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Billet de blog 9 août 2023

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Éthique (4) ou "Cher Jean-François"

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Avant le dernier avis de la HAS sur les obligations et recommandations vaccinales des professionnels de santé, un autre avis a été rendu, celui du CCNE, le Comité Consultatif National d'Éthique dont la mission est de "mettre en lumière les questions éthiques soulevées par les progrès des sciences sur la santé et la société".

Commençons par la lettre de saisine de cette instance par le ministre de la santé, le 21 novembre 2022 (annexe 4 page 51). Qui est donc ce " cher Jean-François" qui laisse augurer d'une réponse dénuée de toute pression à la mission fixée ? Eh bien tout simplement M. Delfraissy. Comme chacun sait, ce dernier a présidé le conseil scientifique qui a conseillé le président (de la république, celui qui disait être en guerre) durant la crise sanitaire. Ce qui est moins connu est que M. Delfraissy est également président du CCNE. Et visiblement il est également proche du ministre de la santé, entre médecins c'est bien normal.

Un an auparavant, le 13 juillet 2022, le ministre de la santé avait déclaré au Sénat devant la "Commission des lois sur le projet de loi maintenant provisoirement un dispositif de veille  et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la covid-19" : "Sur cette question particulière (celle des soignants non vaccinés ndlr), je vais saisir dans les jours à venir la HAS et le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), car nous souhaitons suivre les avis des scientifiques". Ensuite la HAS s'est rapidement prononcée, mais pas le CCNE. Pourquoi ? À ce moment-là la HAS a jugé que l'obligation vaccinale covid pour les soignants (et assimilés) restait nécessaire, et la loi du 30 juillet 2022 est venue confirmer les dispositions prises le 5 août 2021. Cet été-là, l'année dernière donc, en plus de soignants interdits de travailler à cette période de l'année où les services sont encore plus en manque de personnel que d'habitude, les pompiers français non vaccinés restaient chez eux pendant que des pompiers d'autres pays auxquels personne ne demandait leur statut vaccinal prêtaient main-forte contre les incendies en France. Par la suite le deuxième rappel vaccinal n'a jamais été demandé pour les soignants alors que nous, suspendus, restions interdits de travailler.

À l'été 2022 toujours, lorsque le conseil scientifique a cessé sa mission, M. Delfraissy a exprimé des regrets sur la gestion de la crise, en particulier dans sa non prise en compte de la dimension humaine dans les EHPAD, au profit de la santé. Comme si les deux n'allaient pas de pair ... Il avait également regretté l'absence de discussion avec les citoyens.
Quels arguments aurait avancé le CCNE présidé par M. Delfraissy à ce moment-là ? Nous ne le saurons jamais.

À l'automne, une nouvelle double consultation - de la HAS et du CCNE - a été lancée. Elle s'est faite plus globale, concernant pour la HAS toutes les obligations et recommandations vaccinales des professionnels de santé, et pour le CCNE les questions soulevées par la notion d'obligation vaccinale. Cela a pris du temps, durant lequel des milliers de professionnels sont restés écartés du système de santé. Au détriment des soins - dans mon cas des soins psychiques auprès d'une population non vulnérable - mais de cela nos gouvernants n'ont que faire.

Que dit l'avis du CCNE du 6 juillet 2023 ?

Selon le CCNE, pour établir la stratégie vaccinale des soignants il y aurait à faire une distinction entre le contexte courant et les crises sanitaires. Et il définit une crise sanitaire comme suit : "évènement impactant la santé des populations, le fonctionnement du système de soins voire l’équilibre des sociétés". On peut difficilement faire plus vague.
Il conclut  ainsi  (ce qui figure en gras est souligné par moi) : "En synthèse, dans la suite de ses précédents travaux et hors le cas particulier des vaccins ayant démontré un très haut rapport bénéfices-risques comme le vaccin contre l’hépatite B actuellement, le CCNE estime que la question de l’obligation vaccinale pour les professionnels exerçant dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux ne peut se poser qu’en dernier recours, c’est-à-dire:
- face à une situation sanitaire qui représente une menace majeure et brutale pour la population et qui peut remettre en cause le fonctionnement du système de soins ;
- même s’il persiste des incertitudes au plan scientifique sur l’efficacité du vaccin, dès lors que les connaissances attestent au niveau populationnel des bénéfices documentés et que les risques individuels semblent faibles et font l’objet d’une vigilance étroite. Une telle décision, qui appartient au politique, ne peut être prise qu’à l’issue d’un processus clairement expliqué, débattu et accompagné auprès des structures de santé et des organisations professionnelle".

Un avis en demi-teinte, donc, qui ménage la chèvre et le chou.  Le terme "incertitudes" concernant l'efficacité du vaccin est un euphémisme dans le cas de la vaccination covid, alors qu'il a été constaté qu'être vacciné n'empêche pas de contracter (et donc de transmettre) la maladie. Par ailleurs le CCNE reste évasif au sujet des risques liés aux vaccins avec la formulation "sembler faibles". En tout état de cause, au vu de cette conclusion on peut au minimum estimer anormal le maintien de l'obligation vaccinale covid depuis l'été dernier, puisque nous n'étions pas dans une "situation sanitaire qui représente une menace majeure et brutale".

