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Billet de blog 4 mars 2023

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Une obstination impressionnante

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

15 septembre 2021 : suspension sans salaire de milliers de soignants (et assimilés) pour non vaccination covid.

Les mois passent, les pass aussi, les mesures sanitaires sont levées progressivement. 
Sauf l'obligation vaccinale, alors que la loi du 5 août 2021 stipule ceci : "Un décret pris après avis de la Haute Autorité de Santé, peut, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques, suspendre, pour tout ou partie des catégories de personnes mentionnées au I, l'obligation prévue au même I".

Avis de la HAS le 22 juillet 2022 :
"Au vu du contexte épidémique dynamique, des incertitudes sur l’évolution de l’épidémie dans les prochains mois, et de l’efficacité d’un schéma vaccinal complet à réduire le risque d’être infecté et de transmettre la maladie, la HAS considère que les données ne sont pas de nature à remettre en cause l’obligation vaccinale des personnels des secteurs sanitaire et médico-social qui concourt à une meilleure protection des personnes soignées ou accompagnées, au premier rang desquelles les plus vulnérables. Ces recommandations seront actualisées en fonction des nouvelles données disponibles".

Mais dans les faits le rappel vaccinal ne sera jamais demandé ensuite aux personnes concernées.

Loi du 30 juillet 2022 "mettant fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie liée à la covid-19" : 
"Lorsque, au regard de l'évolution de la situation épidémiologique ou des connaissances médicales et scientifiques, telles que constatées par la Haute Autorité de santé, l'obligation prévue au I n'est plus justifiée, celle-ci est suspendue par décret, pour tout ou partie des catégories de personnes mentionnées au même I".

Automne 2022 : les quelques pays ayant appliqué une obligation vaccinale covid et des suspensions de soignants reviennent en arrière. Pas la France.

Novembre 2022 : le ministre de la santé déclare que la HAS sera saisie pour se prononcer sur la question des obligations vaccinales, dans leur ensemble.

Pourquoi noyer ainsi le poisson ? Pourquoi la question de l'obligation vaccinale covid n'est-elle pas traitée en soi, comme cela a été le cas dans les autres pays ?

Intégrer cette vaccination dans une réflexion globale sur les vaccins actuellement obligatoires pour les soignants la dilue, la banalise alors qu'elle n'a rien à voir avec les autres vaccins (diphtérie, tétanos, poliomyélite et hépatite B) qui protègent durablement de contracter - et de transmettre le cas échéant - les maladies concernées. Le vaccin contre le covid a une efficacité transitoire et n'empêche pas la transmission de la maladie. Il relève d'une technologie nouvelle et présente de nombreux effets secondaires, parfois létaux.

Cette manière de procéder, cette façon de traiter toutes ces vaccinations au même titre et dans un même document de travail pose question, tant sur le plan scientifique que déontologique.

Elle pose aussi question sur la stratégie gouvernementale.

Mi-février la HAS émet un avis provisoire intitulé "Obligations et recommandations vaccinales pour les professionnels" et elle donnera son avis définitif fin mars après une consultation publique. Pourquoi la HAS n'est-elle pas en mesure de donner sa position sans s'appuyer sur des avis dont on ne peut que constater qu'en ce qui concerne la vaccination covid ils sont souvent biaisés par des considérations liées au vécu de la crise sanitaire et à des opinions individuelles sur le vaccin ?

Fin mars, notre suspension sans salaire aura déjà duré plus d'un an et demi.

Si, ainsi que cela se dessine dans son avis provisoire ("Pour la Covid-19, sans préjuger de l'avis du CCNE sur les aspects éthiques, la HAS estime que dans le contexte actuel, l'obligation vaccinale contre la Covid-19 pourrait être levée pour tous les professionnels visés par la loi du 5 août 2021. Cette vaccination devrait toutefois rester fortement recommandée etc."), la HAS juge en fin de compte que cette vaccination ne doit à l'avenir plus être obligatoire mais seulement recommandée, serons-nous enfin réintégrés ?

Eh bien rien n'est moins sûr.

"Chaque chose en son temps", a dit le ministre de la santé. 

Depuis l'été dernier la notion d'éthique s'est en effet immiscée dans le débat. Si la science ne peut plus justifier notre éviction de nos lieux de travail et notre mise au ban de la société, une autre raison y parviendra-t-elle ? Même si des avis ont déjà été formulés au sujet de l'éthique par une instance puis par des personnes qualifiées (voir ici), au mois de novembre celui du CCNE (présidé par Jean-François Delfraissy, qui avait également présidé le conseil scientifique covid 19 mis en place par le gouvernement durant la crise sanitaire) a été sollicité par le ministre de la santé parallèlement à la consultation de la HAS, et cette instance se prononcera fin avril.

Ensuite le ministre donnera son avis au gouvernement, et ensuite seulement nous saurons ce qu'il en est. Pourquoi un tel délai ?

Jusqu'à présent, la question des réintégrations a toujours été associée à celle de l'obligation vaccinale.
Fin mars la HAS va se prononcer sur ce qui lui incombe, à savoir l'obligation vaccinale. Quant aux suspensions, on voit bien que tout est fait pour les dissocier et les traiter à part, le temps qui passe et la mise en avant d'autres considérations qui n'ont rien de sanitaire.
Le gouvernement attend-il un prétexte pour décider de ne pas nous réintégrer, essayerait-t-il de réussir le tour de force de justifier "en même temps" une levée de l'obligation vaccinale covid et une non-réintégration des non-vaccinés ?
Ce serait un énorme scandale.

Ou bien aurait-il simplement été décidé que la punition infligée à ceux qui n'ont pas plié (et par conséquent à leurs patients) doit durer deux ans ? De fait, si une décision de réintégration était prise en mai ou en juin, cela reviendrait quasiment à cette durée pour nous puisque le CMPP ferme durant l'été.

Mon certificat de rétablissement arrive bientôt à échéance. Malgré la protection apportée par l'infection, malgré deux certificats de contre-indication à la vaccination covid, je vais devoir repartir. Et je n'arriverai probablement pas à tenir jusqu'au bout tant l'épreuve d'une "reprise" qui n'en est pas une est redoutable. Raccompagner un enfant que je viens de recevoir en bilan psychomoteur à la salle d'attente et devoir répondre à son parent - qui me demande comment cela va se passer pour la suite - qu'il va falloir attendre pour un suivi, alors que je suis présente toute la journée et que je pourrais commencer dès maintenant à rencontrer cet enfant, cela m'est devenu insupportable.

Au CMPP plus de trente enfants sont actuellement en attente d'une thérapie psychomotrice, et de nombreux autres (plus exactement leurs parents) sont partis tenter de trouver des soins ailleurs ou se sont découragés. J'ai rencontré en trois mois des enfants dans une situation développementale et psychique très inquiétante, avec des modalités nouvelles d'expression de leur déconnexion d'avec ce qui les entoure.

Mais réfléchir si les réintégrations de leurs soignantes sont "éthiques" ou non est considéré comme plus important et plus urgent.

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