étoffé: une remontée de D2 en D1 avec Lyon en 1989 et c’est tout. Puis en tant que sélectionneur des Espoirs Raymond Domenech ne remportera aucun titre et ratera plusieurs phases qualificatives, notamment pour les JO de Sydney ou d’Athènes. Aussi lorsqu’il prend la tête de l’équipe A en 2004 il n’a aucune aura particulière auprès des joueurs et/ou du public et quasiment pas d’expérience de gestion de «stars».

De façon étonnante Marc Lièvremont a quasiment le même parcours d’entraîneur: une remontée de Pro D2 en Top 14 avec Dax en 2007, et une expérience de sélection des Espoirs auparavant, mais là aussi sans grands résultats. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, Lièvremont lui non plus ne bénéficie pas d’un crédit particulier auprès de la communauté rugbystique lorsqu’il succède à Bernard Laporte en 2007 et n’a pas de vécu significatif auprès de joueurs de niveau international.

Or bizarrement Lièvremont a semblé incapable au cours de ces années de choisir ses joueurs: il a multiplié les essais, les tentatives d’association et aucune équipe type ne s’est jamais dégagée, au point que les joueurs se plaignent à mots couverts du manque d’automatismes (notamment pour la paire de demis). Manifestement Lièvremont n’a pas été capable de trancher dans le vif, soit par indécision, soit par incapacité à affirmer ses choix face à des joueurs dont la notoriété ou le palmarès lui semblaient difficiles à remettre en cause. Le cas Chabal a longtemps constitué un cas d’école dans ce domaine. L’inexpérience au très haut niveau ça se paye..

Si les similitudes de carrière entre les deux hommes sont étonnantes elles ne s’arrêtent pas là: Lièvremont comme Domenech va développer une relation très tendue avec la presse, comme l’illustrent ses récents propos lors de cette Coupe du Monde. ( «Il y a le climat détestable lors des conférences de presse. J’aimerais être dans un climat de confiance, de convivialité et d’échange. J’ai longtemps espéré. Ce n’est plus le cas.»). Si Domenech, acteur dans l’âme, en faisait trop et avait fini par se mettre beaucoup de journalistes à dos, Lièvremont lui n’en fait pas assez. Taiseux, ombrageux, l’exercice de la communication semble être une vraie difficulté pour ce personnage finalement trop «cash» dans un univers où l’image compte tant.

Or que demande-t-on vraiment à un sélectionneur d’équipe nationale: sélectionner, c’est-à-dire choisir les joueurs qui vont composer l’équipe, et communiquer, c’est-à-dire protéger son groupe des pressions extérieures et du «bruit» perturbateur. Choisir quelqu’un qui rechigne à cet exercice n’a pas de sens dans le contexte qui est celui du rugby professionnel d’aujourd’hui.

Au final le choix de Lièvremont en 2007, plutôt que celui d’un Guy Novès ou d’un Fabien Galthié, semble relever des luttes intestines, picrocholines, au sein de la fédération française plus que d’une vraie vision pour le XV de France. L’annonce, avant le début de la Coupe du Monde du successeur de Lièvremont n’est d’ailleurs que le dernier indice de cette piètre politique en matière de choix du sélectionneur par la Fédération.

Le syndrome de la surévaluation

De la même façon que nous nous étions bercés d’illusions avant la Coupe du monde de football en Afrique du Sud, nous nous sommes bercés d’illusions avec la Coupe du Monde de Rugby en Nouvelle Zélande. Evoquer une finale après les nombreuses défaites cuisantes des derniers mois (Italie, Afrique du Sud, Australie) et un Tournoi des VI Nations de mauvaise facture relevait de la méthode Coué. Il aurait été beaucoup plus simple et sain, notamment pour les joueurs et leur encadrement, d’évoquer des objectifs crédibles: c’est-à-dire viser un quart de finale, et considérer que tout parcours qui serait meilleur constituerait un superbe résultat.

Cette surévaluation du niveau de l’équipe tient d’abord à une mauvaise appréciation de la qualité des joueurs: la France dispose de nombreux bons joueurs mais n’a pas en ce moment dans ses rangs de joueurs de classe mondiale, qui peuvent à eux seuls faire basculer un match. La Nouvelle Zélande a un Dan Carter ou un Sonny Bill Williams, l’Afrique du Sud un Bryan Habana, ou encore l’Australie possède un James O’Connor. Nous ne disposons pas à l’heure actuelle d’un Betsen, d’un Pelous ou d’un Jauzion qui étaient les meilleurs au monde à leur poste il n’ya pas si longtemps.

