Depuis que j'ai été "réintégrée", les personnes que je croise me demandent avec curiosité ou parfois une certaine préoccupation comment cela se passe avec mes collègues. On dirait bien que la propagande de certains médecins de plateau sur le mauvais accueil qui allait certainement nous être fait à notre retour a été forte, et a porté.
En réalité, qu'en est-il au CMPP où je travaille ?
Eh bien les choses se déroulent comme je m'y attendais, c'est à dire comme si de rien n'était. Avec des nuances malgré tout, cela va de l'indifférence la plus complète au contentement de nous voir de retour. Aucune réaction négative. De manière générale l'accueil a été souriant mais un peu comme si je revenais de vacances. Les questions sur lesdites vacances en moins, bien évidemment.
Impossible de savoir ce que les personnes pensent. L'impression que cela me donne est que ce qui s'est passé leur est indifférent, comme si elles ne se sentaient absolument pas concernées. Il est aussi possible que certaines n'osent pas m'en parler. Donc à part avec quelques rares personnes qui ne font pas semblant que tout est normal, le silence règne. Nous sommes là, comme si nous l'avions toujours été.
Sensation un peu étrange, mais au moins cela laisse la place à la reprise du travail.
Car le problème au CMPP n'est pas l'accueil qui nous est fait mais les effets des dégâts causés par les suspensions sur le travail, celui qui était en cours avec les enfants ou n'a pas pu démarrer, et le travail à plusieurs.
Que s'est-il passé le 15 septembre 2021 ? Au CMPP, la loi d'obligation vaccinale covid votée quelques semaines auparavant, assortie de mesures de suspension pour les professionnelles qui n'étaient pas à jour de leur "schéma vaccinal", a entraîné la désorganisation du travail de tous et l'interruption de dizaines de suivis. Je souligne à nouveau l'incohérence totale qui a consisté à priver de leurs soins psychiques des enfants et des adolescents consultant dans un tel lieu, alors qu'à l'école où ils passent toute la journée il n'y a pas d'obligation vaccinale. Et par la suite on vient déplorer l'aggravation des difficultés psychologiques des jeunes (voir aussi ici) ...
Ainsi que je l'ai déjà décrit, les mesures prises ont stoppé net les suivis engagés avec les enfants, certains de longue date où le travail en cours s'appuyait sur un lien solide, et d'autres de façon plus récente, où le nouage était tout juste en train de se faire et le travail de se construire pas à pas chaque semaine. L'ancrage au CMPP demande en effet parfois du temps et peut être semé d'achoppements.
Les "suspensions" ont également eu pour effet des décisions de relais de suivis, prises parfois sans mon avis, et des attentes pour de très nombreux enfants en graves difficultés. Enfin elles ont altéré le travail de réflexion en équipe autour des enfants et de leur situation.
Ma pseudo-reprise de trois mois cet hiver n'a permis de reprendre que trois des suivis interrompus. Pour les autres enfants que j'ai reçus, il s'est agi de bilans c'est à dire d'un temps isolé, une rencontre pour leur offrir un espace et une écoute spécifiques, permettant de donner un avis à l'équipe pluridisciplinaire.
Suite au décret suspendant l'obligation vaccinale, je suis de retour pour la troisième semaine, et je n'ai eu pour l'instant que quelques rares rendez-vous, et beaucoup d'échanges avec mes collègues pour parler avec elles des enfants. Le travail à plusieurs, dimension fondamentale de la pratique en CMPP, implique beaucoup de réflexion. Chaque décision se prend ensemble et est entérinée lors de la réunion pluridisciplinaires hebdomadaire de synthèse. Très concrètement, cela demande du temps, et de l'organisation.
Avec une reprise au bout d'autant de temps, tout est à refaire. Des décisions au sujet de mes anciens patients ont été prises, certains ont entre-temps quitté le CMPP. Or le travail que ces enfants avaient engagé avec moi était en cours, et il faut maintenant voir comment le reprendre ou aller vers son terme, en fonction de chaque situation. Et pour chaque nouvel enfant qui a consulté depuis tout ce temps et qui est en attente de bilan ou de suivi, il est nécessaire de parler, de se concerter, de coordonner le travail au mieux.
Dans ce contexte d'une clinique "suspendue", arrêtée, je tente de retisser une étoffe la plus solide possible, en continuant à penser le soin avec mes collègues.
Au total la carence de soins aura duré près de deux ans, puisque le CMPP ferme en été. Dans la mesure où actuellement des dizaines d'enfants sont en liste d'attente, les consultants qui arriveront l'année prochaine et qui auront besoin de thérapie psychomotrice devront à leur tour attendre durant très longtemps. C'est tout un équilibre fragile qui a été rompu, l'impact négatif sur le travail et les soins sera durable.
Il reste à espérer qu'une nouvelle obsession de ce genre de "protection", totalement injustifiée et excessive en CMPP, ne saisisse pas à nouveau une autorité ou un conseil quelconque à la rentrée, poussant le gouvernement à des mesures brutales qui détruiraient une nouvelle fois ce patient et long travail de construction de cadres thérapeutiques fiables.