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Billet de blog 14 novembre 2024

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Trump vs Harris par Jacques Chastaing

Avec l'autorisation de Jacques Chastaing, son analyse de la situation aux Etats-Unis. TRUMP N’A PAS GAGNE, C’EST KAMALA HARRIS QUI A PERDU ET LA RESISTANCE DES CLASSES POPULAIRES A DEJA COMMENCE

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Trump a perdu des voix aux élections présidentielles 2024 par rapport à celles de 2020. Il est passé de 74 millions de voix en 2020 à 72 millions en 2024. Il n’y a pas eu d’élan populaire en sa faveur contrairement à ce que racontent bien des médias. Mais Kamala Harris a perdu encore plus. Elle est passée pour le Parti démocrate de 81 millions de voix pour Biden en 2020 à 68 millions en 2024. En fait, les électeurs ne voulaient ni de l’un ni de l’autre. Un sondage l’avait révélé clairement en montrant que 65% des électeurs ne souhaitaient ni Trump ni Biden (Kamala Harris), tous deux étant perçus à juste titre comme des représentants du grand capital. Mais si la participation électorale a été faible, 64%, ce n’est pas que pour cela, en 2020, elle avait bien plus importante, alors que c’étaient quasi les mêmes candidats.

Une fois cela dit, c’est quand même Trump qui a le moins perdu. Pourquoi ?

Ce n’est bien sûr pas parce que Kamala Harris n’a pas mené une campagne en faveur des pauvres, des travailleurs ou ne s’est pas battu pour la fin de l’aide militaire à Israël comme si ça avait été possible qu’elle veuille cela. Ce n’est ni dans son ADN ni dans celui du parti Démocrate. Ce n’est pas un parti de gauche mais un parti ouvertement du grand capital. Kamala Harris disait clairement dans ses meetings qu’elle est capitaliste. Elle ne s’en cache pas, elle ne fait pas semblant comme la gauche ici. Et une telle candidate et un tel parti, ne voulaient surtout pas mener une telle campagne contestataire qui aurait pu prendre un caractère subversif bousculant Kamala Harris elle-même du fait du contexte social particulièrement conflictuel aujourd’hui aux USA. Aussi, elle a tout fait pour que sa campagne ne puisse pas être un encouragement en quoi que ce soit aux multiples grèves en cours dans le pays, des grèves qui sont souvent victorieuses, souvent avec une forte participation de noirs et de femmes et à qui il ne manque qu’une dimension politique – dont elles se rapprochent toutefois lentement avec la grève générale qui a été lancée dans le débat de ces grèves – ce qui terrorise le grand patronat. Il ne fallait donc pas que ces élections, où pour la première fois dans l’histoire américaine, la campagne électorale n’a pas réussi à arrêter les grèves – la veille même du scrutin, la grève des 33 000 ouvriers de Boeing arrachait une augmentation de 38%-, puissent être utilisées par les grévistes pour faire entendre leur colère au travers d’un des candidats, même de manière déformée ou détournée.

L’électorat populaire de Trump a été éloigné de ces mobilisations sociales en étant orienté comme jamais vers un vote raciste, sexiste et bigot. Les USA sont un des pays les plus religieux du monde et le racisme y est infiniment plus ancré et violent qu’en France. Il est inscrit profondément dans l’histoire et la culture de ce pays dont les pères fondateurs étaient des propriétaires d’esclaves et où le racisme est quasi inscrit dans sa constitution. En effet, le système électoral actuel aux présidentielles qui n’est pas le suffrage universel et donne plus de poids aux électeurs réactionnaires des campagnes qu’à ceux progressistes des villes est un lointain héritage d’une concession faite après la guerre de Sécession aux Etats sudistes esclavagistes. Ainsi, les femmes noires n’ont eu un réel droit de vote qu’en 1965 après un grand mouvement de protestation pour l’obtention des droits civiques et au milieu de soulèvements presque insurrectionnels des quartiers de grandes villes américaines. Tout cela n’est guère ancien, n’est pas oublié et ce climat raciste est très présent dans la vie quotidienne. Par exemple, la violence raciste de la police est telle (et jamais condamnée) qu’un afro-américain sur 1 000 mourra des mains de la police. Un chiffre inouï. On ne peut pas comprendre ce qui se passe aux USA si on n’a pas cette dimension en tête. La campagne électorale de Trump axée principalement sur le racisme et d’une violence extrême encore jamais vue sur le sujet s’est appuyée sur ce vieux fond mais aussi sur l’histoire toute récente qui a bousculé la vie américaine autour du racisme. L’électorat raciste traditionnel a suivi d’autant plus facilement qu’il avait une revanche à prendre.

