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Billet de blog 14 avril 2022

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Heuristique de la peur, pari pascalien, éthique prédictive

Comment choisir sa position pour le second tour de l’élection présidentielle ? L’aide d’un philosophe ne serait pas inutile…

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Mais je n’en suis pas un, alors je rigole avec ce titre pseudo philosophique. Heuristique de la peur, encore, ça peut se comprendre. Pari, probablement, mais qu’est-ce qu’il a de pascalien ? Éthique prédictive ? Je ne sais pas ce que ça peut vouloir dire, mais ça classe, non ? En tout cas, voilà trois mouvements de ma réflexion pour choisir entre l’abstention ou le vote blanc et le bulletin qui porte le nom de l’actuel président. Bien sûr, c'est écrit trop vite et je n'arrive pas à être drôle.

De quoi avons-nous peur ?

Si nous avons peur du fascisme, le plus sûr moyen de l’éloigner est de voter Macron. Mais Marine Le Pen est-elle fasciste ? Pas tout-à-fait. Pour envisager ce qui nous attend avec MLP, il faut aller voir du côté de la Hongrie. J’aurais donc tendance à employer le mot fascisant, même si facho convient aussi bien.

Avons-nous peut d’être débarrassés de Nicolas Demorand et Léa Salamé ? Probablement pas. Mais avons-nous peur de regretter Nicolas Demorand et Léa Salamé ? Je crois qu’on ferait bien. Le choix entre Radio-télé Bolloré et Radio-télé Le Pen me paraît incomparablement pire que celui que nous avons actuellement. On pourra regarder des chaînes YouTube, on pourra lire des journaux, Médiapart, mais ce qu’offrent les radios et télévisions généralistes du réseau hertzien, c’est une sorte de lieu commun où s’élabore une opinion publique commune. Pas joli, ce lieu, n’est-ce pas ? Une ferme à idées reçues, une fermeture idéologique, une incompréhension de ce qui peut être populaire ou remise en cause du libéralisme… Mais l’évidence de base n’y est pas que les étrangers sont malvenus, que la police a tous les droits, toujours raison, que nous sommes (vous êtes) le mal (le woke, l’islamo-gauchiste). On respire un peu en entendant Charline ou Alex. Terminé : halte au grand remplacement des enfants de Bigard par les gauchistes belges !

Police ? Avec Macron, quelques éborgnés, quelques mains arrachées, pas grand-chose (je reconnais que j’abuse du style indirect libre à connotation ironique). Encore est-il arrivé que des policiers soient condamnés pour ça. Oh, à peine, mais quand même. La police aura toujours raison ! Et pour cause, en cas de bras de fer entre la Présidente et le Conseil constitutionnel, ce sera la police et l’armée qui décideront de la loi. Il est possible que le Conseil constitutionnel s’écrase comme il en a pris l’habitude (et comme c’est son rôle, sinon pourquoi ses membres seraient-ils choisis discrétionnairement par les leaders de la majorité?), mais on n’est jamais trop prudent.

Justice ? Si vous avez peur de connaître la différence entre respecter les formes et ne pas avoir de limites…

Milices ? Parce que vos croyez qu’une victoire de Le Pen ne va pas galvaniser les fafs ? Vous croyez qu’ils ne se sentiront pas partout en terrain conquis ?

Social ? Si Le Pen peut devenir présidente, c’est parce qu’elle a coché la plupart des cases du QCM envoyé par le MEDEF aux candidats (NB c’est une métaphore, ne cherchez pas ce QCM sur le net). Moins bien que Macron, mais elle n’a pas fait les mêmes études, et puis il faut plusieurs façons de duper el prolétariat. Ne pas même tous es fers aux même feu.

Culturel ? Il vient de paraître un article sur le sujet… Rien à ajouter

Si nous avons peur d’être pris pour des cons, alors, ne votons pas Macron. Non seulement, il nous méprise, mais encore, même au moment où il a besoin de nos votes, il ne peut pas s’empêcher de continuer à le montrer. Le coup de la retraite à 64 ans restera dans les annales. À 65 ans, ces cons d’électeurs et d’électrices risquent de voter Le Pen, alors à 64 ?

