Je ne vous tutoie pas
Je ne vous tutoie pas, parce que nous ne sommes pas des camarades de parti. J’ai distribué quelques tracs pour vous, mais c’est lié au caractère gazeux des forces qui vous soutiennent : il n’y a pas un dedans et un dehors. J’ai même voulu verser une obole pour vous soutenir, mais j’ai reculé quand j’ai vu que la mention du n° de téléphone était exigée. C’était présenté comme une exigence de la commission de contrôle des comptes de campagne, mais ce n’est pas tout à fait vrai, on pouvait soutenir Jadot sans donner son 06 – je ne l’ai pas fait mais j’ai vérifié. Votre entourage veut parfois trop en faire… Nous ne nous téléphonerons pas
Ce qui nous sépare tient en un seul mot, je crois : Mitterrand. Mitterrand président. Je n’ai pas digéré le tournant de la rigueur, qu’on devrait appeler la trahison de la rigueur. Je n’ai pas pardonné le soutien aux génocidaires du Rwanda. Mitterrand incarne pour moi ce que la gauche a pu faire de pire. Bien sûr, vous pouvez évoquer les moments de l’opposition au gaullisme, de l’espoir en 1974, Mitterrand président de 1981 à 1983, un peu moins de deux ans. Votre Mitterrand n’est pas le mien.
Merci pour votre travail
Depuis le début de ce siècle, au fur et à mesure que le parti socialiste évoluait en reniant ses valeurs jusqu’à ce qu’Hollande essaye d’ôter toute signification au mot gauche, vous avez progressé dans votre réflexion sur ce que devaient être des propositions de gauche face aux enjeux de notre monde. Pas simple : pour ne citer qu’une question, fallait-il abandonner le mot gauche à la disqualification que lui avait infligée Hollande ? Non, finalement, vous avez, avec vos (nos) camarades réussi la synthèse entre les deux gauches, la première et la deuxième, celle des appareils et celle du mouvement, celle de Lip, du Joint français abritée dans une CFDT qui n’existe plus, sensible dès les années 70 au discours écologiste, anti-autoritaire, cette gauche qui est devenue la deuxième gauche, la première à se perdre et à conquérir les coeurs des médias bien-pensants quand elle n’était plus vraiment de gauche. Vous l’avez ressuscitée, l’avez remise à sa place, à gauche, avec l’écologie, la sixième République. Vous l’avez alliée à la gauche sociale, la gauche populaire. Vous avez travaillé, hésité, réfléchi, vous vous êtes trompé, vous avez rectifié, vous n’avez jamais négligé les mouvements sociaux.
Merci pour votre détermination
Je suis en colère contre celles et ceux qui vous reprochaient déjà et vous reprochent toujours un cavalier seul, sans union de la gauche. Ce qu’ils méconnaissent, c’est le travail accompli (par vous et votre équipe) pour établir un programme cohérent, fixer un cap. Qu’aviez-vous à céder aux autres candidats de gauche, si ce n’est une part de crédibilité ? Alliance avec le PCF ? Mais pour un nombre non négligeable d’électeurs, voter contre le nucléaire était une évidence et entre un candidat de la sortie du nucléaire et un autre qui proposerait un référendum, vous auriez perdu des voix au profit de Jadot. Rapprochement avec celui-ci ? Mais je crois que la plupart de ses propositions figurent dans votre programme, sauf que vous les avez mises en cohérence. Vous auriez pu séduire quelques rêveurs qui pensent que l’écologie politique peut se concevoir sans changements profonds en choisissant l'arrangement politicien au détriment de votre rigueur intellectuelle. Taubira ? Ha, voilà un talent oratoire égal au vôtre… Elle croit qu’il suffit de se pointer, faire de beaux discours… La démarche de la primaire citoyenne n’était pas absurde mais, mauvaise évaluation du travail nécessaire, mauvais timing, il ne fallait pas vous plomber avec. Accord avec le PS ? Je blague. Un truc qui ne peut naître que dans la cervelle d’un journaliste politique.
