Le constat
Trois événement survenus le week-end dernier soulignent à quel point l’idée que la gauche doit s’unir lors des échéances électorales à venir a fait son chemin dans les esprits depuis la débâcle de 2017.
Le premier secrétaire du Parti Socialiste, Olivier Faure, a tenu des propos clairs sur cette question samedi 16 novembre lors d’un forum sur la « social-écologie » en Haute-Garonne. « La gauche peut disparaître si elle part divisée aux élections … qu’elles soient municipales ou présidentielles … Si on part divisé aux élections, municipales ou présidentielles, à la fin, le scénario est connu : ce sera le duo Macron/Le Pen, les libéraux contre les fachos ». Voilà qui est on ne peut plus clair et on ne peut plus juste[1]. Le Parti Socialiste confirme en effet que, sur le plan rhétorique du moins, il est toujours sur une ligne unitaire mise en avant pour la première fois pendant les européennes.
Le deuxième événement est le résultat des votes sur les motions pour le congrès d’EELV. La motion A portée par Julien Bayou et Sandra Regol – se situant dans la continuité de la ligne de la direction sortante – a réuni près de 43% des voix tandis que la motion D du secrétaire national adjoint Alain Coulombel – l’un des principaux initiateurs de l’appel « Convergeons ! » lancé le 5 juin dernier – a, quant à elle, réuni 21,6% des voix. Ensemble donc, ces deux lignes unitaires recueillent près de deux tiers des suffrages. La motion soutenue officieusement par Yannick Jadot, la motion B, recueille un peu plus de 26% des voix. Jadot est le partisan intéressé d’une ligne d’affirmation prioritaire de l’écologie politique par rapport aux autres forces de gauche et par conséquent ces résultats indiquent que le barycentre de l’opinion écologiste sur la question stratégique reste unitaire[2].
Enfin, le troisième événement était une table ronde lors des « rencontres pour construire l’unité » organisées à Pau par réseau de la Gauche Démocratique & Sociale animé par Gérard Filoche. Le débat a réuni des représentants de GDS, de Gauche Républicaine et Socialiste (animé par Emmanuel Maurel), d’Ensemble (dont Clémentine Autain est membre), du PCF, de Génération.s, de République et Socialisme et du journal Fakir (animé par François Ruffin). Autant dire qu’il s’agissait des « petits » si on estime que les trois « grands » à gauche aujourd’hui sont le PS, EELV et FI. Il faut également noter que trois de ces forces (GRS, Ensemble et Fakir) évoluent dans l’orbite insoumis au sein duquel elles font vivre tant bien que mal un pluralisme en matière d’orientation. A part le représentant de GRS, les autres intervenants étaient catégoriques sur le besoin d’unité tout en soulevant telle ou telle question (le bilan du hollandisme, le besoin ou pas de creuser telle ou telle question programmatique, etc.).
Nous avons là donc des indices clairs que la majeure partie des courants de la gauche – hormis les amis de Jean-Luc Mélenchon et de Yannick Jadot, pour des raisons qui paraissent évidentes – souscrivent désormais à l’idée qu’il y a un impératif de s’unir en vue des échéances électorales à venir et en particulier de celles de 2022.
Du constat à la concrétisation
Dès lors, le débat ne devrait plus porter sur le besoin de s’unir mais sur la méthode concrète qui permettra d’y parvenir. Ce débat – s’il est mené loyalement et sans arrière-pensées et qu’il se mène en parallèle avec des initiatives unitaires concrètes en soutien au mouvement social (par exemple, des meetings communs de toute la gauche en soutien à la grève du 5 décembre) – suscitera un élan concret à la base de par son contenu concret qui obligera les derniers hésitants à se positionner.
Comment poser concrètement les termes de ce débat ? Il faut repartir des effets du régime politique de la Ve République sur les conditions de réalisation de l’unité d’action électorale. Bien que la majorité des courants revendiquent le passage à une VIe République (envisagée explicitement ou implicitement comme parlementaire et avec un mode de scrutin fortement proportionnel), la gauche est obligée de composer avec les contraintes qui découlent du régime politique de la Ve République si elle veut emporter le scrutin majeur de ce régime.
