Sur le site de la Présidence de l’UMP de la République on trouve la version écrite du discours prononcé à Grenoble le 30 juillet par Nicolas Sarkozy lors de la prise de fonction du nouveau préfet de l’Isère. Evidemment l’annonce qui a été le plus commentée – parmi un long catalogue dont la lecture provoque une réelle sensation de malaise - est celle concernant la déchéance de la nationalité française. Le texte exact est ci-dessous :
« De même nous allons réévaluer les motifs pouvant donner lieu à la déchéance de la nationalité française. Je prends mes responsabilités. La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un fonctionnaire de police ou d'un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique. »Par la suite les exégètes en chef de la pensée sécuritaire sarkozyste que sont Brice Hortefeux, Eric Besson et Eric Ciotti nous ont gratifié de leurs commentaires, ajouts et autres suggestions (pourquoi par exemple ne pas envisager de déchoir les parents d’enfant mineurs récidivistes en combinant les propositions de uns et des autres. Voilà une bonne idée !) pour lui donner plus de corps.De nombreux commentateurs ont évoqué le caractère dangereux, démagogique et potentiellement inconstitutionnel de la mesure. Mais comme souvent sur des sujets très clivants ceux qui sont convaincus de la nocivité de la politique menée par Nicolas Sarkozy seront renforcés dans leurs convictions tandis que ceux qui sont persuadés qu’il est le sauveur de la patrie en danger menacée par les hordes barbares applaudiront ces mesures. En ce sens le terrain de la morale ou du droit est inopérant pour bâtir des stratégies de changement d’opinions. Il faut donc aborder le problème différemment en faisant un détour par le bon sens. Donc postulons qu’un projet de loi soit élaboré sur le sujet – il paraît que le Ministre de l’Intérieur va y passer son mois d’août, pas de chance c’est lui qui s’y colle-, qu’il soit ensuite voté par le Parlement et qu’il passe la censure du Conseil Constitutionnel, qui ne manquera pas d’être saisi, avant éventuellement d’être examiné et validé par les instances européennes comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Faisons l'hypothèse donc qu’après ce long parcours – ah ça serait tellement plus simple de rédiger et d’appliquer un décret ! mais ce n’est pas encore possible - la nationalité française puisse être effectivement retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un fonctionnaire de police ou d'un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique.Alors imaginons ce qui se passe… Nous sommes en 2015, Nicolas Sarkozy est réélu et Brice Hortefeux est Premier Ministre ; la mesure de déchéance est bien sûr appliquée. Tout d’abord constatons qu’elle ne concerne que des individus qui ont été prêts à porter atteinte volontairement à la vie des membres des forces de l’ordre. Le crime a donc déjà eu lieu entraînant potentiellement la mort des forces de l’ordre. En ce sens elle arrive ex-post, après les faits…et donc trop tard.Notons aussi que la mesure concerne à l’évidence des individus prêts à commettre des actes très graves ; peut-on penser qu’elle a alors un effet dissuasif, c'est-à-dire que la perte de la nationalité française puisse faire réfléchir un criminel avant de tirer sur un policier ou un gendarme, criminel qui dans un éclair de lucidité serait arrêté par cette terrible sanction. Evidement que non ; un individu prêt à commettre un crime et à passer le reste de sa vie en prison se fiche complètement de perdre la nationalité française ; s’il est pris et condamné il aura vingt ans (ou trente ans selon une autre proposition du discours de Nicolas Sarkozy) pour y penser.
Donc concrètement cette mesure permet-elle d’éviter des drames ? La réponse est évidente c’est non. Fera-t-elle réfléchir des criminels avant de passer à l’acte ? Encore non. Apaisera-t-elle les familles de victimes ? Encore non. Cette mesure est donc le prototype d’une mesure absurde en ce sens qu’elle ne sert à rien ; ou plutôt si elle sert à faire des annonces démagogiques et dangereuses.