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Billet de blog 20 octobre 2024

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Anniversaire de la naissance de Rimbaud, mort à 37 ans musulman : «Allah kérim»

Il y a 170 ans, le 20 octobre 1854, naissait à Charleville le génie des Ardennes, un esprit inspiré qui atteindra rapidement en plus d’une poésie lumineuse une immense culture. Arthur Rimbaud mourra à l’hôpital de la Conception de Marseille le 10 novembre 1891 à l’âge de 37 ans en prononçant la formule religieuse musulmane : « Allah Kérim ».

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 « J’ai seul la clef… » (Illuminations)

Il y a 170 ans, le 20 octobre 1854, naissait à Charleville le génie des Ardennes, un esprit inspiré qui atteindra rapidement en plus d’une poésie lumineuse une immense culture.

Enfant et adolescent, Arthur Rimbaud, tel un prodige, raflait tous les premiers prix de sa classe dans toutes les matières enseignées y compris celles du grec, du latin ou de religion qu’il maîtrisait mieux que les séminaristes !
Il était la gloire de son collège pour lequel il gagna le premier prix du concours de l’Académie des Ardennes dans une composition en latin intitulée Jugurtha. Alors qu’il n’a que 14 ans Rimbaud prend, comme Victor Hugo avant lui, le parti de l’Emir Abdelkader dans sa lutte contre la colonisation de l’Algérie en comparant le chef arabe à « un nouveau Jugurtha » ce roi berbère qui combattit les Romains. 

Dans ses célèbres poésies et ses proses on y trouve de nombreuses allusions à l’Evangile même s’il pourfend souvent le christianisme par des critiques acerbes que d’aucuns qualifient de blasphématoires. À l’exemple du poème « Les premières communions » quand il écrit par exemple : « J’étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines. Il me bonda jusqu’à la gorge de dégoûts ! ».

Chose surprenante pour l’époque et pour l’âge du jeune poète on trouve aussi dans ses œuvres des références à l’Orient et à l’islam. Arthur utilise les termes de : « Coran, mosquée, houries,… ». Ceci démontre des connaissances sur la religion musulmane trouvées dans des documents appartenant à son père, militaire de carrière, qui était chef d’un bureau arabe à Sebdou en Algérie. Après sa campagne militaire dans ce pays, le capitaine Frédéric Rimbaud se trouvait en garnison à Charleville quand il rencontra et épousa Vitalie Cuif la mère du futur Arthur. Il parlait couramment l’arabe dont il écrivit une grammaire et possédait divers ouvrages tel un Coran en français qu’il avait annoté. Arthur avait eu accès à ces pièces et il était tellement doué en langue qu’il avait commencé très tôt à apprendre l’arabe. Cet apprentissage de l’arabe va beaucoup lui servir dans les dix dernières années de sa vie au Harrar en Abyssinie et au Yémen à Aden. D’ailleurs, dans des correspondances avec sa famille il réclamera depuis Aden qu’on lui expédie ces précieux documents paternels : le Coran et la grammaire arabe de son père mais Isabelle ne les retrouvera pas. On dit même que Mme Rimbaud ignorant leur valeur aurait utilisé les manuscrits de son mari décédé comme papier d’emballage.

Après ses fugues, dès l’âge de 16 ans, à la recherche et à la rencontre des poètes parisiens, puis sa vie d’errance avec Verlaine, périodes durant lesquelles il composa ses chefs d'oeuvres « Illuminations » et « Saison en enfer », il fera une coupure brutale en cessant d’écrire à 19 ans. C’est ce qu’on appelle « le silence de Rimbaud » sur la littérature et la poésie comme il y aura beaucoup plus tard « le silence de Camus » sur l’Algérie. 