Il y a trois configurations permises par ce régime pour définir un.e candidat.e de gauche capable de se qualifier au second tour de cette élection.
La première, on l’a connue en 1965 et 1974. Lors de ces élections, la gauche était composée par deux grandes forces politiques – la galaxie non communiste (la FGDS en 1965, le Parti Socialiste en 1974) et le PCF. Ces forces se sont entendues pour désigner la figure la plus porteuse dans l’opinion publique comme candidat commun. Le cas emblématique est celui de 1974 et de la désignation de François Mitterrand comme candidat commun sur la base d’un programme commun de gouvernement. Ainsi, dans cette configuration, c’est l’accord programmatique et de « casting » entre deux forces qui a été la méthode par laquelle l’unité fut réalisée. Cela a été largement permis par la position périphérique sur l’ensemble de l’échiquier politique national du PCF qui tout en étant le grand parti de la gauche française durant cette période, s’est mis en retrait sachant pertinemment qu’un candidat issu de ses rangs ne pourrait jamais réunir une majorité de suffrages au second tour d’une présidentielle. Dans les deux cas, cette méthode a permis au moins que la gauche soit présente au second tour alors que durant cette période, la seule fois où la division entre ces deux pôles l’a emportée (en 1969), le résultat a été l’absence de la gauche du second tour.
La seconde, c’est celle qui a prévalu entre 1981 et 2012 (à l’exception de 2002, scrutin lors duquel l’affaiblissement du PS et la division au premier tour ont éliminé la gauche du deuxième). Une grande force politique – le Parti Socialiste – s’est imposée durant cette période comme la force majoritaire, voire hégémonique, de la gauche. Dès lors, ce sont des processus internes à cette organisation politique qui ont permis à la fois d’aboutir à une synthèse programmatique et de désigner un.e dirigeant.e qui devait la porter lors des présidentielles. Dans cette configuration, la méthode de réalisation de l’unité fut surtout le congrès du PS et le vote sur les motions concurrentes qui permettaient de désigner un premier secrétaire. En 1995, 2007 et 2012, ç’a été l’organisation d’une sorte de congrès élargi où l’on votait dans le cadre de primaires pour départager non pas des motions mais des candidats à l’investiture socialiste, sachant qu’en général la concurrence programmatique qu’on retrouvait dans les congrès autour des motions se retrouvait ici dans la concurrence entre candidat.es à l’investiture et leurs projets présidentiels respectifs.
Mais que faire lorsque la gauche est éparpillée en bien plus que deux grands pôles et qu’aucune figure charismatique ne s’impose comme le ou la candidate naturelle de la gauche unie ? Bien entendu, une option évidente serait d’entamer un processus de fédération organisationnelle de ces forces devant à terme déboucher sur un congrès de fondation d’un Parti Eco-Socialiste Unifié ou Unitaire (PESU) dont le premier secrétaire, secrétaire général ou secrétaire national serait du même coup le ou la candidat.e à la présidentielle. Un tel processus commencerait par la constitution d’un comité de liaison permanent des forces de la gauche, donnant par la suite lieu à une confédération avec des statuts et des instances communes puis à une fédération avec adhésions directes.
Or, un tel processus ne se réalise pas en un an et en particulier dans un contexte où les souvenirs du quinquennat Hollande rendent très tendus – c’est le mois que l’on puisse dire – les relations entre différentes composantes de la gauche. Autant dire que si un tel processus est souhaitable, nous n’avons pas le temps de l’organiser en vue de l’échéance de 2022. Cela aurait pu être possible si nous nous y étions pris dès juin 2017 mais depuis, deux ans et demi se sont écoulés et la seule chose qui a avancé, c’est la conscience du besoin de réaliser l’unité.
Pour 578 primaires de toute la gauche
A défaut donc d’une telle fédération de la gauche écologiste et socialiste, la seule alternative paraît être une primaire de toute la gauche pour désigner un.e candidate unique pour 2022.
