Je viens d’assister, par hasard, à 5h35 de théâtre, avec comme décors ce qui fut le château du duc d’Arpajon et les arrière-plans du Causse de Séverac.
Avant de dire quelques mots sur cette soirée, je crois utile de préciser qui écrit ce billet.
Je suis un simple spectateur de théâtre depuis 50 ans, du Festival d’Avignon, du in comme du off, d’Ariane Mnouchkine, de Gildas Bourdet dont j’ai adoré les spectacles lillois, de Peter Brook ou de Wajdi Mouhawad aujourd’hui.
Je ne connaissais pas Alice Tabart qui a exhumé ce drame de Victor Hugo et en a assuré la dramaturgie et la CREATION MONDIALE l’année dernière et cette année.
De la pièce elle même, de ce Cromwell , j’ai découvert qu’un Victor Hugo de vingt-cinq ans l’avait jetée à la tête de la société de son temps comme un manifeste du drame romantique, en regrettant lui même qu’elle soit injouable.
Et de fait, 35 comédiens et musiciens, de multiples décors, 5 actes en vers, cela devait être dur à monter en 1827 et ne l’a, de fait, jamais été malgré la renommée déjà solidement établie du jeune auteur.
Cela semble impossible à monter, en 2025, lorsque l’on connait la situation du spectacle vivant et les coupes budgétaires qu’il affronte.
Cinq compagnies, pour l’essentiel toulousaines, ont pourtant relevé le défi de superbe manière.
Comme administrateur de Jean-Claude Malgoire à l’Atelier Lyrique de Tourcoing, j’ai appris qu’il ne suffisait pas qu’une partition n’ait pas été jouée depuis deux cent ans pour qu’elle soit intéressante, mais j’ai aussi eu le bonheur d’être associé à la découverte de quelques chefs d’œuvre de l’opéra baroque.
Je veux donc d’abord dire que le Cromwell de Victor Hugo est une pièce magnifique.
On me permettra la simplicité qui consiste à charger Wikipédia d’en résumer les grands enjeux :
« Hugo dans Cromwell veut montrer l'histoire, une histoire déployée aux frontières qui ne se réduit plus au grand nombre des chefs, mais englobe à présent les masses. Ce Cromwell raconte l'aventure d'un triple échec, celui des deux conspirations qui ne parviennent pas à tuer le grand homme, celui du grand homme qui n'arrive pas à se faire roi. Théâtre neuf et révolutionnaire par l'intervention du grotesque, un grotesque qui est dans les événements autant que dans le discours, dans la juxtaposition du comique et du sérieux, mais surtout dans l'intrication et la réversibilité du rire et de la mort. »
J’ai eu le sentiment, lors de la représentation à laquelle j’ai assisté, que le Victor Hugo, royaliste de 25 ans, était encore trop incertain de sa conception du monde et de ses attentes par rapport à l’action politique pour que son utilisation de l’histoire soit totalement satisfaisante. On peut rêver de ce qu’aurait été une telle pièce, écrite après la révolution de 1830 ou celle de 1848.
Par contre, j’ai eu la surprise de rire fréquemment à la découverte d’un Victor Hugo superbement grotesque et scintillant d’insolence d’une manière toute shakespearienne.
La pièce m’est apparue comme une tentative, déjà très aboutie, de mêler, en vers, le drame, la grande histoire et le grotesque d’une façon qui ne sera parfaitement réussie que par « Cyrano de Bergerac », soixante dix ans plus tard.
La mise en scène, coordonnée par Alice Tabart et assurée par six metteurs et metteuses en scène différent(e)s, est une véritable réussite.
Elle utilise parfaitement la nuit d’été et le beau décor du château de Séverac, avec un premier acte, très réussi, dans une salle qui recrée l’auberge voulue par Hugo.
La décision d’in-genrer la distribution, de faire jouer de nombreux personnages masculins par des femmes et quelques personnages féminins par des hommes fonctionne parfaitement et apporte même, pour plusieurs personnages, un surcroît de sens.
J’ai eu le plaisir d’entendre, presque parfaitement et sans sonorisation m’a-t-il semblé, les vers de Victor Hugo dits sur un immense plateau.
Cette pièce sera normalement joué à nouveau à Séverac-le-Château, en 2026 et me dit-on, probablement à Toulouse ensuite.
En la regardant, et dans un total respect pour la réussite du travail qui nous a été livré par Alice Tabart et ces compagnies toulousaines, je ne pouvais m’empêcher de penser que ce jeune Hugo mériterait d’être confronté au mur du Palais des Papes ou à la Comédie Française.
Le grand théâtre subventionné est-il encore capable budgétairement d’entreprendre ce que ces jeunes ( ?) compagnies viennent de nous livrer ? Je veux le croire, sans en être totalement certain.
Mais, en tout état de cause, la soirée à laquelle j’ai assisté hier, me convainc, qu’au delà de toutes les difficultés qu’il connaît, le théâtre d’art vit et vivra.
Christian Lamarche