La question des suspensions n'est jamais abordée de front, mais uniquement de manière détournée. On peut lire p. 26 :
"En s’appuyant sur les données de couverture vaccinale contre le SARS-CoV-2 des professionnels des secteurs sanitaires et médico-sociaux, après trois ans de pandémie, il apparaît que ces acteurs principaux du système de soins ont, dans leur quasi-totalité, respecté l’obligation vaccinale alors que la pandémie se prolongeait. Pour autant, le recours à cette stratégie de contrainte restreignant les libertés individuelles, témoigne des difficultés rencontrées pour convaincre une partie des professionnels des bénéfices de cette vaccination pour eux-mêmes, pour la protection des personnes vulnérables dont ils ont la charge pour la protection du système de soins, mais également pour l’atteinte d’une couverture immunitaire collective la plus large possible. Cette difficulté peut s’expliquer pour partie par la situation de crise, ainsi qu’évoqué plus haut avec comme corollaire des connaissances imparfaites et évolutives sur un virus qui était en constante mutation".

Dans la "quasi-totalité" évoquée par le CCNE, combien l'ont fait contraints et forcés sous peine de perdre travail et salaire, et combien ont eu recours à des faux ? Quant à la nature de la contrainte, se contenter de qualifier cela de "restriction des libertés individuelles" indique bien le déni persistant de ce qui s'est passé pour les suspendus. Les particularités des vaccins covid (AMM conditionnelle, absence de recul etc. ) ne sont pas mentionnées par le CCNE qui se contente d'évoquer la rapidité de leur élaboration.

Face au constat du peu d'empressement des soignants à effectuer les vaccins recommandés, le CCNE semble penser qu'un travail de sensibilisation et de formation serait suffisant pour convaincre à l'avenir. Les positions divergentes dans le corps médical quant à la vaccination covid sont évoquées mais non traitées. Le CCNE préfère dater les réticences voire les refus de la vaccination par certains soignants à avant la crise du covid.

J'ai déjà à plusieurs reprises abordé la question de l'éthique en lien avec cette vaccination, ici, ici, ‌enfin et surtout ici. Les notions d'éthique telles qu'elles sont traitées par le CCNE me semblent parcellaires par rapport aux divers angles de réflexions abordés là.

La vraie question, à laquelle le CCNE n'a pas répondu puisqu'elle ne lui a évidemment pas été posée ainsi, est la suivante : est-il éthique de forcer quelqu'un - en l'occurence un soignant ou assimilé - à se faire injecter un produit dont on sait qu'il ne le protégera pas de contracter et donc de transmettre la maladie, injection pouvant lui faire courir des risques pour sa santé, allant jusqu'à la mort ?

Jusqu'à présent je ne m'étais pas étendue sur les effets secondaires de la vaccination car ce n'était pas directement mon propos. Mais même si le CCNE, de même que la grande majorité du monde médical, ne veut ou ne peut pas les voir, ils sont réels et nous n'en connaissons pas encore l'étendue et la portée. Je vous laisse vous faire une idée du prix à payer pour l'"infime partie de la population souffrant de séquelles post-vaccinales" annoncée en préambule de ce documentaire.
Qu'en est-il des soignants qui présentent des effets secondaires suite à leur vaccination ? Du jeune infirmier vacciné de force alors qu'en 2020 il avait eu du mal à se rétablir du covid, et qui suite à cette vaccination n'est plus en mesure de travailler ? Aucun dédommagement de l'état ne changera rien à cela, pour lui.

L'autre question, à laquelle personne ne répondra jamais à moins que la justice fasse un jour son travail, est la suivante : est-il éthique d'avoir privé de travail et de moyens de subsistance durant 20 mois ceux qui ont refusé ce vaccin ?

Le CCNE se sort donc de sa mission en gardant une position orthodoxe vis à vis de la vaccination (et du progrès scientifique que représente la nouvelle technologie utilisée). Il conditionne à une obligation vaccinale dans certaines circonstances le devoir de protection des plus fragiles - que personne ne remet évidemment en question - mais indique aussi sa limite. Le CCNE adopte, à mon sens, une position plus sanitaire qu'éthique. Heureusement, il n'empêche pas des voix divergentes en son sein de s'exprimer.

En effet et il faut le souligner, le CCNE publie à la fin de son avis (pages 44-47) une position divergente soutenue par cinq personnes, laquelle, si elle insiste également sur l'intérêt de la vaccination en soi (notion que les soignants qui ont refusé les injections covid ne remettent dans leur écrasante majorité pas en cause), apporte un éclairage différent. Cet avis rappelle la position du CCNE en décembre 2020 : «En ce qu’elle porte atteinte à la liberté individuelle, l’obligation vaccinale interroge sur les circonstances qui pourraient la justifier. Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, elle ne peut se concevoir que comme un dernier recours, face à une situation de très grave danger créé par une pandémie non contrôlée, avec une offre de vaccins à l’efficacité et à l’innocuité parfaitement connues et éprouvées avec le recul nécessaire». Il recentre le propos sur les questions posées par le caractère obligatoire d'une vaccination qui ne peut être uniquement lié à une situation de crise mais nécessite des conditions bien spécifiées  : efficacité contre la transmission (ce travail évoque l'illusion de protection apportée par un vaccin covid inefficace contre la transmission) et immunité effective contre la maladie. Il rappelle également le "libre droit de chacun à disposer de son corps".

Conclusion de cet avis divergent (les parties en gras sont dans le texte) : "l’obligation vaccinale pour les professionnels exerçant dans les secteurs sanitaires et médico-sociaux représenterait une contrainte individuelle qui ne serait éthiquement envisageable qu’après un examen précis de la situation, de nombreuses recommandations, et en tout état de cause que si l’on considère que le bénéfice collectif est plus important, en particulier pour les plus vulnérables, c’est-à-dire que si il a été démontré scientifiquement que la vaccination est efficace pour prévenir la transmission de la maladie".

Ce qui n'a pas été le cas, pour le vaccin covid.

Que va garder le gouvernement de cet avis ? La partie officielle ou la divergente qui y est juxtaposée ?

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