Arthur Rimbaud parcourt l’Europe et apprend plusieurs langues. Engagé dans l’armée hollandaise, il naviguera vers l’Indonésie à Java mais il finira par déserter quelques mois plus tard. Après un bref retour en France il partira à nouveau, cette fois à Chypre puis en Egypte. Il reviendra à Charleville passer l’hiver 1879/1880 avant de quitter encore les siens pour l’Orient en passant par plusieurs villes et pays de la mer Rouge. Il s’installera à Aden et au Harrar où, en amitié avec les arabes et les abyssins qui l'apprécient énormément pour son honnêteté, sa droiture et sa générosité devenue légendaire dans cette contrée au point d’être considéré comme un « saint » un « wali ». Il parlait leur langue et vivait en musulman, selon de nombreux témoignages. Rimbaud portait le nom de « Abdo Rabo» (serviteur de Dieu) durant ses dix années de négociant pendant lesquelles il sera le seul « blanc » à se déplacer sans escorte avec ses caravanes de marchandises. Malheureusement, une maladie au genou va le contraindre à revenir en France. Pendant tout le trajet en partant du Harrar jusqu’à Aden, transporté sur une civière qu’il a lui même conçue, les autochtones avertis par des crieurs, de montagnes en montagnes, de plaines en plaines, le salueront sur son passage en l’accompagnant d’invocations auxquelles il répond par « Allah Kérim ».

Il sera hospitalisé à Aden mais vu la gravité de son mal, les médecins lui conseilleront d’aller se soigner en France. Arrivé à Marseille en mai 1891 il subira l’amputation de sa jambe gauche. C’est dans le même hôpital de la Conception qu’il mourra le 10 novembre 1891 en invoquant sans cesse le nom d’Allah ce que tout musulman espère témoigner avant de mourir. Dans une lettre envoyée le 2 août 1896 à son futur époux Paterne Berrichon, de son vrai nom Pierre-Eugene Dufour, Isabelle, qui avait veillé le malade durant quatre mois avant sa mort, écrit : « Il y a cependant une exclamation qui revenait sans cesse sur ses lèvres : Allah ! Allah kérim ! - Oh dans ces deux mots là, comme je voyais toute sa pensée ! » (Allah Kérim : « Dieu le Généreux »). Dans cette même lettre Isabelle cite un extrait d’une lettre écrite par son frère le 6 mai 1886 dans laquelle Arthur dit : « Comme les musulmans, je sais que ce qui arrive arrive, et c’est tout. ».

Auparavant, dans une lettre adressée à sa mère le 28 octobre 1891, Isabelle parle de l’état de son frère qui s’aggrave mais elle pense qu’Arthur se serait converti d’après ce que lui aurait dit un prêtre qu’elle avait sollicité pour visiter le malade. L’aumonier avait été prévenu du risque de refus et de rejet par son frère, mais il était ressorti bouleversé de l’entretien qu’il venait d’avoir avec Rimbaud. 

En effet, Isabelle écrit : « Quand le prêtre est sorti, il m’a dit en me regardant d’un air troublé, d’un air étrange : « Votre frère a la foi mon enfant, que nous disiez-vous donc? Il a la foi, et je n’ai même jamais vu une foi de cette qualité ! ». Ce prêtre, qui ne reviendra pas, s’est trouvé « troublé » devant la force de la foi exprimée par le frère d’Isabelle qu’il avait ramenée d’Arabie et d’Abyssinie. 

Selon plusieurs témoignages Rimbaud, qui aimait s’habiller en oriental et qui ne buvait strictement que de l’eau comme les musulmans, parlait admirablement arabe et récitait le Coran qu’il avait appris dans la langue du Prophète. Sans citer toutes les nombreuses et diverses sources voici ce qu’écrit l’explorateur italien Ugo Ferrandi dans une lettre publiée dans Les Nouvelles littéraires du 20 octobre 1923 : « Arabisant de premier ordre, il tenait, dans sa case, de véritables conférences sur le Coran aux Notables indigènes. ». Dans une autre lettre datée du 7 septembre 1919 d’un ancien gouverneur français d’Obock, M. Lagarde, adressée à Paul Claudel qui fait partie de ceux qui, à tort, cherchèrent avec Isabelle à faire croire à la conversion in extrémis de Rimbaud au christianisme, on peut lire l’extrait suivant : « Il (Rimbaud) y luttait d’une part pour la vie (quelle rude vie!) et rêvait ensuite de choses que les indigènes et les chefs musulmans de l’entourage de l’Emir du moment ne comprenaient point… Ils les considéraient cependant comme d’inspiration céleste, tant et si bien que des « fidèles » s’empressèrent autour de lui, suscitant les jalousies et les haines des cadis et muphtis menacés dans leurs « affaires » par le nouveau prophète .. ». 