J’en profite pour signaler que Macron (dont l’inventivité n’est pas la qualité première) utilise le même sophisme pour les retraites et le nucléaire. Dans les deux cas, il y a une difficulté à un moment de transition. Dans les deux cas, il prétend la résoudre avec un instrument qui ne sera opérationnel qu’après. Le prétexte du choix du nucléaire est donc bidon ; ses centrales et micro-centrales entreraient en service quand le dérèglement climatique, sécheresses, inondations rendrait leur fonctionnement aléatoire. Le prétexte pour repousser l’âge de la retraite ne vaut pas mieux. Dans les deux cas, il s’agit de donner satisfaction à des lobbys, celui du nucléaire évidemment, celui des entreprises qui ont intérêt à garder un taux de chômage assez élevé pour éviter les hausses de salaire.

Un petit mot sur la santé, quand même : désormais Macron se fiche de notre santé. En tout cas, s’il en dit quelque chose, merci de me le faire savoir et d’en informer les quelques lecteurs de ce blog. Pour l’hôpital, Macron a déjà fait beaucoup, il va continuer ! Contre le covid, les 100 morts quotidiens sont probablement considérés comme profitables au système de retraite et à l’équilibre de la sécurité sociale, des vieux, des faibles, des malades, des assistés qu’il n’est pas mauvais de détruire dans l’idéologie de droite qu’il partage désormais sans fard. Évidemment, Macron ne dit pas ça, puisqu’il nous prend pour des cons. Il dit qu’il appartient à chacun, en responsabilité, de se protéger, et de protéger les autres. Il ne faut jamais minimiser les risques de cette pandémie qui perdure même si le plus dur est derrière nous. Ensemble nous avons déjà...

Pour résumer, voilà comment on sera pris pour des cons : un jour ou l’autre, Macron expliquera que ceux qui ont voté pour lui préféraient son programme à celui de Le Pen. Donc qu’il a mandat pour faire ce qu’il veut. Que ce qu’il veut, c’est unir les Français, mais qu’évidemment, ceux de mauvaise foi, ceux qui ne comprennent rien, ceux qui veulent remettre en cause la démocratie se placent d’eux-mêmes en dehors de cette union.

Si nous avons peur de risquer notre santé mentale et même physique en faisant une action totalement contraire à ce que nous croyons et en en observant les conséquences pendant cinq ans, en voyant pendant cinq ans celui pour qui nous avons voté se livrer à toutes les destructions sociales, environnementales, des libertés, faire la chasse aux migrants, s’attaquer aux pauvres et aux précaires sans vergogne, faire étalage de son mépris pour nous et encore davantage pour les plus faibles, alors, ne votons pas Macron.

Mais ne risquons-nous pas notre santé mentale en ayant favorisé, même indirectement celle qui fera les mêmes casses que Macron, mais plus vite, avec moins de mépris, mais avec encore plus de violence ?

Pari 

Le pari, implicite de qui refuse Le Pen et fait tout pour l’empêcher de devenir présidente de la République, c’est que dans cinq ans, nous n’ayons plus à faire ce choix immonde. Dans cinq ans, si Macron l’emporte cette année, sa version de la droite sera sans doute aussi discréditée que celle de Pécresse aujourd’hui, que la « gauche » de Hollande il y a cinq ans. L’extrême-droite aura perdu des batailles idéologiques, elle sera moins forte dans les médias. Alors, la gauche, c’est-à-dire la France insoumise et les forces qui s’y seront agrégées seront plus fortes. Si ça se passe comme ça...

Si c’est pour élire un fascisant en 2027, à quoi bon avoir pris pour cinq ans de régression sociale et de recul des libertés qui préparent un régime encore plus dur ? Serons nous davantage prêts à résister dans cinq ans qu’aujourd’hui ? Qui va passer les cinq ans à venir à réfléchir à la construction d’un monde meilleur et qui va les passer à réfléchir pour préparer la résistance face à un pouvoir fascisant ?

Pour parier, dirait Pascal,il faut considérer ce qu’on risque d’une part, les chances qu’on a de gagner d’autre part.

Voyons les chances. Disons que ce qui me paraît moins certain dans ce que j’ai écrit ci-dessus, c’est cette phrase : l’extrême-droite aura perdu des batailles idéologiques, elle sera moins forte dans les médias ; la première proposition est plausible, la seconde moins. Côté droite dite classique, on peut dire que toutes ses variantes ayant été tentées, elle aura moins de chances que cette année. Nous, puisque nous avons déjà perdu, on peut dire que dans cinq ans nos chances de gagner seront supérieures à celles de ce 14 avril 2022, mais sans plus.