Une telle primaire peut se faire sur la base d’un accord programmatique minimal qui pourrait être une charte établie par les organisations qui acceptent de participer au processus et qui soit composée non pas par des mesures programmatiques détaillées mais par des ambitions organisées de manière thématique. Pour dégager ces quelques dimensions programmatiques minimales, les forces de la gauche peuvent s’appuyer sur le travail commun d’opposition aux gouvernements de Macron réalisé depuis deux ans et demi. Rappelons que de l’aveu même de Jean-Luc Mélenchon, « neuf fois sur dix », la gauche est unie dans l’Assemblée Nationale face au gouvernement. Cette charte servirait aussi à délimiter le périmètre des votants : seules les personnes ayant signé la charte moyennant une contribution financière minimale devant servir à organiser le processus pourront prendre part au vote.
Bien entendu, le contenu programmatique ne sera tranché dans la pratique que par le jeu de la compétition électorale entre les différent.es candidat.es et leurs programmes. Ce n’est un secret pour personne qu’une primaire n’est pas seulement un moyen de régler la question du « casting » (comme on dit souvent à gauche) mais surtout les questions programmatiques. Les principaux candidat.es qui émergeront dans ce processus cristalliseront les grandes orientations qu’on retrouve aujourd’hui à gauche : on peut imaginer une compétition dans laquelle un.e candidat.e de la gauche dite « radicale » (Mélenchon par exemple) affronte un.e candidat.e issu des rangs de l’écologie politique (Jadot par exemple) ainsi qu’un.e candidat.e qui incarne l’aile social-démocrate de la gauche française. De toute manière, la nature du régime politique de la Ve République permet à la personne élue à la tête de l’Etat de bafouer ses engagements de campagne puisque le président n’est responsable politiquement devant personne et surtout pas devant le législatif. Le quinquennat Hollande a suffisamment fourni la démonstration de ce danger. Et cela n’est pas lié à l’identité de l’individu mais à la nature des institutions.
D’où l’importance d’une méthode pour désigner autant de candidatures unitaires aux législatives qui suivront les présidentielles. Dans la mesure où le nombre des forces organisées qui composent la gauche est aujourd’hui si important, il ne sera pas chose facile que ces forces se mettent autour d’une table pour dégager des consensus dans les 577 circonscriptions métropolitaines. La méthode des primaires peut très bien se reproduire à l’identique dans ces circonscriptions. Les mêmes jours que seront organisés le premier et le second tour de cette primaire pour désigner un.e candidat.e à la présidentielle, il pourra aussi se tenir des primaires pour désigner des candidat.es aux législatives.
Cela aura l’avantage de mobiliser les électeurs de gauche qui se sentiront davantage investis de pouvoir réel de participation dans la vie collective de la gauche. Vu la crise de légitimité des organisations traditionnelles – ce dont témoigne le succès des conceptions anti-partisanes et des méthodes d’organisation « gazeuses » – cela ne pourrait qu’avoir un effet bénéfique.
De même, des primaires dans les circonscriptions peuvent, en cas de victoire, déboucher sur une majorité parlementaire qui ne sera pas redevable pour son élection à la seule organisation politique dont sera issu le président de la République. Les député.es de cette majorité auront chacun.e une légitimité propre face au pouvoir exécutif – la légitimité d’avoir été désigné.e directement dans une primaire. Cela ne pourra que revigorer le pouvoir législatif et entamer sur le bon pied le combat pour la VIe République.
[1] Les deux sondages les plus récents (Ifop du 28-30 octobre et Elabe du 28-29 octobre) donnent Macron et Le Pen largement devant au premier tour (avec entre 27.5% et 29% chacun.e) tandis que le seul candidat de gauche qui dépasse la barre des 10% est Jean-Luc Mélenchon (avec entre 11% et 13%). Yannick Jadot n’est crédité que d’entre 6,5% et 9% des voix. Autant dire que aucun des deux ne peut espérer se qualifier au second tour dans ces conditions.
[2] Par ailleurs, ces résultats marquent un ancrage à gauche d’EELV et mettent fin aux tentatives de recentrage rhétorique déployées par Jadot depuis les européennes dans le but de séduire l’électorat macroniste.