Tant que j’y suis, merci d’avoir su ne pas vous énerver contre cette engeance. J’ai eu la curiosité de regarder le premier billet de ce blog où j’expliquais mon vote pour la liste EELV aux Européennes. Ce n’était pas l’essentiel mais j’y critiquais votre « violence verbale vis-à-vis de journalistes qui sont de dignes représentants de leur catégorie sociale, qui en épousent l’idéologie , mais ne sont pas des mercenaires ». Vous ne le faites plus. Ce n’est pas si facile parce qu’il y a aussi leurs questions, qu’elles et ils veulent déstabilisatrices, alors qu’en cherchant à enfermer votre raisonnement dans leur cadre de pensée, elles empêchent de le développer et aux auditeurs ou spectateurs d’en saisir la logique.
Merci pour votre engagement
Vous avez près de 70 ans. Votre performance physique époustoufle. Je suis d’une génération où, jeune, on prenait quelques drogues, alors entre copains, les suppositions vont bon train : amphétamines ? Cocaïne ? On saurait en distinguer les traces. Et comment s’est-il calmé ? il avait encore bien des raisons de s’énerver. Bêta-bloquants ? Peut-être les endorphines produites par le cerveau de qui fait un travail qui lui plaît, comme il lui plaît, la satisfaction du beau boulot. Ce qu’il faut permettre à tous les travailleurs ! Sans doute travail sur soi, travail physique et psychologique en plus du travail politique, du travail sur le programme : chapeau !
Coups de pied de l’âne
Vous n’êtes pas parfait ! Comme c’est étonnant ! J’aurais aimé vous entende expliquer votre cheminement, le passage de votre pensée par des phases comportant des erreurs… même si in fine, vos propositions au cours de cette campagne ont quasiment été un sans faute. Je pense notamment à un approfondissement de la question des rapports entre realpolitik et solidarité internationale dans une politique étrangère de gauche. Plus précisément à la nécessité de prendre en compte dans la question syrienne la spécificité du Rojava et l’impérieux devoir d’une solidarité spécifique avec sa lutte – sans s’arrêter aux alliés que la stratégie lui a imposé d’avoir.
Je pense à ce qui n'est pas arrivé et à ce que vous auriez fait lorsque vous vous seriez heurté au « mur de l'argent » en appliquant votre programme, l’Avenir en commun : vous en auriez appelé au peuple ou vous auriez pris modèle sur votre Mitterrand de 1983 ?
Je pense que je vous remercie aussi pour un travail d'équipe : vous n'êtes pas seul à mériter ces remerciements, mais cette équipe aurait-elle existé sans vous ?
Je pense à l’avenir et à la manière dont vous devrez passer la main, en restant un conseil avisé, mais à la bonne place. L’aventure est collective mais dans la cinquième République, un leader est nécessaire – et ce ne peut pas être qu’un porte-parole, même s’il doit s’effacer vers la mi-mandat, en fonction des attributions que lui donnera la constitution de la sixième République. La transition sera difficile, il se peut qu’elle doive attendre cinq ans de plus, ce serait dommage. En attendant, après cette belle campagne, il faudrait capitaliser à gauche aux législatives, il faudrait que la principale opposition ne soit pas à droite et à l’extrême-droite.
Coda
C’était la troisième fois que je votais pour vous au premier tour d’une élection présidentielle. Jamais je n’ai voté pour vous par réflexe, sans réfléchir. À chaque fois j’ai eu l’impression de voter pour un candidat différent, un candidat meilleur, plus réfléchi que celui pour qui j’avais voté cinq ans auparavant.
Pas de chance, je crois que je n’ai jamais voté au premier tour pour un candidat élu ou même qualifié pour le second tour. Caramba ! Encore raté… désolé pour vous, pour nous, pour tous.