En 2020, l’élection s’était aussi faite sur le racisme mais les racistes avaient perdu parce qu’il y avait eu durant la campagne électorale, le mouvement BLM, Black Lives Mater, le plus grand et le plus long mouvement social de l’histoire des USA qui a chamboulé le pays. Trump, alors président, aidé des racistes avait voulu l’écraser par la force et la violence mais avait échoué devant la détermination des jeunes qui avaient entraîné avec eux une grande partie de l’opinion publique et des travailleurs et de leurs syndicats. Le vote, par-delà Biden ou Trump, s’était fait là-dessus, pour ou contre BLM. Voter Trump c’était voter contre BLM, voter Biden, c’était voter pour BLM, même si Biden ne soutenait pas le mouvement mais avait su se faire discret, n’étant pas aux affaires.

C’est ce mouvement BLM qui a en quelque sorte gagné les élections de 2020, une victoire des anti-racistes sur les racistes, une victoire électorale qui, de plus, légitimait de fait les méthodes d’action directes et radicales des jeunes de BLM qui s’affrontaient sans peur à la police ou démolissaient sans respect les statues à la gloire des grands hommes de l’histoire américaine dès lors qu’ils avaient été racistes ou esclavagistes… et il y en avait un bon nombre y compris parmi les plus célèbres. La tentative de coup d’Etat des groupes fascistes au service de Trump en Janvier 2021, après sa défaite électorale, n'était pas seulement une tentative foireuse de Trump pour rester au pouvoir, mais aussi une réponse des blancs racistes et fascistes aux révoltes des jeunes noirs. Et une réponse qui a échoué. D’où le thème permanent de la revanche chez Trump qui n’est pas que personnelle.

Cette année 2024, était donc l’année de la revanche pour les racistes alors qu’en même temps il n’y a pas eu de mouvement anti-raciste de riposte parce que pendant que Trump cognait, Kamala Harris paralysait le mouvement. Pourtant, cette réponse dans la rue aux violences racistes des discours de Trump désignant clairement le soulèvement BLM aurait pu avoir lieu et il y a eu quelques tentatives. Mais il suffisait de voir le défilé des étudiants de l’université noire de Durham en Caroline du Nord qui a eu lieu contre Trump, pour que tous les possédants s’affolent. C’était un défilé quasi militaire, musique en tête, une copie conforme du mouvement des droits civiques des années 1960 avec des slogans parallèles… Là était le danger pour l’ordre établi, une résurgence possible pouvant aller jusqu’aux Panthères noires. Aussi, Kamala Harris et les démocrates ont tout fait pour décourager une telle orientation. En 2020, Biden n’avait été pour rien au mouvement BLM en son temps mais en avait bénéficié malgré lui. Or ce mouvement s’est en quelque sorte prolongé par la mobilisation extraordinaire des ouvriers aujourd’hui, souvent des noirs et des femmes, et d’une nouvelle génération de jeunes militants syndicalistes radicaux. Kamala Harris, par souci de l’ordre capitaliste qu’elle défend, préférait que Trump gagne plutôt que d’alimenter en quoi que ce soit cette braise et de risquer de la transformer en incendie social et politique géant. Cette possibilité était inscrite dans ce moment parce que si les démocrates ont perdu, les candidats de l’aile gauche du parti démocrate, les DSA, Démocrates Socialistes d’Amérique, avec parmi eux des candidats femmes ou noirs, ont eu au contraire de très bons résultat, élus parfois avec 70% des voix, parfois dans les lieux mêmes ou globalement Trump l’emportait. Le radicalisme a payé électoralement. De nombreux référendums qui ont eu lieu ce 5 novembre l’ont aussi montré. Des référendums pour protéger le droit à l’avortement y compris dans des Etats qui ont voté Trump ou pour des augmentations de salaires comme par exemple dans la ville d’Everret (110 000 habitants) où les électeurs ont obligé les patrons à verser un salaire minimum de 20,24 dollars de l’heure, presque le plus élevé du pays.

