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Billet de blog 30 octobre 2021

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Vérité, vérités (1, hydroxychloroquine)

Il y a quelques mois encore, j’aurais lu sans sourciller que « la crise du Covid a révélé comment le professeur Didier Raoult pouvait s’affranchir des règles de méthodologie scientifique et d’éthique, en prescrivant comme traitement l’hydroxychloroquine, dont l’inefficacité a depuis été prouvée. » Plus maintenant. Complotisme ?

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Doute systématique ? Sous-foucaldo-néo-crypto-poutinisme ? Douter du premier paragraphe d’un article de Médiapart ! Comment suis-je tombé si bas ? L’aventure mérite d’être narrée et des leçons d’en être tirées.

Hasard et probabilités

Une découverte de hasard, un article sans doute écrit à la fin de l’été 2020 dans un livre que j’avais acheté et laissé longtemps de côté ; Pourquoi moi ? Le hasard dans tous ses états (Paris, Belin, 2020). Il s’agit d’un recueil de vulgarisation scientifique. Je ne l’ai pas fait exprès, je m’y attendais pas : une spécialiste des probabilités y prend comme exemple d’erreur de raisonnement le refus des conclusions de l’article préliminaire de l’IHU de Marseille sur les effets positifs de l’hydroxychloroquine dans le traitement du covid-19, pendant les premiers jours de la maladie… et j’aime bien réfléchir par moi-même, changer d’avis.

Leila Schneps n’est pas une complotiste, ou elle le dissimule bien. Docteure en mathématiques, directrice de recherches au CNRS, professeure à Jussieu, elle a la particularité de s’intéresser à l’usage des mathématiques (statistiques et probabilités) dans les affaires criminelles et elle a écrit un livre de vulgarisation à ce sujet avec Coralie Colmez (en français, Les maths au tribunal, Seuil, 2015). Comme elle le raconte dans l’article « Comment le hasard se fait-il scientifique ? » (in Pourquoi moi ?, pages 211-219), elle a demandé les données de base (anonymisées) de l’IHU de Marseille (et du professeur Raoult) pour les soumettre à différentes analyses mathématiques, travaillant avec son collègue Richard Gill (membre de l’Académie royale néerlandaise des arts et des sciences) et Hoang Van Thuan, celui qui avait fait l’étude statistique erronée dans l’article de l’IHU (mais je suppose que ce sont les mathématiciens qui ont coaché l’étudiant épidémiologiste). Ils ont utilisé plusieurs méthodes statistiques adaptées à un échantillon réduit et de nombreuses covariables. Leurs conclusions peuvent être résumées en 4 points :

- le traitement était la covariable qui avait de loin le plus d’impact sur le résultat

- le traitement avec azithromycine avait plus d’impact que l’HCQ seule

- l’impact du traitement était fort dans les premiers stades de la maladie et se réduisait à presque rien à un stade avancé

- la covariable qui avait le plus d’impact après le traitement était l’âge.

Leila Schneps n’étant pas complotiste en concluait que deux erreurs avaient été commises en excluant trop tôt l’HCQ des traitements :

- on avait inféré des erreurs méthodologiques de l’étude de l’IHU que les résultats étaient faux. Or, indique L. Schneps, des erreurs d’analyse n’impliquent pas que les résultats soient faux, seulement qu’ils ne sont pas fiables. Il faut reprendre l’analyse à partir des données brutes pour obtenir des résultats fiables.

- par la suite, on n’a pas pris en compte les différences de condition d’administration des traitements dans les différentes études, notamment le stade d’avancement de la maladie auquel le traitement avait été administré.

J’en ai tiré la conclusion qu’il n’y avait que trois possibilités :

- ou bien on avait mesuré l’effet placebo sur le renforcement des défenses immunitaires contre le sars-cov-2

- ou bien les données transmises par l’IHU à Leila Schneps étaient fausses, pour une raison ou une autre

- ou bien l’hydroxychloroquine (HCQ), surtout associée à l’azythromycine (appelée AZ, AZT, AZM et même AZI), a un effet positif pour la traitement du covid-19, lorsqu’elle est administrée en début de maladie.

Vers la synthèse sincère

J’ai quand même demandé à la professeure Schneps si elle avait connaissance d’études postérieures confirmant ou infirmant son article. Elle ne connaissait pas d’étude d’envergure avec le protocole Raoult administré en début de maladie vs le traitement symptomatique habituel en France. Elle m’a donné quelques pistes, indiqué qu’elle ne suivait plus l’affaire de près, invité à chercher de mon côté et à lui faire part d’éventuelles trouvailles.

Parcourant les résumés de diverses recherches, j’ai constaté que l’hydroxychloroquine faisait partie du traitement standard du covid dans certains hôpitaux de pays dits du sud. Lorsqu’on testait de nouveaux traitements, on les comparait alors à un protocole comprenant l’HCQ.

