Pour marquer le centenaire de la mort de Germain Nouveau (1851-1920) la bibliothèque Méjanes d’Aix en Provence a organisé une exposition retraçant la vie du poète provençal. Elle s’intitulait : « Germain Nouveau l’ami de Verlaine et de Rimbaud ».
Tout au long de cette exposition qui s’est déroulée sur deux périodes début et fin 2021 une question, qui paraissait essentielle pour les exposants, revenait sans cesse. Germain Nouveau a-t-il été auteur d’au moins deux textes des « Illuminations » qui est un des monuments littéraires d’Arthur Rimbaud ?
C’est ce que laisse entendre le catalogue qui accompagne l’exposition sur Germain Nouveau.
Du début à la fin et en 4ème de couverture, ce livre va l’admettre sur la seule spéculation sans le démontrer par aucune preuve probante. Tout est subjectif et orienté et la présentation de ce document commence par des extraits d’avis de deux surréalistes André Breton et Louis Aragon qui déplorent seulement que Germain Nouveau reste méconnu tout en souhaitant en faire l’égal de Rimbaud. Peine perdue.
On peut lire au dos du catalogue de cette exposition sur Germain Nouveau l’affirmation suivante : « De récentes recherches attribuent à Germain Nouveau la paternité d’une partie du recueil des Illuminations ». Dans la préface se basant entre autres sur les études d’un littéraire, M. Jacques Lovichi, à qui l’université d’Aix en Provence refusera la soutenance de sa thèse de doctorat, il est souligné au sujet des Illuminations : « Germain Nouveau a très certainement conçu une partie de ces textes depuis toujours attribués à Arthur Rimbaud. ».
Autre affirmation qu’on lit dans un texte non signé à la page 155 à la fin de ce catalogue édité « À la mémoire de Jacques Lovichi » : « On sait que des textes en prose sont recopiés par Rimbaud et Nouveau entre Paris et Londres ». Paris certainement pas ! Londres peut être mais concernant Nouveau c'est une simple supposition non une évidence.
Plus loin, les auteurs anonymes de ce paragraphe qui porte en titre « La question des Illuminations », affirment au risque de réveiller Nouveau dans sa tombe : « Eddie Breuil analyse en détail les manuscrits des Illuminations et démontre que ceux que Rimbaud retranscrivit sont des « manuscrits de copistes » : Rimbaud aidait tout simplement Nouveau dans sa mise au propre. »!
On va donc jusqu’à inverser les rôles ! C’est de la démesure la plus totale que personne depuis plus de 120 ans d’études rimbaldiennes n’avait encore osé soutenir.
On est dans l’extrapolation et dans la pure affirmation sur la base de simples suppositions non fondées comme nous allons le voir.
D’autre part, on ne tient pas compte que dans ce très court temps londonien Germain Nouveau proposait des études portant son nom pour la Renaissance de son ami Jean Richepin et des poèmes signés par lui à la Revue du Monde nouveau dont le rédacteur en chef était le poète Charles Cros. Ce dernier à publié notamment le poème de Nouveau « Rêve claustral » qui, selon P. Petitfils (Rimbaud, chez Julliard, 1982), « rappelle à la fois « Les premières communions » et « Les chercheuses de poux » de Rimbaud. ».
Nouveau âgé de 22 ans a d’abord connu Rimbaud qui en avait 19 lorsqu’il l’a croisé un jour de novembre 1873 dans un café parisien. Il décide de suivre l’auteur de « Saison en enfer » à Londres où celui-ci désirait se rendre pour apprendre l’anglais et voyager. Les deux compagnons partent fin mars 1874 pour l’Angleterre et Nouveau reviendra rapidement à Paris fin mai début juin de la même année. C’est beaucoup plus tard que Nouveau rencontrera Verlaine. C’était dans la capitale anglaise en 1875. Verlaine voulait récupérer le manuscrit des Illuminations qu’il lui avait envoyé par poste à la demande de Rimbaud. Il est un fait que Verlaine à sa sortie de prison était allé rendre visite en 1875 à son ami qui apprenait l’allemand à Stuttgart. C’est alors qu'il aurait reçu de Rimbaud le manuscrit avec recommandation de l’envoyer à G. Nouveau afin qu’il le fasse éditer car il se trouvait à Bruxelles. C’est dans cette ville que Rimbaud avait lui-même publié en 1873 « Saison en enfer » .
Les manuscrits passeront dans plusieurs mains avant d’être publiés plus de dix ans plus tard et certaines pièces finiront à la BNF qui les a rachetées. Selon Alain Blottière (Rimbaud, Lautréamont, Corbière, Cros, œuvres poétiques complètes, édition Robert Laffont, 1980) « Il s’agissait de feuillets épars, écrits vraisemblablement à des époques différentes. ».