Plusieurs biographes d’Arthur Rimbaud rapportent : « S’il (Rimbaud) connaît déjà la plus grande partie des langues européennes, il apprend encore avec une rapidité qui tient du prodige, d’abord l’arabe, puis tous les dialectes indigènes des pays qu’il parcourt. L’arabe, riche et sonore, lui plaît tellement qu’il va en discuter, en disserter à la « medersa » -l’école indigène. À Harrar, comme à Aden, il aime, dans ses rares loisirs, à faire venir chez lui de petits Arabes auxquels il enseigne le Coran. ». Qui peut croire un seul instant que les musulmans locaux dont certains rigoristes et aussi les chefs religieux et les imams accepteraient un Rimbaud enseignant le Coran aux enfants s’il n’était pas un authentique musulman ? Lui-même devait avoir une telle foi forte et profonde pour enseigner le Coran qui était son livre de chevet. C’est ce qui lui permettait aussi de discuter d’islam avec les théologiens indigènes musulmans d’autant plus que Rimbaud connaissait la Bible que ce fort en thème a dû lire en latin. 

D’ailleurs, dans son agonie dans des moments de lucidité, en plus de répéter la formule coranique « Allah kérim », il devait réciter par moments des versets du Coran selon ce que sa sœur rapporte sans les comprendre : « Eveillé, il achève sa vie dans une sorte de rêve continuel ; il dit des choses bizarres très doucement, d’une voix qui m’enchanterait si elle ne me perçait le cœur. Ce qu’il dit ce sont des rêves, - pourtant ce n’est pas la même chose du tout que quand il avait la fièvre. On dirait, je crois, qu’il le fait exprès. ».

La veille de sa mort, le 9 novembre 1891, Arthur fait rédiger par sa sœur qu’il appelle Djami, du nom de son fidèle employé indigène au Harrar, une lettre au directeur des Messageries Maritimes pour réserver une place et retourner à Aden là où « il aurait aimé d’y être enterré parce que le cimetière est au bord de la mer ». Paix à son âme. 

Des biographes ont reconnu la foi musulmane inébranlable d’Arthur Rimbaud comme expliquée ci-dessus. Son invocation coranique prononcée en arabe « Allah kérim », rapportée par sa sœur Isabelle au chevet du mourant, ne peut être contestée. 

Parmi les tous premiers biographes qui le reconnaissent, il y a la série d’articles de Jean Bourgoin et Charles Houin qui écrivent dans la Revue d’Ardennes et d’Argonne de 1896 à 1901 : « Nous ne parlerons que pour mémoire de son retour à la religion catholique. Il nous est difficile d’y ajouter créance, et les dernières exclamations elles-mêmes de Rimbaud à l’agonie : « Allah Kérim ! Allah Kérim ! » semblent plutôt confirmer le penchant vers l’islamisme.. ».

C’est rapporté aussi par Pierre Arnoult dans son ouvrage « Rimbaud » de 1943 couronnée par l’Academie Française. 

Également par Pierre Mataraso et Pierre Petitfils « Vie d’Arthur Rimbaud » Hachette, 1962 : « Il est probable d'ailleurs que l’apaisement, il l’a trouvé plus dans la soumission fataliste de l’Islam que dans la foi chrétienne. Isabelle raconte qu’il répétait, comme font les musulmans à leur dernière heure : « Allah Kérim » (Dieu l’a voulu) ».

Dans « Rimbaud Œuvres » en 1960, Suzanne Bernard, agrégée de l’Université, Docteur ès Lettres, écrit dans une note dans son introduction : « Si toutefois Rimbaud prononçait avec intention, pendant son agonie, les mots « Allah ! Allah Kérim ! » (comme le rapporte Isabelle dans une lettre à Berrichon, le 2 août 1896), on pourrait se demander s’il ne s’était pas converti à l’islamisme. ».

Sans entrer dans les polémiques et les calomnies injustement lancées contre Arthur Rimbaud, on peut dire comme l’auteur du « Bateau ivre» : « Je est un autre ». 

Illustration 1
« Arthur mourant » dessin d’Isabelle en octobre 1891 © Isabelle Rimbaud

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