J’ai révoqué en doute les études postérieures de l’IHU de Marseille qui persistent à donner des résultats très positifs de l’HCQ en début de maladie, surtout associée à l’AZ. Pour le reste, les indications de L. Schneps renvoient à des études qui indiquent un effet positif de l’HCQ, mais pas de miracle, comme celle-ci (Ip, A., Ahn, J., Zhou, Y. et al. Hydroxychloroquine in the treatment of outpatients with mildly symptomatic COVID-19: a multi-center observational study. BMC Infect Dis 21, 72 (2021).) qui renvoie elle-même à d’autres études dans son § background. C’est aussi ce qui ressort d’une « méta-analyse en temps réel » mentionnée et critiquée dans la synthèse ci-dessous.

C’est la seule synthèse que j'aie trouvée et ce n’est malheureusement qu’un document de travail (fichier à télécharger en haut à droite) datant de mai 21, que son auteur, Hervé Seitz présente comme la « synthèse sincère » qui manque sur les débats autour d’HCQ et covid. Hervé Seitz n’a pas plus l’air complotiste que Leila Schneps, il a fait un post-doctorat aux États-unis, il est directeur de recherche au CNRS (Institut de génétique humaine de Montpellier). De même que pour Leila Schneps, son travail sur l'hydroxychloroquine n'est pas au centre de ses préoccupations de chercheur. C'est peut-être pourquoi il ne s'est pas préoccupé de poursuivre sa publication (à moins que je n'aie pas trouvé la version définitive). Voici son titre : Hydroxychloroquine et Covid-19 : résumé d’un an de controverse.

Il commence par remettre en cause l’efficacité de l’HCQ in vitro dans des conditions se rapprochant de l’in vivo.

Ensuite, il discute des données et statistiques de la publication initiale de l’IHU de Marseille. Il me semble que c’est là-dessus que les corrections effectuées par L. Schneps et alii (après d'autres d'ailleurs) ont porté et que ces objections n’ont plus lieu d’être.

Puis, il analyse les différents développements médiatiques, mettant à mal le mythe d’un « miracle marseillais » quant à la mortalité par le covid.

Il aborde ensuite la question de la surmortalité par crise cardiaque liée à un « effet cocktail » de l’HCQ avec l’AZM, s’appuyant sur une étude parue en 2020 Le risque serait multiplié par deux. Une étude de médecins libéraux parue fin avril 2020 (V. Guérin, T. Lardenois, P. Lévy et al. Etude rétrospective chez 88 sujets avec 3 approches thérapeutiques différentes (traitement symptomatique / azithromycine / azithromycine + hydroxychloroquine) a là-dessus un point de vue différent. Mais il s’agit de l’évaluation d’un rapport bénéfice/risques.

Enfin il traite des différentes études et essais cliniques. Il écarte un certain nombre de petites études au motif que le faible nombre de cas étudiés rend les résultats trop sensibles aux aléas statistiques. Il conclut par l’approbation de méta-analyses qui reposent essentiellement sur les essais Discovery/Recovery « qui avaient montré de manière convaincante l’inutilité de l’HCQ contre la covid-19 ».

On peut trouver une autre présentation de l’article de Hervé Seitz sous forme de diaporama.

Mon opinion

Chacun sait d’après Bachelard qu’en droit, elle a tort, mais celle de Pascale Pascariello, autrice de l’article de Médiapart cité en introduction aussi. Or, si la preuve de l'inefficacité de l'HCQ n'existe pas, son assertion n'a pas un niveau de vérité supérieur à ce billet de blog.

Le point essentiel à mon sens est que l’essai Discovery porte « notamment sur des patients hospitalisés […] pour covid-19 sévère », comme l’indique un communiqué du CNRS.

Or l’efficacité de l’HCQ (plutôt avec AZM) résiderait essentiellement dans sa capacité à éviter que les patients traités en début de maladie ne développent des formes sévères. Hervé Seitz traite cela de « rumeur » mais sa démonstration pêche. C’est une rumeur, dit-il, parce que l’IHU a traité par le « protocole Raoult » de nombreux patients dont le covid-19 avait déjà atteint les poumons. À mon avis, il ne faut pas regarder à qui Raoult a administré son traitement mais pour qui il a été le plus efficace. Là-dessus, les conclusions de L. Schneps sont claires, je les répète en la citant : « l’impact du traitement (avec ou sans AZT) était assez fort dans le premier stade de la maladie, mais se réduisait à presque rien dans un stade avancé ».

Mon impression est en fait que le professeur Seitz a été influencé par les délires médiatiques du et autour du professeur Raoult et qu’il a jeté le bébé avec l’eau du bain. L’inefficacité du traitement du covid-19 (à des stades précoces) par l’HCQ ne me paraît pas prouvée.

Tout ça n’est plus vraiment d’actualité mais me pose pas mal de questions que j’aborderai par la suite - si ce billet n’est pas censuré - car il est déjà trop long.

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