Indéniablement, le natif de Pourrières dans le Var n’a rencontré que durant de très courtes durées ses deux « amis » Rimbaud et Verlaine lors de ses pérégrinations à Paris et à Londres avant de regagner la Provence. On apprendra qu’il occupa en 1875 le poste de répétiteur à Charleville dans le collège où avait étudié le jeune Arthur mais sans jamais rencontrer dans cette ville le poète du « Bateau ivre » qui s’y trouvait pourtant. Étrange…
Toujours sur les traces du génie des Ardennes, Nouveau, de type « espagnol, oriental ou arabe », ira en quête tardive à Alexandrie et dans le Moyen Orient puis à Alger pour apprendre l’arabe que maîtrisait Rimbaud. En effet, le père d’Arthur, Rimbaud Frédéric, était un militaire arabisant qui avait occupé le poste de chef d’un bureau arabe en Algérie. Lettré, cet officier était l’auteur de plusieurs ouvrages militaires mais aussi d’une grammaire arabe et il possédait un Coran annoté. Arthur les avait lus très jeune dans le grenier de la ferme familiale à Roche.
À Londres, Rimbaud, qui était en besoin d’argent, va mettre au propre ses manuscrits (vers et proses) afin de les éditer et de les vendre. Verlaine dira que ces écrits étaient antérieurs et que Rimbaud les possédait en 1872.
Par contre, sur deux textes apparaît une autre écriture qu’on pense différente de celle de Rimbaud. Certains vont l’attribuer à Nouveau par déduction car il partageait la chambre avec Rimbaud et il aurait ainsi servi de « copiste » mais d’autres le contestent. Cette « deuxième » écriture manuscrite apparaitrait dans « Villes » et dans « Métropolitain ».
P. Brunel, professeur à l’Université de Paris-Sorbonne, écrit dans « Rimbaud » collection Théma chez Hatier (1973) « la mystérieuse série des Illuminations : .. entrée à de « splendides villes » qui seront l’œuvre colossale et fragile du poète seul (.. « Ville », « Villes I » et « Villes II » ..), naissance d’une nouvelle clarté et d’une harmonie inouïe. ». Quant à « Métropolitain » où l’on trouve des mots évoquant l’Orient cher à Rimbaud « Samarie » et « Damas », P. Brunel précise que c’est : « Le texte le plus difficile, peut être, des Illuminations. Il n’a rien à voir avec le métro de Londres, -qui n’existait pas encore. « Métropolitain » renvoie à « métropole, à la ville nouvelle qui devrait s’étendre au monde entier. ».
Germain Nouveau, qui à Londres se proposait de donner des cours de littérature française tout comme Rimbaud, mais aussi plus spécifiquement de littérature provençale, n’a jamais revendiqué avoir participé à cette rédaction. Il n’y avait pourtant aucun mal à le reconnaître et Rimbaud n’avait aucun intérêt à le dissimuler.
De plus, personne de ceux que l’un et l’autre fréquentaient ou connaissaient notamment les « parnassiens » n’en a témoigné. Il en est ainsi également d’Ernest Delahaye l’ami d’enfance de Rimbaud devenu aussi l’ami de Nouveau. Ce dernier se confiait à Delahaye avec lequel il resta longtemps lié au point de lui affirmer qu’il n’était pas l’auteur de « Poison perdu » mais que ce poème était de Rimbaud comme le dira aussi Verlaine qui en avait le manuscrit. Il sera publié en tant que tel dans Reliquaire
C’est le seul M. H. de Bouillane de Lacoste qui beaucoup plus tard a cru y voir l’écriture de Germain Nouveau. Or, le spécialiste de Rimbaud, Pierre Petitfils, dit qu’une étude graphologique de M. Dalamain dément cette hypothèse.*
Aujourd'hui, puisque nous avons ces manuscrits et le progrès aidant de la science graphologique a-t-on analysé méticuleusement ces deux écritures manuscrites figurant dans les deux textes en question des « Illuminations » ?
Nous avons des écrits propres à Germain Nouveau notamment sa lettre adressée d’Alger à Rimbaud deux ans après le décès de son ami, ce qu’il ignorait. On pourrait peut être ainsi élucider ce mystère une fois pour toute sur cette différence d’écriture. L’analyse scientifique graphologique pourrait nous indiquer si Germain Nouveau a bien été « copiste » des vers et proses de Rimbaud. Mais en tout cas certainement pas leur auteur car le style, l’unité de ton et de forme et la modernité sont du seul Rimbaud que d’ailleurs Nouveau copiait. Nous avons les preuves de cette influence rimbaldiste par comparaison des extraits de certains de leurs poèmes. C’est parfois du mot à mot repris par Nouveau.
Peut être que Germain Nouveau, qu’on disait très petit de taille au point que Verlaine le qualifiait de « plus petit des bipèdes », se retourne dans sa tombe en entendant 100 ans après sa mort qu’il serait « l’auteur de poèmes attribués à Rimbaud » ?
N’était-il pas plus important pour cette exposition aixoise d’accentuer le côté provençal de Germain Nouveau, peintre et poète, et de susciter chez les scolaires l’engouement de cette langue méridionale aujourd’hui disparue sauf à être étudiée par une poignée d’élèves et par quelques associations ?
On rendrait ainsi un grand hommage à celui qui aimait parler provençal et qui vers la fin de sa vie vécu en « mendiant mystique » tournant le dos à la poésie comme son maître de Charleville qu’il appelait le « Shakespeare français » à l’instar de V.Hugo qui avait qualifié le jeune Arthur de « Shakespeare enfant ».**
* P. Petitfils « les manuscrits de Rimbaud » études rimbaldiennrs 2 (1969) avant-siecle 10
** Selon le biographe Darzens expression de V. Hugo qui avait lu « Ophélie » le poème de Rimbaud qui reprend le personnage de Shakespeare.