En plus de BLM, il y avait eu de fortes manifestations de femmes contre Trump. 15 000 ont manifesté la veille du scrutin à Washington. Alors, par crainte d’un tel élan des femmes et des noirs qui ne pouvait qu’aller au-delà de la seule arène électorale mais renforcer ce qui existait déjà dans la grève et la rue, Kamala Harris du fait de sa couleur de peau et aussi de son sexe, devait pour défendre l’ordre social capitaliste, prouver que cela ne pouvait en rien susciter un espoir et encore moins une mobilisation des noirs et des femmes. Du coup, comme Trump, elle s’est aussi prononcée pour le mur au Mexique contre les immigrés et a choisi de se présenter souvent à ses meetings avec des républicains réactionnaires blancs en rupture de ban avec Trump. Elle a visé non pas cet électorat qui pouvait se mobilier dans la rue mais l’électorat républicain blanc de Trump qui pouvait être choqué par ses violences et ses outrances en décourageant ce faisant la partie la plus combative de son propre électorat. Pas plus que les démocrates n’ont réellement et sérieusement tenté de poursuivre Trump en justice par souci de la préservation de l’honorabilité du système global, Kamala Harris par souci de la défense du capitalisme et de l’ordre établi avant même le succès de son propre parti, a tout fait pour décourager une mobilisation des opprimés, des femmes, des noirs et des travailleurs. On avait deux défenseurs de l’ordre capitaliste en lice et ils se sont partagés le boulot pour que ces élections ne tournent pas à l’avantage des classes populaires. Et dans ce jeu, le plus réactionnaire était gagnant.

Du coup, le seul vaste mouvement populaire qui a eu lieu pendant ces élections, celui pour la Palestine, a eu lieu contre les Démocrates, contre Biden pour son soutien à Netanyahou et donc aussi contre Kamala Harris. Par contre, il n’est pas difficile d’imaginer que s’il y avait eu des manifestations féministes ou anti-racistes contre les menaces de Trump, les mobilisations de soutien à la Palestine y auraient été mêlées et auraient été aussi contre Trump qui voudrait, pour résoudre à la base selon lui la question palestinienne, que Netanyahou bombarde les centrales nucléaires iraniennes ! Et Trump comme en 2020 aurait été battu. Mais voilà, ajouter aux manifestations de soutien à la Palestine et aux grèves victorieuses, des manifestations anti-racistes et féministes, c’était contribuer à donner une expression visible à un climat contestataire plus général grandissant, encore souterrain à peine conscient de lui-même, mais qui est là et se cherche… et qui terrorise les capitalistes qui se sont donc réjoui de la victoire de Trump contre ce climat.