En outre l’équipe de France souffre manifestement d’un déficit de leadership; même si Thierry Dusautoir paraît être un bon capitaine il ne semble pas être le galvanisateur de troupes dont aurait besoin l’équipe, notamment lorsqu’il s’agit de compenser un manque (relatif) de qualités individuelles. Du côté des demis un turnover incessant et un manque de résultats indiscutables a sans doute empêché un leader et un stratège d’émerger et au-delà, sur le terrain, personne ne semble en mesure de prendre ce rôle de «guide».

Mais si le niveau des joueurs peut être sujet à caution le projet de jeu comme on dit paraît inexistant: depuis 4 ans on serait bien en peine de dire quel style l’Equipe de France cherche à imposer. Un coup on a l’impression qu’on va miser sur une défense de fer et une grosse mêlée, puis le coup d’après sur «la liberté d’action des joueurs», et enfin sur le seul et hypothétique «French flair». Les changements incessants dans l’effectif imposés par Lièvremont ont eu pour résultat d’empêcher la constitution d’automatismes et la vraie mise en place d’une stratégie sur la durée. Or si une équipe ne dispose pas d’une boussole lui permettant, notamment lors des moments difficiles, de tenir le cap, de ne pas se désunir, et bien elle sombre.

A l’arrivée devant l’absence de schéma technique et tactique, on en revient aux fameuses «valeurs» du rugby, qui semblent constituer le plus petit dénominateur commun à défaut d’un projet: courage, combat, abnégation, mais face à des équipes motivées, qui elles ont une vraie ambition collective, et qui elles aussi sauront faire appel à ces valeurs, les résultats ne peuvent être là.

Le syndrome du professionnalisme

Bien sûr le rugby n’est pas le foot; les enjeux financiers et médiatiques restent bien inférieurs mais ils ne cessent d’augmenter et induisent de nouveaux comportements.

Ainsi il est saisissant d’entendre Marc Lièvremont parler d’agents de joueurs au lendemain de la défaite contre les Tonga: «J’ai vu des joueurs avec leur agent la veille du match et après le match au lieu de se rassembler». Comme au foot on a l’impression que la carrière individuelle des joueurs prend le pas désormais sur toute autre considération. Dès lors ce qui compte ce sont les clubs, c’est-à-dire ceux qui payent les joueurs et peuvent leur garantir un avenir. La solidarité et l’esprit d’équipe, qui sont si importants au rugby, sont évidemment les grands perdants de cette évolution et singulièrement au niveau de l’équipe nationale. Le collectif comme ambition fédératrice s’efface alors devant la primauté des résultats individuels. Ainsi ce qui compte quand cela va mal - même sur le terrain - c’est avant tout de s’en sortir soi même; d’où l’impression étrange de manque de solidarité et de communication entre les joueurs...

En outre l’arrivée massive de joueurs étrangers dans le Top 14 depuis quelques années contribue à une nouvelle forme de starification et à une augmentation sensible des rémunérations. Cela renforce l’individualisme des joueurs. Dans ce nouveau contexte l’Equipe de France perd elle de son intérêt ou de sa valeur, elle peut même devenir un frein en obligeant à des efforts physiques supplémentaires qui peuvent se payer un jour.

On assiste alors à une confrontation de plus en plus aigue entre les clubs et la fédération: clubs de plus en plus réticents à «lâcher» leurs joueurs, impossibilité de programmer de vraies plages d’entraînement pour l’Equipe de France, calendriers déments qui meurtrissent les organismes...Ces contradictions trouvent leur paroxysme dans cette parodie de Top 14 qui se joue en ce moment sans les internationaux français et étrangers. Plutôt que d’imaginer un calendrier différent ou un format de compétition spécifique les années de Coupe du Monde on assiste à des matchs complètement tronqués pendant plusieurs mois. La pression des sponsors et des droits télé est sans doute trop forte...

Joueurs moins concernés qu’auparavant par l’Equipe de France, impossibilité de bâtir une équipe et un groupe sur la durée (plusieurs années) en bénéficiant de plages spécifiques pour l’Equipe de France, corps éreintés par un championnat trop long et la H Cup... le système est bâti de telle sorte que les résultats positifs seront de plus en plus difficiles à obtenir pour le XV tricolore.


En conclusion on peut espérer que la France battra l’Angleterre et continuera sa route en pays kiwi, mais cela relèverait de la chance plus que d’autre chose, et les problèmes seront toujours là. A notre sens pour que le XV à l’emblème du coq retrouve de sa superbe il faudra sortir du syndrome sud-africain, c’est-à-dire: disposer d’un staff très compétent et légitime, bâtir sur la durée un style et un projet de jeu, permettre aux joueurs de s’y intégrer pleinement, redéfinir l’équilibre entre les clubs et la sélection nationale.

C’est à cette condition que l’Equipe de France continuera à nous faire vibrer.

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