Voyons maintenant l’enjeu. Sérieusement, je crois qu’il sera encore plus difficile de lutter en cas de victoire de l’extrême-droite dans cinq ans, après cinq ans de limitation des libertés menée par Macron, cinq ans de développement de la surveillance sociale et policière qu’aujourd’hui. Les techniques auront été développées, les lois votées, l’extrême-droite n’aura plus qu’à s’en servir.

En pariant, on devrait donc laisser faire le sort : ne pas voter Macron cette année. Mais il faut peut-être considérer la démocratie comme un terrain de luttes plus que comme une piste de dés. Tout le raisonnement ci-dessus tient à ce qu’on néglige les luttes politiques et sociales à mener pendant les cinq ans à venir, à commencer par la première, celle des législatives. Or il paraît probable que les électeurs hésitent à donner comme en 2017 un blanc seing à Macron, sous forme de Chambre des députés-godillots. Il est possible en revanche qu’après avoir élu Le Pen présidente, ils veuillent lui laisser les moyens de gouverner classiquement, sans recours systématique à l’article 11.

Éthique (ou fraternité)

Je dirais fraternité, parce que l’éthique, je n’y connais pas grand chose. J’ai commencé Spinoza, mais ce n’est pas un traité sur d’éthique – du moins au début, Je m’étais à l’inverse promis de lire Ruwen Ogien, qui doit être plus à ma portée, mais ce n’est pas encore fait.

Jusqu'ici, on a pensé à nous, électeurs. Si on pense à nos « amis migrants », comme dit une vieille dame que je connais un peu (et qui s’est déjà bien fait insulter par les fachos sur le net), la perspective n’est plus tout-à-fait la même. Ce n’est pas pour dire que Macron les traite bien. Non, il est aussi salaud qu’il est possible en restant un cran au dessous de l’extrême-droite. Pour ceux que la racaille xénophobe appelle les « clandestins », la différence, c’est que Macron leur laisse des coups de chance. Avec de la ténacité, des soutiens et beaucoup de souffrances qui paraissent nécessaires aux sales types qui nous gouvernent, ils peuvent gagner ce qui s’apparente à une loterie de la régularisation. Ceux qui ont les papiers nécessaires sont certes soumis régulièrement à des brimades administratives, leur maintien en France n’est pas un long fleuve tranquille mais l’un dans l’autre, ils n’ont pas le risque que ferait peser sur eux l’élection de Le Pen. Je ne me vois pas prendre la responsabilité d’aggraver encore le sort de toutes ces personnes. Pour elles, cinq années de gagnées en France, même cinq années merdiques, cinq années que la macronie s’acharnera à rendre merdiques, c’est mieux que le charter immédiat (après brutalités, faut pas déconner : on va leur payer le voyage retour, ça mérite bien une petite compensation).

Conclusion ; si on a Le Pen, c’est pas nous, électeurs, qui allons prendre le plus cher. Ça mérite qu’on y pense.

Du coup, je ne suis pas loin de partager l’avis d’Antoine Perraud : « Il en faut qui ne votent pas Macron, de façon que sa victoire soit ric-rac. Mais il en faut qui votent Macron pour que Le Pen soit battue. » D’abord, c’est une idée de gentil : il ne veut pas qu’on s’oppose en vain. Ensuite, je ne trouve pas d’autre conclusion.

Pour le moment je m’inscris pour le blanc (ou nul). Parce que je veux préserver ma santé, et penser pendant 5 ans que j’ai voté pour supporter un salaud pareil… clairement, c’est tirer un chèque sur la Sécu. Mais je vais attendre le débat. Si Le Pen est aussi nulle que la fois précédente, si les sondages donnent l’autre bien en tête, je ne voterai pas Macron. Si Macron ne « gagne » pas le débat, si ça sent le roussi, je mets ma santé en jeu,…

Vous me direz, pourquoi blanc ou nul et pas abstention ? Attention, en s’abstenant on affiche sa position. Il pourrait arriver un temps où le secret de l’isoloir sera un trésor à garder.

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