Mais ce n’est pas fini. La victoire de Trump peut au contraire accélérer la dynamique. Ce climat souterrain, qui n’est pas propre aux USA mais est mondial, finira par se donner une expression visible aux USA d’autant plus rapidement si Trump mène sa politique économique. Si en effet Trump fait ce qu’il dit et met des taxes douanières de 60% sur les produits chinois et d’autres sur les autres produits du monde, l’inflation va exploser, et la riposte des autres pays sur les produits américains va développer le chômage aux USA ce qui génèrera rapidement un mécontentement énorme sans même attendre les élections à mi-mandat dans deux ans. Et puis, ce résultat électoral raciste peut être perçu comme un vol électoral contre une société qui évoluait dans l’autre sens, le mouvement BLM l’avait montré. D’où probablement la résurgence tout à la fois du mouvement anti-raciste, des émeutes contre les violences racistes de policiers et de trumpistes et en même temps contre le système électoral anti-démocratique qui permet ce vol. C’est pourquoi, Trump qui va avoir l’appareil d’Etat dans ses mains, va tout faire pour essayer de briser préventivement toute possibilité de révolte. Il l’a dit, avant la Chine contre qui le capital américain se prépare à la guerre, pour ce faire, il doit écraser son premier adversaire qui est l’ennemi intérieur, les militants antiracistes, syndicalistes, de gauche, démocrates radicaux, féministes, écologistes, les immigrés. On peut donc craindre le pire pour les libertés de manifester faire, grève, s’exprimer et toutes les libertés individuelles. Avant les juifs, Hitler avait d’abord mis dans les camps, les communistes, socialistes, syndicalistes, démocrates et même les chrétiens ou les avocats tout en donnant des pouvoirs de police à ses milices racistes et cela seulement un mois après son accession au pouvoir avec sa provocation de l’incendie du Reichstag. Sept mois après il dissolvait le Parlement et prenait tous les pouvoirs. Et ce ne sont pas les provocations qui font peur à Trump.

Ceci dit, Méloni est en train de faire passer une loi en Italie qui liquide quasiment le droit de manifester et faire grève. Pour le moment, ça suscite encore plus de grèves et de manifestations. Une autre élection surprise d’un président d’extrême-droite, Milei en Argentine, a généré immédiatement une vague de grèves contre son programme d’austérité et plus que cela, un an après, une mobilisation des étudiants depuis 15 jours du même niveau que celles des années 1960/1970, ou mai 1968 en France. Soyons sûrs qu’il en sera de même demain aux USA et à une bien plus grande échelle car si les élections présidentielles aux USA sont terriblement anti-démocratiques, la démocratie en bas y est bien plus vivante qu’ici (il y a eu par exemple 30 000 scrutins le 5 novembre où on élit tout et tout le monde) et qu’il ne sera peut-être pas si facile à Trump de s’y attaquer. D’ailleurs les manifestations anti-Trump massives ont déjà commencé dans les rues comme à Chicago en même temps qu’il y a de de multiples appels à la lutte ; des femmes qui mettent en place des réseaux d’accueil et de solidarité pour les femmes qui voudraient avorter ; l’Etat de Californie qui a déclaré qu’il n’appliquerait jamais une éventuelle législation réactionnaire trumpiste et qu’il serait toujours un refuge pour tous ceux qui le voudraient y compris les immigrés ; le syndicat automobile UAW qui appelle à la riposte contre la victoire des milliardaires… Et si la victoire de Trump peut être un encouragement aux fascistes du monde entier, la mobilisation des classes populaires américaines pourrait bien être pour sa part un encouragement et un accélérateur du murissement et de la radicalisation des consciences des opprimés sur toute la planète.

Dans de tels moments, l’enjeu sera de plus en plus clairement socialisme ou barbarie. Il y aura une course de vitesse entre les uns et les autres, entre la répression et les mobilisations. Pour gagner, il faudra être animés de la volonté d’aller jusqu’au bout, pas de viser les élections de mi-mandat dans deux ans comme en parlent déjà les démocrates – si Trump leur permet d’avoir lieu-, ou comme les partis de gauche traditionnels argentins essaient de dévoyer le mouvement social vers les élections de 2025, mais de développer l’auto-organisation et la démocratie directe pour renverser Trump par la grève et la rue, la révolution.

Jacques Chastaing 8 novembre 2024

PS. Les chiffres des résultats ont évolué entre le moment où j'ai écrit le post et aujourd'hui : Trump a eu 74 millions de voix et Kamala Harris, 70 millions, mais ça ne change rien au raisonnement

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